Un texte signé Philippe Delvaux

BIFFF 2015review

The editor

On peut mesurer la percée d’un genre à l’arrivée de déclinaisons parodiques. Celles-ci ont hélas parfois pour effet d’enterrer le genre en question. Ainsi, sans parler vraiment de parodie, le glissement du western italien vers la comédie à partir de 1971 est généralement perçu comme le début de son déclin.

Autre genre phare de l’âge d’or du cinéma italien de genre, le giallo est, quant à lui, décédé au début des années ’80, supplanté par le slasher américain. Il n’est ici pas anodin, on le verra, de noter que le slasher lui-même, décline dans les années ’90, connait une nouvelle épiphanie avec une œuvre méta, SCREAM, et se voit enterré à sa suite par de pures parodies, les navrant SCARY MOVIE. Pour en revenir au Giallo, leur empreinte stylistique a marqué une génération de spectateurs qui ont fini par le faire renaitre de ses cendres. Au début des années 2000, une poignée de petits films ont rendu hommage à ce genre visuellement si spécifique du cinéma transalpin. Regroupés par facilité sous l’étiquette de néo-giallo, ils évoluent entre cinéma amateur laborieusement appliqué et pure pépite cinéphile. Parmi ces derniers, on relève le cinéma de Cattet et Forzani (AMER, L’ETRANGE LUEUR DES LARMES DE TON CORPS) ou celui de Peter Strickland (BERBERIAN SOUND SYSTEM et THE DUKE OF BURGUNDY). Avec eux, le néo giallo a trouvé ses maitres, qui livrent des œuvres discursive sur le genre (tout comme avait pu le faire SCREAM pour le slasher), tout en déployant une splendeur visuelle qui dépasse le plus souvent la production référencée.

On retient ici plus particulièrement le BERBERIAN SOUND STUDIO de Peter Strickland puisque THE EDITOR joue clairement sur la même idée : un thriller dont l’intrigue se déroule lors de la postproduction d’un film de genre qu’on devine italien.

Si BERBERIAN SOUND STUDIO s’attardait à cet élément fondamental au genre (et au cinéma dans son ensemble) qu’est le son, THE EDITOR analyse quant à lui cet autre essentiel que constitue le montage. Les meilleurs giallos ont en effet pour caractéristiques d’avoir exploré les plupart des aspects techniques du cinéma, cherchant des couleurs sonores inédites, ou un montage non classique.

Mise en abime scénaristique, THE EDITOR suit la production d’un film policier au sein duquel se déroule des meurtres. Le film investit la « réalité » et les deux se confondent jusque dans la très belle et onirique pirouette finale (qui, elle aussi, n’est pas sans rappeler BERBERIAN SOUND STUDIO).

THE EDITOR est un petit budget, mais qui fait tout pour ne pas le montrer à l’écran. Le film est au contraire généreux pour le nombre de ses protagonistes, de ses lieux, de ses péripéties, de ses décors. On en a pour son argent.

Néo Giallo, on l’a dit, mais aussi parodie : la tonalité ouvertement comique fait rire de ce cinéma du passé, dont certains codes n’ont pas très bien passé l’épreuve du temps, tel le machisme affiché de ses protagonistes… ou le sous-texte homosexuel. Le néo Giallo recrée le plus souvent les codes de cette époque sur un mode déférent tandis qu’ici, on se situe plutôt dans l’irrévérence. On sent les auteurs amoureux d’un genre dont ils n’hésitent pourtant pas à se moquer.

Et ça fonctionne. On rira de bon cœur avec le film… si du moins on n’est pas tout à fait étranger aux grandes œuvres de genre du passé. Les références abondent en effet, et en premier celles à Dario Argento (le couteau dans l’œil, un livre intitulé « Les trois mères », l’omniprésence des filtres bleus et rouges…)

Caricaturaux, les personnages se limitent à incarner des archétypes. Le jeu est outré, et ne donne pas lieu à une quelconque identification. A côté d’un héros, le monteur, suspect des meurtres et dissimulant son passé, on retrouve donc une ex starlette qui se noie dans l’alcool, des acteurs égocentriques, un inspecteur incompétent mais priapique, un producteur inculte (il confond Einstein et Eisenstein, le premier grand maitre … du montage).

L’intrigue est généreuse, les personnages pléthoriques… parfois un peu trop. Centré sur un monteur, le film aurait justement gagné à quelques resserrages à ce niveau. Rien de rédhibitoire cependant.
Refusant le formatage des grandes productions contemporaines, THE EDITOR met un point d’honneur à respecter une tradition d’époque du cinéma de genre : un bon gros quota de nudités, généreusement frontalement dévoilées. Dieu que c’est agréable. Les filles nues reviennent comme un gimmick, systématiquement présentes en arrière-plan dès qu’une scène implique le producteur, participant de l’archétype de celui-ci… et on ne s’en plaindra pas.

S’il ne peut rivaliser avec les authentiques chefs d’œuvre du néo Giallo signés Cattet-Forzani ou Strickland, THE EDITOR n’en reste pas moins un plaisir coupable de cinéphile déviant que tout lecteur de Sueurs Froides devrait découvrir.

THE EDITOR a été présenté en séance de minuit au 33e Brussel International Fantastic Film Festival.

Retrouvez nos chroniques du BIFFF 2015


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- Article rédigé par : Philippe Delvaux

- Ses films préférés : Marquis, C’est Arrivé Près De Chez Vous, Princesse Mononoke, Sacré Graal, Conan le Barbare

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