Un texte signé Éric Peretti

Allemagne - 1990 - Christoph Schlingensief
Titres alternatifs : Das deustsche Kettensäger Massaker
Interprètes : Karina Fallenstein, Susanne Bredehöft, Artur Albrecht, Volker Spengler, Alfred Edel, Brigitte Kausch, Dietrich Kuhlbrodt, Reinald Schnell, Udo Kier, Irm Hermann, Eva-Maria Kurz, Ingrid Raguschke, Kurt Wiedemann, Renate Koehler

DossierLUFF 2012retrospective

The German Chainsaw Massacre

La rétrospective consacrée à Schlingensief lors de l’édition 2012 du LUFF fut l’occasion de découvrir l’univers totalement barré de ce cinéaste décédé hélas trop tôt. Après avoir filmé les dernières heures du Führer et ses proches dans 100 YEARS ADOLF HITLER, Christoph Schlingensief prend pour point d’encrage du second volet de sa Trilogie Allemande le jour de la réunification, le 3 octobre 1990, soit un peu moins d’un an après la chute du Mur. Il ouvre son film sur des images documentaires de la cérémonie officielle devant le Reichstag, nous laissant entendre des extraits d’un discours plein de promesses d’avenir, avant que des feux d’artifices viennent éclairer la foule qui entonne l’hymne national.
Mais le récit de THE GERMAN CHAINSAW MASSACRE s’annonce moins porteur d’espoir comme le laisse présager les cartons explicatifs en début de métrage. Depuis l’ouverture des frontières le 9 octobre 1989, des centaines de milliers de citoyens est-allemands ont quitté leur pays et vivent aujourd’hui anonymement parmi nous. Mais 4% d’entre eux ne sont jamais arrivés… Clara vit à Leipzig dans un appartement miteux. Lorsque son mari lui annonce qu’il a trouvé du travail à l’Ouest, elle le poignarde et quitte le pays pour aller rejoindre son amant Artur. Après avoir rencontré quelques difficultés avec des gardes-frontières désœuvrés et visiblement incapable de s’adapter à cette nouvelle réalité, elle finit par rejoindre Artur dans une zone industrielle. Là, le couple est attaqué par un maniaque coiffé d’un casque de la Whermacht orné de deux saucisses. Artur est laissé pour mort et la jeune femme réussit à trouver refuge dans un hôtel tenu par une famille bien étrange…
Toute ressemblance avec les films de la saga MASSACRE À LA TRONÇONNEUSE est évidemment volontaire. Mais le film de Schlingensief ne se contente heureusement pas d’être une simple transposition germanique des classiques texans, et propose une vision peu engageante de l’accueil réservé aux est-allemands par leurs cousins germains. À l’inverse des films de Tobe Hooper, THE GERMAN CHAINSAW MASSACRE présentent les habitants de l’Ouest comme des dégénérés qui ne voient en leurs nouveaux compatriotes que de la viande bon marché. Ancrés dans la vision d’un passé glorieux, mais qui a été souillé et perverti par le nazisme, les membres de la famille cannibale se livrent à l’inceste, conservent le cadavre décharné du grand-père, avec qui le patriarche Alfred converse en imitant sa voix, dans son prestigieux uniforme de la Wehrmacht, et se vautrent dans un capitalisme outrancier en revendant les saucisses de leur fabrication. La liberté dont ils disposaient en vivant du bon côté du mur les a perverti et fait régresser au rang d’animaux. Ceux qui viennent de l’Est sont au contraire plein d’entrain à l’idée de la nouvelle vie qui s’offre à eux et ne comprennent pas le déferlement d’horreur qui s’abat sur leur personne, à l’image de cette femme qui hurle « mais nous ne sommes qu’un peuple » alors qu’elle est poursuivie par l’un des membres de la famille cannibale armé d’une tronçonneuse. Privés de tout sous le joug d’un régime totalitaire, ils sont littéralement cannibalisés en tentant de réaliser leurs rêves. Le slogan du film nous avait d’ailleurs prévenu : « Ils sont venus en amis, et sont devenus saucisses ».
Avec à peine soixante minutes au compteur, le film avance à une allure folle sans jamais laisser de répit aux spectateurs, versant allègrement dans le gore et la provocation. Le grain si particulier d’un tournage en 16mm renforce le côté poisseux de l’ensemble, faisant un clin d’œil aux films de son compatriote Jörg Buttgereit, et l’humour férocement absurde aide à faire passer la pilule. Tourné avec un budget minuscule, dans un décors industriel lugubre, THE GERMAN CHAINSAW MASSACRE détourne, astucieusement mais sans finesse, l’imagerie et les codes du cinéma d’horreur au profit d’une bravade politique qui sonnait, en 1990, comme un avertissement pour l’avenir.


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- Article rédigé par : Éric Peretti

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