The living dead at Manchester morgue

Un texte signé Alexandre Lecouffe

Espagne- Italie - 1974 - Jorge Grau
Titres alternatifs : Let sleeping corpses die, Le massacre des morts vivants
Interprètes : Ray Lovelock, Cristina Galbo, Arthur Kennedy

Le réalisateur espagnol Jorge Grau n’est en aucun cas un spécialiste du cinéma fantastique ou horrifique mais il se trouve que si son nom est encore cité aujourd’hui, c’est grâce à son unique « zombie-flick » qui est aussi le premier véritable film de morts-vivants européen(s). Si Jorge Grau fut assistant-réalisateur sur quelques péplums au tout début des années 60 (LE COLOSSE DE RHODES de Sergio Leone, tout de même, en 1961), on retient surtout son appartenance à « L’école de Barcelone », collectif de cinéastes catalans influencés par la Nouvelle Vague française et oeuvrant pour un cinéma à la fois expérimental et viscéralement antifranquiste (groupe auquel appartenait aussi entre autres Vicente Aranda, réalisateur du magnifique LA MARIEE SANGLANTE, 1972). Les films de Jorge Grau sont donc durant les années 60 plutôt axés sur la critique sociale ou le drame mais le réalisateur oeuvrera ensuite à plusieurs reprises dans le cinéma de genre, livrant notamment CEREMONIE SANGLANTE (1973, probablement le meilleur film inspiré de la sulfureuse Erzsébet Bathory), LOVE LETTERS OF A NUN (1978, un faux « nunsploitation » assez subtil) ou THE HUNTING GROUND (1983, un « rape and revenge » à moitié réussi).

George, un jeune antiquaire, part se reposer dans la campagne près de Manchester ; dans une station-service, sa moto est accidentée par Edna, une jeune femme qui le prend alors en voiture. Lors d’un arrêt, Edna est agressée par un homme d’allure très inquiétante et plus tard, le même homme attaque et tue le compagnon de sa sœur à qui elle venait rendre visite. George, qui n’a assisté à aucune des deux agressions va cependant faire le lien entre la recrudescence d’actes violents et inexpliqués autour du village et l’utilisation d’une machine agricole expérimentale à ultrasons dans les environs. Peu après, George et Edna sont assaillis par un groupe de morts-vivants ; ils en réchappent mais leur histoire ne convainc pas la police et certainement pas l’inspecteur en charge du meurtre du beau-frère d’Edna qui se persuade même que ce couple un peu « hippie » a inventé une histoire de résurrection pour camoufler un crime…

THE LIVING DEAD AT MANCHESTER MORGUE (connu sous de multiples autres titres dont LE MASSACRE DES MORTS-VIVANTS chez nous), coproduction italo-espagnole tournée en majeure partie en Grande-Bretagne (les techniciens et une part du casting sont anglais) fut ouvertement conçu comme une variante en couleur de LA NUIT DES MORTS-VIVANTS de George Romero (1968). Si les références et les points communs avec l’œuvre matricielle du réalisateur américain sont évidents (la première attaque du zombie dans le cimetière cite clairement la scène inaugurale du Romero, il en est de même pour la séquence du petit festin cannibale à base de tripaille), Jorge Grau s’en démarque et livre sa vision de film de morts-vivants. La dimension à la fois métaphorique et nihiliste du modèle « romérien » n’est pas vraiment conservée ici où l’on a préféré développer un plausible récit de science-fiction traitant de mutation, de contamination radioactive qui évoque plutôt l’esprit des bandes de sf/horreur des années 50 (DES MONSTRES ATTAQUENT LA VILLE de Gordon Douglas, 1954).Par ailleurs, le film prend comme point d’ancrage un contexte social et politique bien précis, fait d’inquiétudes écologistes et de contestation politique : George, le personnage principal (le beau gosse Ray Lovelock, qui débuta sa carrière dans le génial TIRE ENCORE SI TU PEUX de Giulio Questi, 1967) incarne ces deux tendances qui l’opposeront violemment au flic obtus et ultra-réactionnaire interprété par Artur Kennedy (celui qui fut cow- boy chez Fritz Lang ou Anthony Mann jouera dans les années 70 dans de nombreuses séries B, souvent italiennes : L’ANTECHRIST de Alberto de Martino, 1974 ou L’HUMANOIDE de Aldo Lado, 1979).Ce dernier symbolise bien l’ordre établi et la société sans conscience qui refuse d’accepter l’idée d’un dérèglement, d’une menace venant de l’intérieur et préfère assimiler cette menace à un ennemi » qu’il peut facilement accuser de tous les maux (George le « hippie » est forcément un émule de Charles Manson !). Basé sur un récit de conflit (contre toute attente, le scénario évite le développement un peu cliché montrant généralement le flic borné mais expérimenté qui finit pas se ranger au point de vue éclairé du « héros »), le film de Jorge Grau joue également sur un puissant effet de contraste en situant sciemment le danger et en figurant l’horreur organique dans un cadre on ne peut plus paisible et bucolique. Cette dichotomie permet au réalisateur de décupler l’impact visuel et émotionnel des scènes d’attaques des morts-vivants. Ces derniers, assez fraîchement sortis de la tombe, revêtent un aspect réaliste tout à fait glaçant et leur état de légère décomposition physique et mentale est magnifiquement rendu par le génie italien du maquillage, Giannetto de Rossi. Celui qui oeuvrera plus tard sur les films d’horreur « hard-gore » de Lucio Fulci (L’ENFER DES ZOMBIES, 1979) orchestre ici une série de plans choc du plus bel effet : un policier est éviscéré puis énucléé avant d’être dévoré, une femme a un sein arraché avant d’être littéralement déchiquetée…Certaines images offrent des analogies évidentes avec l’univers putride en devenir du réalisateur italien, de même que certaines scènes préfigurent clairement l’ambiance et l’esthétique qu’il développera, notamment dans LA MAISON PRES DU CIMETIERE (1981) dont le final semble une reprise (amplifiée et poussée à l’extrême dans l’horreur et le macabre) de la séquence d’anthologie du film de Jorge Grau qui voit les deux protagonistes assiégés par les morts-vivants dans un caveau. Il en est de même de l’excellent massacre/crescendo final dans l’hôpital et sa morgue qui n’est pas sans rappeler telle fameuse séquence de L’AU-DELA (1980) ou de l’utilisation dans la bande sonore de râles sépulcraux qui font écho à ceux employés par Lucio Fulci. THE LIVING DEAD AT MANCHESTER MORGUE bénéficie depuis quelques années d’un statut de « cult-movie » ; pour une fois, ce titre n’est pas usurpé tant le film de Jorge Grau s’impose comme une œuvre charnière, un lien essentiel entre les zombies « politiques » de George Romero et ceux, poético-morbides de Lucio Fulci.


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- Article rédigé par : Alexandre Lecouffe

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