Un texte signé Philippe Delvaux

Corée - 2013 - Yeon-Sik Jeong
Titres alternatifs : The five
Interprètes : Sun-a Kim, Dong-seok Ma, Jung-keun Shin, Chung-ah Lee, In-gi Jung

asian-scansBIFFF 2014DossierL'étrange Festival 2014

The fives

Un pervers rôde, en recherche de jeunes femmes qu’il torture et tue après les avoir draguées sur Internet. Parfaitement discret, il reste insaisissable des autorités. Aussi, quand une enfant lui adresse la parole alors qu’il allait approcher une de ses condisciples, elle sugne son arrêt de mort. Ne pouvant tolérer aucun témoin à ses agissements, personne qui pourrait le reconnaitre, il repère son domicile. De nuit, il s’introduit au sein de la demeure et en massacre entièrement la famille… ou presque.

Laissée pour morte, Eun-Ah est la seule rescapée, mais, paralysée des jambes, clouée dans une chaise roulante, elle a désormais perdu tout goût de vivre. Seule la motive encore un irrépressible désir de se venger de son tortionnaire. Pour arriver à ses fins, elle est prête à tout… même à se sacrifier…

Des malades se savent condamnés car ils appartiennent à un groupe sanguin rare qui ne rend compatible que la greffe dont ils ont besoin en provenance d’un donneur du même groupe. Face à la pénurie de donneur, Eun-Ah, qui est dotée de ce groupe, promet d’offrir ses organes, et donc sa vie, à ceux qui pourraient lui apporter leur aide. Ainsi se constitue bientôt une équipe de cinq personnes au seuil de la mort, mais prêtes pour sauver in extremis leur vie à traquer le tueur.

Première réalisation de Yeon-Sik Jeong, THE FIVES est une adaptation de sa propre bande dessinée, ou plus exactement de son webcomics, « The 5ive Hearts ».

Décidemment, les ponts entre bande dessinée et cinéma n’auront jamais été aussi nombreux que ces dernières années, et ce dans tous les pays où ces deux arts sont fortement développés : Etats-Unis, Japon, Corée, France…

Ces synergies interdisciplinaires traduisent une tendance lourde qui veut que l’expression artistique devienne une « marque » qu’il convient de décliner sur un maximum de supports.

Ces dix dernières années, l’autre trend est de confier l’adaptation cinéma aux auteurs mêmes de l’œuvre dessinée, alors qu’auparavant, sans être parfaitement séparés, les deux métiers restaient souvent distincts. Il y a là d’un côté un gage de respect du matériau de base, en réaction aux transcriptions passées trop éloignées de l’œuvre d’origine. Mais, d’un autre côté, cette méthode n’est cependant pas sans risque : la grammaire du neuvième art reste bel et bien différente de celle du septième, bien des adaptations malheureuses peuvent en témoigner. Pourtant, notre culture contemporaine, qui glisse doucement d’une prédominance du texte à celle de l’image, et même de l’image animée, tend à améliorer la compréhension du médium cinéma, tant par le public que par ces nouveaux praticiens.

Si la bande dessinée destinée aux adulte a pris son essor en Occident dans les années ’70, l’Asie avait, pour sa part, déjà de longue date intégré un marché bien plus large que celui des seuls enfants.

Aussi n’est-on pas surpris de voir que THE FIVES est d’origine coréenne, pays dont le cinéma de genre s’est emparé à la fois de thèmes et d’une imagerie particulièrement forts depuis quelques années. On peut parler d’une spécificité du cinéma coréen dans ces métrages à vocation moraliste, qui s’en vont farfouiller dans ce que la psyché humaine a de plus tortueux et torturé. Le cinéma de Park Chan Wook d’une part, OLD BOY en tête, et celui du Kim Jee Woon de J’AI RENCONTRÉ LE DIABLE d’autre part sont les deux grands jalons de cette tendance. Les voilà rejoints, à un niveau d’ambition moindre cependant, par THE FIVES qui, à l’instar des films précités, nous parle moins de vengeance que de son fondement, ses implications, et, in fine, son coût. Le cinéma coréen arrive à nous parler d’éthique, du bien et du mal, sans prodiguer de leçon. Moraliste donc, mais pas moralisateur.

La force du cinéma coréen repose en partie aussi sur la mise en scène de la violence. Si dorénavant, la plupart des traditions cinématographiques contemporaines ont notablement augmenté leur niveau de violence graphique, c’est bien en Corée que la démarche a été poussée à son paroxysme. Car ici on ne se contente pas d’y filmer les coups avec inventivité, mais on s’attarde aussi et surtout sur les corps endolori, meurtri. En Corée, on souffre au cinéma !

Sans cependant tester nos limites en la matière, THE FIVES n’est donc cependant pas à conseiller à ceux qu’effarouche le spectacle doloriste.

Si Yeon-Sik Jeong interroge en premier lieu notre rapport moral aux choix posés par son héroïne, incidemment, il glisse aussi le thème de l’artiste pervers, qui crée à partir de la douleur et de la mort d’autrui. Ce n’est certes pas un thème nouveau, mais on se souvient qu’il avait été abordé, incidemment, en bande dessinée par Enki Bilal. Rapporté aux enjeux du cinéma contemporain, on peut prêter à ce pan du scénario une intention discursive sur le cinéma dont fait justement partie THE FIVES. De la relation entre art et perversité, de la frontière éthique de l’art, on glisserait alors à une réflexion, heureusement plus saine, sur le rapport entre art et mercantilisme d’une part, art et voyeurisme de l’autre, qui embrase régulièrement le cinéma de genre. Il n’est que de voir la polémique ayant entouré un autre film coréen programmé au BIFFF qui quoique très différent (et à la portée notablement moins commerciale), faisait lui aussi appel à un niveau de violence élevée : MOEBIUS, dont la sortie en Corée n’a été autorisée qu’après coupure de séquences estimées trop perverses. C’est ce type de questionnements qui font de THE FIVES ou de MOEBIUS des œuvres à recommander.

Pour autant, tout n’est pas parfait dans THE FIVES. Les faiblesses du film découlent de son statut d’adaptation : on perçoit encore le matériau de base, notamment par une petite baisse de régime en milieu de métrage. Les rythmes d’une bande dessinée, et moins encore ceux d’un feuilleton dessiné, ne sont pas ceux d’un film ! En outre, les changements d’attitude finale de certains comparses de Eun-Ah peuvent paraitre un forcés et peu convaincants. Rien de rédhibitoire cependant, THE FIVES reste globalement une belle réussite.

Gros succès au Box-office de son pays natal où il est sorti en novembre 2013, THE FIVES a été présenté en compétition Thriller du 32e Festival International du Film Fantastique de Bruxelles (BIFFF).


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- Article rédigé par : Philippe Delvaux

- Ses films préférés : Marquis, C’est Arrivé Près De Chez Vous, Princesse Mononoke, Sacré Graal, Conan le Barbare


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