The sorcerers

Un texte signé Alexandre Lecouffe

Grande Bretagne - 1967 - Michael Reeves
Titres alternatifs : La créature invisible
Interprètes : Boris Karloff,Catherine Lacey, Ian Ogilvy

THE SORCERERS est le deuxième et avant dernier film de Michael Reeves, décédé d’une surdose médicamenteuse en 1969 à l’âge de 26 ans. Après avoir été assistant réalisateur aux Etats-Unis puis en Italie, il se voit confier la mise en scène de REVENGE OF THE BLOOD BEAST (a.k.a. LA SORELLA DI SATANA), un film d’épouvante à très petit budget avec Barbara Steele. L’année suivante, THE SORCERERS connaîtra un certain succès public et critique (en plus d’un Grand Prix au Festival de Science-Fiction de Trieste) ce qui permettra au jeune réalisateur anglais d’obtenir un budget plus important pour son troisième et dernier film, souvent considéré comme le plus achevé, LE GRAND INQUISITEUR (1969) avec Vincent Price.
1967. Le « Swinging London ». Le professeur Marcus Montserrat, un savant controversé spécialiste de l’hypnose a mis au point une machine permettant de contrôler à distance les actions d’une personne et de partager ce qu’elle ressent ! A la recherche d’un cobaye, lui et son épouse Estelle rencontrent Mike Roscoe, un jeune homme prêt à tout pour tromper son ennui existentiel. L’expérience débute, enivrante et innocente au début puis dangereuse et inquiétante lorsque l’épouse du professeur, prenant l’ascendant sur son mari, pousse le jeune homme hypnotisé à commettre un meurtre…
THE SORCERERS se caractérise en premier lieu par la richesse des thèmes qu’il aborde. Par le biais de la figure classique du savant-fou et d’un traitement science-fictionnel de l’intrigue, Michael Reeves met en avant le thème mythique de la quête de la jeunesse éternelle. La machine mise au point par Montserrat permet en effet au couple très âgé d’être dans le corps et l’esprit d’un jeune homme : elle est en quelque sorte un équivalent moderne de la fontaine de Jouvence. Utilisant un montage alterné très efficace, le réalisateur nous permet d’appréhender simultanément les actions du jeune homme et les sensations physiques ressenties par le couple. Cette recherche du plaisir par procuration permet aux deux hypnotiseurs de connaître à nouveau ou de redécouvrir la sensation de la vitesse lorsque Mike roule à moto, l’excitation face au danger (lors du vol d’un manteau de fourrure) ou le plaisir sexuel (pour lequel il faudra se contenter d’une ellipse…). Lorsque Estelle, neutralisant son mari, pousse le jeune homme à tuer sans raison, le film revêt tout à coup une dimension plus dramatique. THE SORCERERS amorce alors une réflexion sur le pouvoir, sur la volonté de toute puissance, sur le désir de manipuler l’autre que tout être humain peut ressentir. Dans le cas d’Estelle, ce sont les années de privation, de frustration en plus de l’impunité dont elle peut jouir qui peuvent expliquer son besoin de domination. Filmée en gros plan, les yeux exorbités quand elle ordonne les actes meurtriers de sa marionnette humaine, la vieille dame perd progressivement toute humanité au profit exclusif de sensations violentes, sadiques, destructrices. Le film s’enrichit alors d’une véritable réflexion sur les plaisirs et les dangers de l’expérience filmique, sur l’importance de la dimension cathartique du cinéma. En vivant ses expériences à travers le jeune homme, Estelle se libère en effet de ses pulsions, de ses fantasmes les plus enfouis en créant une forme de catharsis active puisque c’est elle qui dicte ses actions et ses paroles à un personnage. A ce niveau, THE SORCERERS rejoint des films aussi différents en apparence que LE VOYEUR (de Michael Powell, 1960) ou VIDEODROME (de David Cronenberg, 1983) qui questionnent également le pouvoir de l’image et son influence physique sur l’individu.
Le film peut au premier abord ne pas séduire : doté d’un budget très serré et d’une esthétique un peu télévisuelle, il n’a pas de grande ambition formelle. La machine fantastique est réduite à un simple fauteuil, à deux ou trois appareils électriques dans une petite pièce et les rares effets spéciaux sont artisanaux pour ne pas dire maladroits. Les scènes en extérieur sont assez plates, les acteurs secondaires assez insignifiants (mention spéciale à Susan George, l’épouse de Dustin Hoffman dans LES CHIENS DE PAILLE de Sam Peckinpah). Les acteurs principaux sont eux excellents à commencer par Sa Majesté Boris Karloff, bouleversant en savant dépassé par son invention ; l’acteur, alors au crépuscule de sa vie (il mourra deux ans plus tard) livre ici un rôle testamentaire. Son épouse dans le film est remarquablement interprétée par Catherine Lacey (THE SERVANT de Joseph Losey) au jeu très expressionniste ; le jeune cobaye est joué par Ian Ogilvy que l’on retrouve dans les deux autres films de Michael Reeves dont il était un proche. Impossible finalement de ne pas regretter la disparition si précoce du réalisateur et de ne pas se questionner sur l’importance artistique qu’il aurait pu avoir dans le cinéma de genre des années 70… R.I.P.


Votre soif de lecture n'est pas rassasiée ?
Téléchargez les anciens numéros de Sueurs Froides


Inscrivez-vous à la liste de diffusion et accédez au
téléchargement des anciens numéros de Sueurs Froides :
- Une tranche d'histoire du fanzinat français
- 36 numéros de 1994 à 2010
- Près de 1800 films critiqués
Un index est disponible pour chercher un film ou un dossier
CLIQUEZ ICI.

- Article rédigé par : Alexandre Lecouffe

- Ses films préférés :

Share via
Copy link