retrospective

The prosperity of vice

Dans le japon de l’ère Showa (entre 1926 et la fin de la seconde guerre mondiale), le « marquis » monte des pièces à scandales dans un théâtre underground. Le théâtre est un art révolutionnaire et il entend donc stimuler les vices de l’audience par des œuvres choquantes. Sa troupe est composée de repris de justice, voleurs, escrocs, assassins… Sa femme, ancienne prostituée, jouera les rôles de Justine et de Juliette, dans des réinterprétations tirées de l’œuvre du marquis de Sade. Mais petit à petit, les scènes de la pièce vont s’entremêler et résonner en écho à la vie de la faune peuplant cet étrange théâtre.

Étrange objet que ces prospérités du vice.

D’abord par l’ambigüité même de sa production. En 1987, éreintée sur sa gauche par le marché triomphant des “Adult videos” pornographiques qui peuvent montrer plus, et sur sa droite par un nouveau renforcement de la censure cinématographique, la Nikkatsu baisse les armes et arrête l’année suivante la production de ses Roman porno. Mais la firme ne peut pour autant délaisser entièrement ce marché ni laisser le vide ainsi créer être occupé par la concurrence. Rappelons que la Nikkatsu travaillait en système vertical, distribuant elle-même ses propres productions dans un parc de salles lui appartenant, parc qu’il faut donc continuer à pourvoir. Aussi ses dirigeants lanceront-ils une nouvelle ligne de productions, le “Ropponica”, destinée à remplacer les “Roman porno”. Ces derniers ont été conçus à leur création en 1971 comme des films à petits budgets mais à relativement haute ambition visuelle et narrative. L’arrivée des Adult video a par la suite obligé à baisser budget et ambition et les Roman porno des années ’80 se rapprochent petit à petit des productions vidéo. Les Ropponica veulent revenir aux idéaux du début du Roman porno, soit des films conservant une dimension érotique, mais où celle-ci ne serait plus prépondérante, se révélerait moins explicite (encore que le Roman porno soit toujours resté assez soft) et surtout retrouverait l’ambition narrative perdue au fil du temps.

Et l’ambigüité que nous signalions se révèle, dès lors que l’on découvre qu’un des premiers Ropponica fleurète avec le marquis de Sade, soit un des auteurs les plus scandaleux de la littérature française. Ce faisant, la Nikkatsu donne une couleur exotique – pour le public japonais – aux thèmes du sadisme qui imprègnent classiquement son cinéma érotique depuis bien longtemps et trouvent habituellement leur origine dans la culture locale (tel le shibari qui dérive des techniques de contraintes judiciaires).

Transposer Sade au cinéma… nombreux s’y sont essayés, peu y sont parvenus, comme nous le rappelle Jacques Zimmer dans son ouvrage « Sade et le cinéma » (lequel, ceci dit, ignore le titre qui nous occupe présentement). Entre l’illustration des péripéties des intrigues sadienne et la recherche de l’esprit de l’oeuvre, nombreux sont ceux qui se seront in fine égarés. On attend d’ailleurs toujours une adaptation qui retrouverait et l’esprit et la lettre de « Justine ou les infortunes de la vertu ». Celui qui parviendrait à monter et à tourner un tel projet serait assuré d’un vrai scandale comme le cinéma n’en connait que trop rarement.

Ici, on se trouve en présence d’une déambulation arty qui recherche bien l’esprit du marquis mais évite de véritablement choquer. Ni le ton, ni le fond, ni l’image ne dérangeront vraiment.

Ce point entendu, THE PROSPERITY OF VICE n’est pas pour autant dénué de qualités.

Stylistiquement, il s’agit d’une œuvre sur-travaillée, formelle à l’extrême, qui témoigne d’une impressionnante maitrise de la mise en scène. C’est une alliance magnifique de l’excellence de la photographie, de l’éclairage, du son et de la direction artistique. On se doit vraiment d’insister sur ces éléments qui créent un tout cohérent parfaitement réussi.

