retrospective

The King of New York

Jack White sort de prison après avoir purgé sa peine. Il reprend vite sa place de leader dans le trafic de drogue, quitte à marcher sur quelques orteils fragiles. Mais il a des projets : entrer en politique et participer à la construction d’un hôpital pour enfants avec son argent sale. C’est sans compter sur l’inspecteur Bishop et ses amis de la police de New York qui vont tout faire pour le faire tomber à nouveau.

Dans THE KING OF NEW YORK, Ferrara introduit toute une clique d’acteurs qui allaient devenir des icônes dans les années 90. Larry Fishburne ne s’appelait pas encore Laurence et ne distribuait pas de pilules sous le nom de Morpheus (MATRIX, 1999). David Caruso attendra 1993 et son rôle dans la série NYPD BLUE pour se faire réellement connaître. Steve Buscemi et John Turturro – qui n’ont que des petits rôles dans le film de Ferrara – commençaient la même année leur collaboration avec les frères Coen (MILLER’S CROSSING, 1990), collaboration qui allait s’avérer fructueuse. Wesley Snipes, enfin, n’allait sortir de son relatif anonymat que l’année suivante, grâce au JUNGLE FEVER de Spike Lee et au NEW JACK CITY de Mario Van Peebles – film qui partage avec THE KING OF NEW YORK bien plus qu’un seul acteur.
Il n’y avait guère que Christopher Walken qui était déjà une figure connue, et qui allait le rester tout au long de ces années 90.
Le réalisateur, quand à lui, n’est pas un nouveau venu – il a déjà 6 films à son actif – mais c’est vraiment THE KING OF NEW YORK qui propulsera Ferrara sur le devant de la scène.
Malgré donc l’absence de noms vendeurs à son générique, et après une réception un peu froide du fait de son extrême violence et de ses thèmes dérangeants, THE KING OF NEW YORK va connaître un beau succès critique, et un relatif succès public – le film étant maintenant devenu culte.

C’est un prélude à ce que sera une grande partie de la filmographie du réalisateur. Il y introduit un de ses thèmes chers : la rédemption. Thème qu’il explorera encore notamment avec BAD LIEUTENANT (1992) et THE ADDICTION (1995), deux films qui pourraient presque constituer une trilogie avec celui qui nous occupe.
Ici, la rédemption concerne le personnage de Jack White, que l’on n’arrive jamais ni à aimer, ni à détester complètement. Souvent présenté comme un symbole de pureté dans le monde pourri du trafic de drogue – son nom, bien sûr, qui signifie blanc ; sa paleur parfois renforcée par un éclairage très froid, le rendant presque translucide – il l’est surtout en contraste avec l’univers dans lequel il navigue, comme le prouve cette scène qui nous montre White sous la douche, se lavant tranquillement pendant que son équipe de petits truands fait le sale boulot. Il est à proprement parler blanc comme neige.
C’est bien entendu parfaitement faux. White est un type violent et radical, qui ne recule devant pas grand chose pour devenir le fameux ‘Roi de New York’ du titre. Pourtant, dans cette ville sombre, humide et sale – telle que la dépeint la photo très contrastée de Bojan Bazelli – il a le désir d’aider les plus démunis. Pas toujours de la meilleure manière, comme quand il propose de rejoindre son gang à une bande de trois jeunes qui essaient de lui faire les poches dans le métro. Son seul vrai acte de charité serait la construction de cet hôpital pour enfants dans un quartier pauvre, et cela semble être le résultat d’une longue réflexion du personnage en prison. En effet, il se donne un an pour prouver qu’il peut faire autre chose, que son argent peut être utilisé à de bonnes fins, même s’il est obtenu par la vente de produits stupéfiants à la même communauté qu’il souhaite aider. Personnage contradictoire, Jack White ? Oh que oui. Comme l’est le bad Lieutenant du film éponyme, qui n’hésite pas à vendre et consommer de la drogue et à agresser sexuellement dans le même temps où il veut rendre justice à une nonne violée. Personne n’est ni tout blanc ni tout noir dans les films de Ferrara.
C’est d’ailleurs un des principaux problèmes de Jack White dans THE KING OF NEW YORK : persuadé de la loyauté de ses comparses, il vit très mal chaque suggestion de trahison de leur part. Alors qu’après tout, ce sont des truands, que peut-on attendre de plus de leur part ? À l’instar de réalisateur comme Scorcese – notamment avec LES AFFRANCHIS sorti la même année – qui aiment explorer le monde de la mafia, Ferrara essaye de mettre en lumière les valeurs qui motivent ses bandits : le sens du sacrifice, la fraternité.
Si ici la volonté de rédemption de White n’est pas inspirée par des croyances religieuses, de nombreux symboles chrétiens jalonnent le film, et particulièrement dans la scène finale qui se déroule sous les yeux impassibles d’un ange posé sur le tableau de bord d’un taxi. Jack White, ange déchu ?

Un autre aspect fondamental du film est sa filiation avec la blacksploitation. La plus grande partie du cast est black, provoquant un fort contraste avec l’extrême paleur de White et les cheveux roux flamboyant du personnage interprété par Caruso, entre autres. Et contrairement à nombre de films traitant de la population noire américaine en relation avec le banditisme, tous ne sont pas du mauvais côté de la barrière. Et inversement, puisque le chef de la bande est White.
Un des premiers films hip-hop, THE KING OF NEW YORK est mis en musique en partie par le rappeur Schoolly D, renforçant encore son appartenance au genre.
Que ce soient son thème général, sa représentation de l’ascension et de la chute d’une figure proéminente de la pègre, ou son cast – Wesley Snipes en tête – THE KING OF NEW YORK est aussi à rapprocher de NEW JACK CITY (1991), un des films les plus importants du genre et réalisé par Mario Van Peebles.

Enfin, puisque c’est un film de gangster, il faut bien traiter de leur plus grand ennemi : la police.
Ici, elle est réduite à un rôle de pantin – comme en témoigne la pièce de théâtre moderne à laquelle assiste White et qui montre un policier se faire tirer dessus. Et c’est sûrement pour cela que Bishop et ses deux comparses se mettent en quatre pour faire tomber White, quitte à pencher du côté obscur. Le vieux flic aigri qu’est Bishop n’arrive pas à maîtriser les jeunes flics qui l’accompagnent, ce qui conduit à la mort de Tommy (Snipes) que Dennis (Caruso) vengera en descendant Jump (Fishburne) et en le laissant souffrir de la plus horrible des façons. Les flics de THE KING OF NEW YORK ne sont pas des exemples de droiture et de compassion.

Film de gangster violent, film à résonnance mystique, film de genre… THE KING OF NEW YORK est tout à la fois, présentant une image de la ville en trois dimensions : les bas quartiers où la drogue circule, les salons de luxe et le New York du quotidien. Jack White, à cheval entre les deux premiers mondes, trouvera sa chute dans le troisième, réintégrant la réalité pour y disparaître.

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