Dossierindie-eyeL'Étrange Festival 2012LUFF 2012Offscreen 2013

The Bullet Collector

En accueillant John Waters pour sa onzième édition, le Lausanne Underground Film & Music Festival s’impose définitivement comme un événement incontournable sur la scène culturelle internationale. Mettant en avant des cinéastes et des films farouchement indépendants qui refusent tout compromis au risque de limiter leur exposition publique, le festival s’est cette année payé le luxe de projeter un film qui, en plus de répondre à ses critères de sélection, est porteur d’un souffle nouveau et capable de générer une foule d’émotions chez les spectateurs. Bref, le genre même de films que l’on pourrait voir à Cannes, Berlin ou Venise ! Les membres du jury ne sont d’ailleurs pas passés à côté de la sensibilité de cette œuvre et ont tenu à souligner l’impact que THE BULLET COLLECTOR a eu sur eux en lui décernant une mention spéciale, dictée par le cœur.
Son réalisateur, Aleksandr Vartanov est un cinéphile passionné ayant toujours désiré faire du cinéma. Sa sensibilité artistique le portant plus vers le cinéma d’auteur que le film commercial, limitant ainsi ses chances d’intégrer l’industrie cinématographique russe, il préfère attendre patiemment durant cinq années que les coûts de production baissent considérablement, avec l’arrivée des derniers modèles d’appareils numériques, avant de réaliser son premier film. Rassemblant une somme dérisoire, environ 80 000 $, il se lance en toute indépendance et avec intégrité dans le tournage d’un film qui ne laissera jamais transparaître à l’écran la pauvreté de son budget.
THE BULLET COLLECTOR raconte les mésaventures d’un adolescent russe victime des perpétuelles réprimandes de son beau-père, du manque d’attention de sa mère, et des agressions physiques de ses camarades de classe. Pour fuir cette triste réalité, il s’invente une dangereuse vie de voyou, un père gangster et un code d’honneur. Secrètement amoureux d’une amie qui ne partage pas ses sentiments, il se mure dans sa solitude jusqu’au jour où, poussé à bout, il sort une paire de ciseaux pour répondre aux attaques. En voulant fuir, il est violemment percuté par une voiture et reprend conscience dans un pavillon hospitalier avant d’être transféré dans un centre de redressement pour adolescents. Refusant d’être à nouveau une victime, il fomente une révolte à l’aide d’autres exclus comme lui, espérant se libérer à tout jamais des contraintes quotidiennes…
Esthétiquement très travaillé, le film évite le piège de n’être qu’une forme vide. Le réalisateur ne choisit jamais la facilité et justifie toutes ses expérimentations visuelles par un fond scénaristique plausible. Il ne faut pas voir un quelconque récit autobiographique, ni chercher une trace documentaire sur la Russie moderne, dans ce film que l’on peut résumer en disant qu’il s’agit d’une variation autour des 400 COUPS (François Truffaut, 1959) dirigée par un expérimentateur visuel de génie, héritier artistique direct de Tarkovski ou Lars Von Trier.
L’histoire du film pourrait se dérouler n’importe où dans le monde et la tristesse qui s’en dégage est elle aussi universelle. Si le métrage n’est pas exempt de quelques scènes pour le moins dures, il n’y a aucun misérabilisme outrancier dans le traitement du récit, pas de recherche absolue de l’image choc ou malsaine. Le film de Vartanov joue la carte de l’onirisme avec talent, jusqu’à brouiller complètement nos repères, nous faisant partager la confusion des sentiments de son jeune protagoniste qui, alors qu’il possède encore la beauté de l’enfance, subit déjà les tourments de l’adolescence. La mince et étanche membrane séparant la réalité et les fantasmes du héros se déchire de plus en plus à mesure que le récit avance, nous faisant perdre pied dans un monde intérieur riche duquel personne ne sortira indemne.
Peut-être un poil trop long, surtout dans sa dernière partie, comme si Vartanov ne pouvait se résoudre à conclure l’odyssée tragique de son personnage principal, THE BULLET COLLECTOR est un film époustouflant, l’acte de naissance d’un cinéaste à suivre et que l’on pourrait bien croiser dans quelques années à Cannes, Berlin ou Venise…

Lire l’interview du réalisateur Aleksandr Vartanov.

Retrouvez notre couverture de Offscreen 2013.

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