DossierhorizonsL'étrange Festival 2013LUFF 2012

The Secret Glory

Ne se contentant pas de son rôle de membre du jury lors de l’édition 2012 du LUFF, le réalisateur de HARDWARE et DUST DEVIL a également assuré l’accompagnement de la projection de ses documentaires lors du festival, régalant l’audience d’anecdotes sur cette partie trop peu connue de sa carrière.
Été 1993. Une nouvelle fois, Steven Spielberg vient redéfinir la notion de divertissement avec les dinosaures numériques de Jurassic Park. L’engouement pour ces créatures mythiques est total, et en Angleterre, Channel 4, dans le cadre de son excellente série de documentaires scientifiques Equinox, produit THE REAL JURASSIC PARK. Face à l’intérêt du public pour ce programme mêlant avec pédagogie culture populaire et faits scientifiques, la chaîne décide de s’attaquer à un autre film de Spielberg, LES AVENTURIERS DE L’ARCHE PERDUE.
Les dirigeants du département religion de Channel 4 contactent le cinéaste Richard Stanley et lui confient la mise en chantier de ce nouvel épisode, provisoirement titré THE REAL RAIDERS OF THE LOST ARK, qui devrait logiquement traiter autant d’occultisme que d’histoire. Ayant entrepris des études d’anthropologie lors de sa jeunesse en Afrique du Sud, Stanley réalise très vite qu’il sera impossible de satisfaire ses commanditaires. Il n’existe aucun document relatant un quelconque intérêt des nazis pour cet artefact. De plus, le bois le composant l’Arche d’alliance aurait de toutes manières été réduit en poussière par le temps. Mais poussé par l’énergie de la jeunesse, et couvert financièrement par Channel 4, Stanley débute son enquête à la manière d’un jeu de piste logique. Si l’Arche était conservée dans le Temple de Salomon, elle est devenue propriété romaine lors de la destruction du bâtiment par Titus en 70. Lors de la mise à sac de Rome par les Wisigoths en 410, tous ses trésors furent emportés par le roi Alaric et très probablement cachés au sein de son fief, la ville fortifiée de Rhedae, dans les Pyrénées, dont les ruines seraient aujourd’hui sous les rues d’un petit village nommé Rennes-Le-Château. Et c’est justement là que Stanley se rend pour débuter ses recherches sur le terrain, d’autant plus qu’à la fin des années 1890, l’abbé Saunière y aurait trouvé un mystérieux trésor dans son église.
Si aujourd’hui le village attire de nombreux curieux suite au roman de Dan Brown, Da Vinci Code, il en était autrement dans les années 90 et Stanley accède facilement, et illégalement, à l’église. Évidemment, il ne trouve aucune trace d’un quelconque trésor, et encore moins d’une occupation nazie. Obligé de justifier ses dépenses, il se rend dans le village voisin de Montségur sur les conseils d’habitants de la région qui ont souvenir de la présence d’allemands durant les années 30. Stanley sait pertinemment qu’il s’éloigne de la commande de Channel 4, mais qu’il se rapproche d’un autre mystère qu’il avait étudié dans sa jeunesse, le massacre des Cathares par l’Inquisition. Après diverses aventures à caractères fantastiques aux alentours du château de Montségur, Stanley arrive à l’hôtel Couquet et se retrouve par hasard dans une chambre autrefois occupée par Otto Rahn, un allemand dont on se souvient encore dans le village car il s’y était installé peu de temps avant la Seconde Guerre Mondiale. On raconte même qu’il était là pour mettre la main sur la relique la plus sacrée de la chrétienté, le Saint Graal.
Uniquement intéressée par l’Arche, Channel 4 stoppe les frais, mettant ainsi fin aux recherches de Stanley qui quittera la région pour se lancer dans l’aventure de L’ÎLE DU DR. MOREAU. Mais il est rapidement remercié par les producteurs du film et se voit contraint de quitter le projet, cédant la place au vétéran John Frankenheimer, pour cause de « différends artistiques ». N’ayant jamais oublié l’expérience qu’il avait vécu à Montségur, il décide d’y retourner, accompagné de son fidèle cameraman Immo Horn, pour réaliser un documentaire sur les phénomènes électriques paranormaux supposés agiter la région. Hélas, il ne s’en reproduira aucun justifiant un quelconque intérêt. Il en profite par la même occasion pour recueillir de nombreux témoignages sur ce mystérieux Otto Rahn, et se rend vite compte qu’il tient là un sujet extraordinaire qui donnera naissance à THE SECRET GLORY.
