The Corpse of Anna Fritz

Un texte signé Sophie Schweitzer

La célèbre actrice Anna Fritz, réputée pour sa beauté, décède dans la fleur de l’âge. Son corps est amené à la morgue. Un des employés de la morgue laisse deux de ses amis pénétrer les lieux pour voir le corps. Ce qui devait être un début de soirée festif entre alcool fort et rail de coke va se transformer en huis clos étouffant.

L’histoire de ces trois jeunes gens décidant de rendre hommage à l’actrice en lui faisant l’amour est en fait un thriller psychologique espagnol qui, avec peu de moyens, parvient à tenir en haleine le spectateur. Tout le film repose uniquement sur le jeu de quatre acteurs dont une est inanimée. La mise en scène épouse non seulement l’atmosphère, la rendant étouffante à souhait, angoissante ou choquante selon les images qu’elle nous propose, mais aussi et surtout, franchit un tabou, la nécrophilie, qui pourrait rendre le film culte, cela s’est déjà vu par le passé.

L’équipe est relativement jeune et surtout méconnue en France. Hèctor Hernández Vicens signe ici son premier long-métrage en tant que réalisateur, aidé par Isaac P. Creus cumulant les jobs de scénariste et producteur, tandis que devant la caméra, on retrouve Bernat Saumell déjà vu dans Eva, Christin Valencia, Alba Ribas et Albert Carbo à la carrière encore débutante. Visiblement produit avec peu de moyens, THE CORPSE OF ANNA FRITZ a tout du petit film qui brille justement par l’intelligence dont il fait preuve.

La photographie nous plonge dans la lumière froide chère au milieu hospitalier au cinéma. L’ambiance n’est pas vraiment chaleureuse, en même temps une morgue n’est pas un endroit plaisant à fréquenter. L’image est pratiquement vidée de saturation et donc de couleur. Ainsi le corps d’Anna Fritz est presque dans la même tonalité que celui des jeunes gens, les ramenant tous, progressivement, à égalité. La mise en scène adopte une proximité avec ses personnages qu’ils soient vivants ou mort, imprimant dans l’esprit du spectateur des images choquantes avec une subtilité et une audace rare dans le cinéma actuel.

Il y a une certaine perversité, quasiment de la cruauté, dans la manière dont les personnages sont mis en scène. Entre la tentation, la luxure, le vice et le meurtre, il ne semble n’y avoir qu’un pas lorsqu’on agit loin du regard des autres. Car le lieu choisi, une morgue, confine au secret. Personne ici ne vous entendra hurler, personne ne viendra vous déranger. Vous êtes seul face à vos pulsions. Pire encore l’effet de groupe fonctionne puisque c’est ainsi que les jeunes gens se poussent mutuellement à la faute. Tout le suspense repose sur “jusqu’où ils peuvent aller” puisqu’une sadique loi de Murphy va bientôt s’abattre sur le groupe à l’instant où la sublime mais silencieuse Anna Fritz s’éveille !

Une science du rythme est à l’ouvrage, car l’écriture assez fine et la mise en scène choisissent parfaitement leur moment pour faire naître un nouveau rebondissement, chose dont le film ne manque certainement pas. Quand la belle morte s’éveille, c’est pile-poil au mauvais moment, celui où l’un des jeunes hommes est en train de lui faire l’amour, ou plutôt de la violer ! À partir de ce instant fatal, tout s’enclenche trop vite pour que les héros n’aient vraiment de prise sur leurs décisions et leurs choix. Que faire dans une telle situation ? Évidement, les jeunes gens font les mauvais choix. Sadique, le réalisateur plonge ses personnages dans de troublantes situations où les frontières entre le bien et le mal semblent se diluer au fur et à mesure.

Le tout gagnant en intensité par la profondeur psychologique des protagonistes. Toute l’attention du public étant évidemment portée sur Anna Fritz qui, simplement d’un regard, parvient à transmettre un flot d’émotions et surtout entrer en coalition avec les garçons, renforçant la tension déjà à son summum dans cette petite pièce. Plus l’action avance plus la morgue semble rétrécir et plus la volonté des personnages les plus forts écrase celle des autres. Jusqu’au bout, la tension ne nous quitte pas, à chaque instant où l’on pourrait se reposer, un autre événement vient la renforcer. Entre les volontés de chacun, on comprend la complexité de la situation qui reste du début à la fin aussi réaliste et crédible que possible.

Évidement, il y a chez Anna Fritz quelque chose d’assez troublant, presque fantastique dans la rigidité cadavérique dont elle est atteinte alors qu’elle est pourtant éveillée et dans la froideur de son corps alors qu’elle bouge, au moins les yeux. Le combat qu’elle doit alors faire afin de survivre par tous les moyens possibles fait de THE CORPSE OF ANNA FRITZ une sorte de survival unique en son genre et totalement extrême. L’actrice qui doit employer toutes les ressources dont elle dispose devient presque une martyre dont la lutte pour la survie captive le spectateur, le jetant parfois dans la situation du voyeur pas si éloignée de celle qu’occupaient au début les trois jeunes gens juste venus voir le corps. On sent d’ailleurs poindre derrière un message mais trop brièvement évoqué pour qu’on puisse retenir vraiment quelque chose.

Maîtrisé et plutôt brillant dans son écriture, THE CORPSE OF ANNA FRITZ ne brise pas d’autres tabous que la nécrophilie. Et en cela, il n’est guère original. DEAD GIRL évoquait le même sujet, quand à NECROMANTIK ou encore DELLAMORTE DELLAMORE ils avaient été plus loin dans ce thème. Ce n’est pas non plus dans le huis clos en forme de thriller psychologique pervers qu’il se montre révolutionnaire, d’autres avaient fait cela avec plus de brio, on pense à THE SERVANT ou encore LE LIMIER qui dans le style était assez renversant. Néanmoins, à défaut d’être vraiment tabou, gore ou pervers, il est un bon film, intelligent et surprenant, et donc remplit déjà bien des promesses.


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- Article rédigé par : Sophie Schweitzer

- Ses films préférés : Le bon, La brute et le Truand, Suspiria, Mulholland Drive, Les yeux sans visage, L'au-delà

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