The mad doctor of market street

Un texte signé Alexandre Lecouffe

U.S.A. - 1942 - Joseph H. Lewis
Interprètes : Lionel Atwill, Una Merkel, Nat Pendleton

C’est au tout début des années 30 que le petit studio Universal, sous l’impulsion de son directeur Carl Laemmle Jr. (le fils du fondateur) va produire une série de films d’épouvante qui fera date et qui reste chère au cœur des amateurs de fantastique. Une première période (1931-36) voit la naissance de chefs d’œuvre tératologiques tels que DRACULA (Tod Browning, 1931), FRANKENSTEIN (James Whale, 1931), LA MOMIE (Karl Freund, 1932), L’HOMME INVISIBLE (James Whale, 1933), LE CHAT NOIR (Edgar G. Ulmer, 1934) ou LA FIANCEE DE FRANKENSTEIN (James Whale, 1935). Le succès phénoménal de ces films souvent novateurs sera suivi d’une seconde vague (1939-45) qui épuisera le filon du « monster movie » en enchaînant une série de bandes souvent moins réussies, suites bancales, « cross-over» improbables, remakes puis parodies (LE LOUP- GAROU, 1941, de George Waggner, FRANKENSTEIN RENCONTRE LE LOUP-GAROU, 1943, de Roy W. Neill, LA MAISON DE DRACULA, 1945, de Erle C. Kenton…).
THE MAD DOCTOR OF MARKET STREET fait partie des titres à très petit budget de la compagnie et son réalisateur est plutôt à l’époque un spécialiste du western de série Z travaillant souvent pour le très petit (mais mythique) studio Monogram. Joseph H.Lewis, qui a réalisé l’année précédente un « whodunit », LE FANTOME INVISIBLE, avec Bela Lugosi, accèdera plus tard au statut mérité d’auteur de série B en signant de puissants et stylisés films noirs : LE DEMON DES ARMES (1949) ou ASSOCIATION CRIMINELLE (1954) pour ne citer que deux titres devenus cultes.

Le savant Ralph Benson a mis au point un sérum permettant la résurrection d’animaux morts quelques minutes auparavant. Contre une forte somme d’argent, il convainc un homme d’être son premier cobaye humain ; l’expérience échoue et le pseudo-scientifique est poursuivi par la police pour meurtre. Il embarque alors sur un navire en partance pour la Nouvelle-Zélande et précipite par-dessus bord un policier qui était à ses trousses. Un incendie dévaste ensuite le paquebot et un petit groupe de passagers, dont le sinistre docteur, échoue sur une île peuplée de natifs peu accueillants qui souhaitent vivement les sacrifier par le feu ! C’est alors que notre anti-héros propose au chef de la tribu de ramener à la vie son épouse qui vient d’expirer ; l’expérience réussira-t-elle cette fois ? Le sort de tous est entre les mains du docteur fou…

Les deux premières séquences du film posent en quelques minutes les bases d’une atmosphère à la fois mystérieuse et macabre, comblant l’horizon d’attente d’un spectateur venu chercher, derrière le titre explicite de l’œuvre, sa dose de frissons malsains…Ruelles sombres, trottoirs luisant sous la pluie, silhouette en imperméable et chapeau, gros plan de visage exprimant la fatalité du destin, l’incipit de THE MAD DOCTOR OF MARKET STREET fleure bon le film noir avec l’arrivée de celui qui sera le cobaye du savant fou… La séquence suivante, dans l’antre du docteur Benson, installe quant à elle une tonalité horrifique : laboratoire encombré d’étranges fioles et flacons, demi-pénombre éclairée par l’orage, propos sinistres du protagoniste (« Rassurez-vous, si l’expérience échoue, l’argent ira à votre veuve… »). Ce dernier est interprété par l’inquiétant Lionel Atwill, habitué à ce type de personnages, mi-géniaux, mi-dérangés : il fut notamment le héros des excellents DR.X (1932) et MASQUES DE CIRE (1933) de Michael Curtiz.La suite du métrage ne lui donne malheureusement pas l’opportunité de développer suffisamment son personnage, son caractère double, à la fois inquiétant et séduisant n’est jamais qu’esquissé et les séquences se déroulant à bord du bateau vont même jusqu’à laisser de côté ce « villain » au profit des personnages qui formeront le petit groupe de naufragés. Si cette partie permet de poser efficacement les lignes du schéma actanciel à venir (nous devinons que la jeune Patricia sera convoitée par Red, le séduisant boxeur, que le steward Jim servira de faire-valoir, que le capitaine apportera un peu d’humour et de panache, etc…), elle fait également retomber la tension dramatique et la noirceur qui imprégnaient le film jusqu’au meurtre du policier. L’arrivée sur l’île sauvage fait entrevoir l’espoir d’un déroulement fantastique du récit, quelque part entre KING KONG (Ernest Shoedsak, Merian C.Cooper, 1933) et L’ILE DU DOCTEUR MOREAU (Erle C.Kenton, 1933). Nous resterons évidemment à des années lumières de ces deux chefs d’œuvre, le long métrage de Joseph H. Lewis se révélant un inoffensif film de jungle dénué de toute folie, de tout érotisme (même métaphorique !) et de tout sadisme, à la différence des « monster movies » datant du « Pré-Code ». L’intrigue insulaire se suit alors sans déplaisir mais sans surprise et si l’on remarque, au détour d’une scène, quelques beaux effets techniques (le réalisateur nous gratifiant de plusieurs longs travellings et plans-séquences notables), THE MAD DOCTOR OF MARKET STREET souffre d’un manque d’originalité et sa durée de moyen métrage (soixante minutes tout juste !) ne lui permet pas de dépasser le cadre un peu exigu de petit film de série. Un titre mineur d’un auteur qui ne l’est pas…


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- Article rédigé par : Alexandre Lecouffe

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