The sister of Ursula

Un texte signé Alexandre Lecouffe

Italie - 1978 - Enzo Milioni
Titres alternatifs : La sorella di Ursula
Interprètes : Barbara Magnolfi, Stefania D'Amario, Marc Porel

Assistant réalisateur sur l’excellent polar THE BEAST WITH A GUN (de Sergio Grieco, 1977) et réalisateur peu prolifique (trois films entre 1978 et 1989), Enzo Milioni a signé THE SISTER OF URSULA dans un contexte assez particulier. Afin d’assurer le financement d’un projet de film avec Dirk Bogarde, le réalisateur s’est vu proposer par son producteur la mise en chantier en amont d’un petit film commercial. Au traditionnel cocktail « sexe et violence » fut ajoutée une pincée de paranormal, alors très à la mode avec des succès comme CARRIE (1976), L’EXORCISTE II (1978) ou LA MALEDICTION (1978), le tout sur une structure propre au giallo. Ce genre est alors en plein déclin (pas d’œuvre majeure depuis le PROFONDO ROSSO de Dario Argento en 1975) et flirte déjà avec le cinéma d’exploitation comme en témoigne par exemple NUE POUR L’ASSASSIN (de Andrea Bianchi, 1975) où les éléments propres au giallo ne sont qu’un prétexte pour filmer des scènes érotiques.
Dagmar et Ursula, deux sœurs d’origine autrichienne, viennent passer quelques jours de repos dans un hôtel de la côte italienne. Tandis que la première sympathise avec le directeur et plusieurs clients, Ursula semble inquiète et perturbée. Nous comprenons bientôt qu’elle est très affectée par la mort récente de son père et qu’elle a des visions prémonitoires de meurtres commis dans l’hôtel. Lorsque l’on retrouve le corps mutilé d’une prostituée dans une des chambres, Ursula semble perdre la raison ; y aurait-il un lien entre les meurtres qui s’accumulent et le passé traumatisant de la jeune femme… ?
Ce qui frappe à la vision de THE SISTER OF URSULA est son manque de cohérence et sa structure plutôt lâche, l’impression d’assister à une juxtaposition hasardeuse de thèmes et de codes récurrents du giallo et du fantastique sans qu’aucun ne soit bien traité et encore moins approfondi. Du thriller transalpin, on retrouve, entre autres, un trauma lié à l’enfance, des personnages à multiples facettes, des perversions morales diverses, le tout dans le milieu de la bourgeoisie plus ou moins oisive, comme souvent dans le giallo. Malheureusement, les personnages n’ont aucune épaisseur ni réalité, tant les « tares » dont ils sont affectés les rendent caricaturaux plutôt qu’ inquiétants (ajoutons qu’il est aussi affaire de drogue et de prostitution !). L’interprétation, très faiblarde à l’exception de Barbara Magnolfi (Ursula), n’est certes pas faite pour arranger les choses et accentue même le côté très superficiel de la caractérisation. Quant au choix d’apporter une touche de fantastique avec les visions prémonitoires des meurtres, il parait lui-même peu judicieux car ne servant pas la progression de l’intrigue -au contraire, il la rend plus confuse encore… Dénué de véritable enjeu dramatique, l’aspect « paranormal » semble avoir été injecté à THE SISTER OF URSULA suite au succès de ce thème à l’époque. Mais ce qui caractérise le mieux le film, ce sont ses scènes érotiques fort nombreuses pour ne pas dire envahissantes. Filmées sans grande inspiration, avec des acteurs et actrices visiblement peu concernés, elles n’apportent même pas un parfum scandaleux au film, tout juste renforcent-elles encore son côté artificiel et gratuit. Quant aux meurtres, ils sont pour la plupart filmés hors champ ou simplement évincés et amenés sans aucun suspense, en général juste après une scène de sexe. Seuls quelques plans sanglants nous montrent après coup les méfaits du tueur ; seule originalité (de taille !) de ce dernier : son arme de prédilection n’est pas la traditionnelle arme blanche mais un … phallus en bois sculpté ! C’est sur cette révélation stupéfiante que le film s’achève enfin et qu’on peut tenter de relever les aspects positifs qui le jalonnent ici ou là. La photo est assez soignée, avec quelques séquences où la dominante bleutée des intérieurs luxueux rappelle un peu SUSPIRIA de Dario Argento, tourné l’année précédente ; le beau cadre naturel (la côté amalfitaine) est également bien mis en valeur. Signalons enfin la présence hallucinée de la belle Barbara Magnolfi (Olga, la danseuse brune de SUSPIRIA justement) et celle du ténébreux Marc Porel (L’EMMUREE VIVANTE de Lucio Fulci, L’INNOCENT de Luchino Visconti). Epoux à la ville, les deux acteurs n’ont pas eu la carrière brillante qu’on leur prédisait : Marc Porel, toxicomane notoire, décèdera à l’âge de 34 ans et Barbara Magnolfi abandonnera le cinéma pour se tourner vers la Scientologie. On pourra retenir finalement dans THE SISTER OF URSULA, la très belle séquence où elle prie, entre angoisse et extase, une statuette de Christ décapité. Un pur moment de grâce et d’inspiration dans un film qui en manque cruellement et qui symbolise la dégénérescence du giallo. Il faudra attendre plusieurs années et la sortie du magnifique TENEBRES de Dario Argento en 1982 pour que celui-ci brille une nouvelle fois, avant de s’éteindre… définitivement ?


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- Article rédigé par : Alexandre Lecouffe

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