On se montrera hélas un peu plus dubitatif sur l’intrigue. Elle entremêle une production théâtrale adaptée de « Justine et Juliette » à la vie des occupants du lieu. Le marquis est accoquiné avec sa Juliette tout en la livrant à un de ses acteurs dont elle tombera amoureuse. Le trio se compliquant de la présence de l’ancienne maitresse du marquis.
Que l’intrigue ne soit pas parfaitement limpide comme certains le reprochent ne nous semble pas être un souci majeur. Il est des histoires qui ne révèlent leur jus qu’après une bonne nuit de sommeil, puis qui s’infusent lentement en nous. A ces jeux de l’amant et du mari se superpose une lecture métaphorique de l’ensemble : le théâtre pour figurer l’univers nationaliste et violent des années ’30 ou, dans une lecture complètement différente, comme psyché du principal protagoniste.

Non, nous avons plus été gêné par le sentiment que scénariste et réalisateur n’ont pas su trouver la transposition sadienne qu’ils cherchaient, et qui pose d’ailleurs problème, on l’a dit, à la majeure partie des cinéastes se lançant à l’assaut de l’œuvre du Divin Marquis. Placer dans la bouche des acteurs des tunnels de monologues tirés de Sade ne rend pas l’ensemble scandaleux et alourdit une intrigue qui devrait mieux passer par l’image et l’action, d’autant plus que ces tirades sont souvent déclamées par le dramaturge sur un ton monocorde ou par ses acteurs avec les accents théâtraux, certes logiques dans le contexte, mais néanmoins passablement lourds. Tout est question de feelings bien sûr et tel autre spectateur pourra sur ce point s’éloigner de notre perception. L’imbrication du théâtre dans un film et l’interaction entre ce qui se passe sur scène et dans la vie des personnages a été exploitée de bien meilleure façon quelques années plus tard par un autre magicien de l’image et de la composition, Peter Greenaway, dans THE BABY OF MÂCON.

Rappelons que D.A.S. a été incarcéré une grande partie de sa vie, et qu’il a d’ailleurs monté des pièces en prison. De là, nous pouvons mieux interpréter le fait que THE PROSPERITY OF VICE ne sort pas, avant la dernière bobine, du théâtre, monde clos sur lui-même (on ne fera d’ailleurs qu’entendre les spectateurs des pièces, sans jamais les voir). Sade et le théâtre au sein d’un film… nous voilà évidemment renvoyé au MARAT SADE de Peter Brook (1967) où la pièce traite de l’assassinat du second. En écho, PROSPERITY OF VICE évoque une tentative de meurtre contre le premier ministre japonais (qui peut peut-être aussi se lire comme une allusion à la tentative avortée et suicidaire de coup d’état d’un autre écrivain, celle de Yukio Mishima en 1970). Et pour rester encore sur Sade et le théâtre, on renvoie évidemment à cette perle du cinéma belgo français obscur, l’excellent MARQUIS, d’ailleurs contemporain de THE PROSPERITY OF VICE.

Narrativement, en cherchant un rapprochement, les transitions spatiales abruptes reliées par une même ligne de dialogue pour la continuité nous ont fait penser à une technique similairement employée par Bertrand Blier.

Akio Jissoji (1937-2006) est un réalisateur atypique. Il débute par des documentaires TV dans les années ’60, sera associé toute sa carrière aux diverses adaptations d’ULTRAMAN, mais signera aussi des films dans des registres radicalement différents comme plusieurs adaptations d’Edogawa Rampo ou encore le TOKYO: THE LAST MEGALOPOLIS, tourné peu après nos Prospérités du vice. Au début des années ’70, il signe une trilogie bouddhiste au sein de la Art Theatre Guild, société de production de film d’auteur pointu à qui on doit notamment les films de Shuji Terayama avec qui THE PROSPERITY OF VICE entretient quelques affinités. Outre le soin à la facture visuelle, les deux réalisateurs partagent un goût marqué pour les ambiances oniriques.

Au final, on déconseillera le film à ceux qui fantasment sur des fouets et de la torture – encore que l’ensemble recèle de quelques jolies scènes de domination – mais on le recommande aux amateurs de curiosité visuelles, de films arty, à ceux pour qui un film doit faire sens mais qui acceptent que celui-ci ne se dévoile pas immédiatement.

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