Offscreen 2016retrospective

The Mafu cage

Cissy et Ellen, deux sœurs désormais orphelines vivent ensemble dans la luxuriante maison anglaise léguée par leur père, au retour d’une vie de zoologie africain. Ellen, l’ainée, est astronome, et veille sur Cissy, la cadette, qui passe ses journées à dessiner, notamment à perpétuer l’œuvre paternelle en croquant Mafu, leur singe domestique. Mais Cissy, qui idolâtre son père, est sérieusement perturbée et en proie à de violents accès de colère dès que quelqu’un la touche. Le pauvre Mafu, victime régulière, a dès lors déjà connu de nombreuses incarnations. Après qu’un nouveau Mafu ait succombé aux coups de Cissy, Ellen décide de ne plus lui en fournir, ce qui enrage d’autant plus la cadette. Surtout lorsqu’elle commence à comprendre que sa sœur se rapproche un peu trop d’un collègue.

THE MAFU CAGE fait partie de ces pépites oubliées du cinéma bis, tel qu’il s’en exhume sporadiquement. Un film oublié, qui n’a pas accédé au statut d’œuvre culte et n’a pas joui d’une grande popularité. Ce genre de film qu’il est d’autant plus intéressant de retrouver que ses qualités auraient dû de longue date lui assurer une plus grande visibilité.

En l’espèce, THE MAFU CAGE a même eu les honneurs d’une sélection cannoise en 1976. Et c’est peut-être ce qui coince : trop bizarre pour le cinéma d’auteur classique, trop classique pour le « bis », THE MAFU CAGE aura commis l’erreur de se situer dans cet entre-deux qui en complique la lisibilité pour un public ou une critique friande de box bien compartimentées. Dommage pour eux, ils seront passés à côté d’un très bon film.

Plusieurs éléments contribuent à cette réussite. On pointera évidemment la direction artistique, et spécialement le décor de ce cottage anglais, envahi de plantes et de meubles exotiques, recréant un microcosme africain où ont grandi nos deux sœurs.
On parlera aussi bien entendu de cette merveilleuse performance d’actrice de Carol Kane, qui joue une Cissy tour à tour candide ou enragée, passant d’un état d’esprit à l’autre avec un aplomb remarquable.

THE MAFU CAGE, on l’a dit, n’est en rien un film « bis », c’est une œuvre parfaitement maitrisée, qui a trouvé le ton juste pour raconter une histoire forte. Cette dernière est tirée de la pièce d’Éric Westphael « Toi et tes nuages”.

Karen Arthur, la réalisatrice, a essentiellement œuvré à la télévision. Peu avant THE MAFU CAGE, elle adaptait une autre pièce pour le grand écran, qui semble être sortie en France en 1976. LEGACY, que nous n’avons pas vu, semble aussi traiter de femmes psychologiquement instables.

Lee Grant (Ellen) connait alors une certaine notoriété après avoir été tête d’affiche sur LES NAUFRAGÉS DE L’ESPACE, LA MAIN DU POUVOIR (CRIME À DISTANCE), ou LES NAUFRAGÉS DU 747. Elle sera enchainera sur DAMIEN, LA MALÉDICTION 2. Carol Kane a trainé chez Mike Nichols (CE PLAISIR QU’ON DIT CHARNEL), Sidney Lumet (UN APRÈS-MIDI DE CHIEN), Woody Allen (ANNIE HALL), Ken Russel (VALENTINO) et a été tête d’affiche du DRÔLE DE SÉDUCTEUR de Gene Wilder. Par après, elle sera star sur TERREUR SUR LA LIGNE et LES JEUX DE LA COMTESSE DOLINGEN DE GRATZ, mais on la retrouvera aussi à l’affiche de PRINCESS BRIDE, FANTÔMES EN FÊTE ou les deux volets de LA FAMILLE ADAMS.

Le rapport entre hominidé et humains traverse régulièrement le cinéma : de KING KONG à LA PLANÈTE DES SINGES, mais aussi dans un rapport plus intime entre l’homme et son lointain cousin : que ce soit chez Georges Romero (INCIDENTS DE PARCOURS), ou chez Nagisa Oshima (MAX MON AMOUR). La jalousie rend dangereux : chez Romero, c’est celle du primate, ici, celle de Cissy. Chez Oshima, c’est le thème de la bestialité qui s’impose, qu’on trouvera encore au détour d’une séquence du TOUT NOUVEAU TESTAMENT (Jaco Van Dormael, 2015) où Catherine Deneuve trouve un amour sans doute plus authentiquement sauvage avec un gorille qu’avec son mari. Dans THE MAFU CAGE, la sexualité et aussi source de tension, mais le singe n’y est pour rien : Cissy qui a connu une expérience incestueuse avec Ellen (une unique fois) ne peut accepter que cette dernière s’éloigne d’elle au profit d’un autre homme. Gare à lui si l’intrus tombe entre ses mains, les précédents Mafu ont connu une fin peu enviable !

THE MAFU CAGE a connu une sortie française tardive, en avril 1982.

En 2016, THE MAFU CAGE a été reprogrammé dans le focus « driving miss crazy » du festival Offscreen. En toute fin de festival, ce dernier programmait dans la même thématique, parmi de nombreuses autres œuvres, TOYS ARE NOT FOR CHILDREN lequel n’est pas sans accointances avec le film qui nous occupe. Dans les deux cas, de jeunes femmes adultes mentalement perturbées restent bloquées en enfance, avec toute l’amoralité que cela entraine. L’une et l’autre entretiennent un rapport amoureux plus qu’ambigu avec un père absent (mort dans THE MAFU CAGE, coureur de jupon séparé dans TOYS ARE NOT FOR CHILDREN) et par un mécanisme de transfert développent une relation spécifique avec des singes ou des jouets, le tout sous l’œil impuissant de leur sœur ou mari, pour une issue fatalement tragique.

Retrouvez notre couverture de Offscreen 2016.

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