Fasciné dès l’enfance par les légendes germaniques, Otto Rahn s’intéresse très tôt à l’histoire du Graal, notamment à la version de Wolfram von Eschenbach, Parzival. Il écrira son premier livre sur le sujet, Croisade contre le Graal, en 1933, suscitant l’intérêt de Himmler. Féru de sciences occultes, le chef des SS recrute Rahn en 1935 en tant qu’archéologue, lui permettant de sillonner l’Europe à la recherche de la sainte relique. Pensant, selon ses assimilations du texte de von Eschenbach, que le château du Graal est celui de Montségur, Rahn se rend de plus en plus souvent en Ariège. Son deuxième ouvrage sur le sujet, La cour de Lucifer, sortira en 1937. Entre-temps, Rahn, devant bénéficier d’appuis considérables, progressera dans la hiérarchie nazie, devenant un proche confident d’Himmler en personne. Homosexuel, il connaît quelques ennuis en 1939 et son corps gelé sera retrouvé dans une montagne autrichienne, en mars de la même année. La thèse du suicide étant la plus probable…
Achevé en 2001, THE SECRET GLORY doit se voir, selon Richard Stanley, non pas comme une vérité définitive, mais comme un work in progress. Parsemé de nombreux témoignages, le documentaire contient quelques erreurs par omission et approximations que le réalisateur à depuis pu identifier grâce à l’ouverture de milliers de documents nazis dont l’accès était interdit au public à l’époque. Ainsi, le fait que Rahn porte l’uniforme nazi uniquement parce qu’à l’époque il n’avait pas le choix alors qu’il n’adhérait pas à l’idéologie ne serait pas totalement correct. On sait qu’il a travaillé dans le camp de Dachau, officiellement pour tester ses convictions, et qu’il a fréquenté ces mystérieux centres de natalité, Lebensborn, où les femmes aryennes résidaient et couchaient avec des hommes de la « race pure », principalement des SS, dont le but de concevoir l’élite du Reich de 1000 ans promis par Hitler.
Tourné en vidéo avec un budget minuscule, le documentaire alterne avec charme images d’archives et prises de vue récentes de la région ariégeoise. Là où le film est surprenant, c’est dans son utilisation parfaitement maîtrisée d’artistes locaux qui recréent devant la caméra mythes païens, crucifixions ainsi que le massacre des Cathares lors de la Croisades contre les Albigeois. Astucieusement retravaillées, ces scènes semblent sortir d’un film muet biblique et viennent parfaitement s’intégrer à l’ensemble du métrage. Capable de créer une ambiance juste avec quelques images, il suffit de jeter un œil à HARDWARE et DUST DEVIL pour s’en rendre compte, Richard Stanley imprime son style dès le début du métrage et fait de THE SECRET GLORY un documentaire visuellement très riche.
Donnant envie d’en savoir plus sur Rahn, le Graal, les Cathares et la région de Montségur, THE SECRET GLORY est, en l’état actuel, une excellente mise en bouche pour les apprentis chercheurs. Richard Stanley avoue d’ailleurs avoir découpé le documentaire en segments d’environ un quart d’heure afin que les spectateurs puissent, chez eux, faire des pauses et aller en apprendre plus par leurs propres moyens. De son côté, il ne désespère pas d’un jour pouvoir rassembler assez de fonds pour remonter ce film, afin d’y inclure tous les nouveaux éléments en sa possession, et livrer une version plus longue et plus complète de l’histoire d’Otto Rahn. En attendant la sortie de L’AUTRE MONDE, suite de THE SECRET GLORY dont il a terminé le tournage cet été sous le patronage de Metaluna Productions, vous pouvez toujours vous rendre sur le site de Richard Stanley pour en savoir un petit peu plus.

Texte écrit après de longues conversions avec Richard Stanley.

Retrouvez notre couverture de l’Etrange festival 2013.

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