The Torturer

Un texte signé Patryck Ficini

Italie - 2006 - Lamberto Bava
Interprètes : Simone Corrente, Elena Bouryka, Emilio De Marchi

Le cinéma d’horreur ou le thriller se sont souvent fait l’écho des syndromes et des traumas. Avec THE TORTURER de Graham Green (qu’il ne faut pas confondre avec le film de Lamberto Bava, de 2005) sont évoqués pêle-mêle le PTSD (posttraumatic stress disorder) qui touche essentiellement les soldats et le syndrome de Stockholm qui explique comment une victime peut s’attacher à son ravisseur ou son bourreau. Rick (Andrew W.Walker en mode Tom Cruise), soldat américain en Irak est chargé d’interroger et d’utiliser la torture à l’encontre d’une jeune Irakienne (Sophia Choi) soupçonnée de participer à un projet d’attentat. En alternance avec les séances d’interrogatoire, un psychologue (Michelle Williams, peu crédible) questionne Rick sur les effets de ses actes pour le rassurer sur la validité des actions qu’il a commises.

Le film, paru en 2008, jouit de fait d’une actualité qui reste brûlante : celle du terrorisme et des mesures prises par l’administration Bush pour contrer la menace. Deux violences s’opposent dès lors dans le film : celle physique et psychologique mais légale, encouragée par l’administration étatique, que commet le héros et qui va à l’encontre des droits humains ; et celle, invisible, qui se tient menaçante à l’arrière-plan, prête à éclater comme la bombe recherchée et qui donne son tempo urgent au film.

La question que pose le film revient finalement à un choix éthique à opérer entre fin et moyens. La première justifie-t-elle les seconds ? La légalité d’une action (plus précisément celle permise par le Patriot Act, privant de leurs droits les suspects de terrorisme à la suite de l’attentat du 11 septembre 2001) fait-elle sa légitimité ? L’interrogation, plus prégnante sur le territoire américain que sur le sol européen, aboutit à un partage forcé des camps : pro ou anti-Busch, conservateur ou démocrate.

Pour répondre et prendre position face à la question, Graham Green monte en alternance deux interrogatoires : celui du soldat face à sa victime, celui du psychologue à l’égard du « bourreau ». La série d’allers et retours entre ces deux moments de confrontation permet ainsi une lecture critique de la scène précédente, par l’inversion des rôles proposée. Le soldat, présenté comme un bourreau-machine, se révèle au fur et à mesure de l’interrogatoire de la psychologue plus humain et plus fragile qu’il n’y paraît. La psychologue, troublée par les premières évocations des actes de torture, inversement, modifie son attitude jusqu’à décharger Rick de sa culpabilité et l’encourager à continuer.

Si la construction est relativement originale, elle ne fait que déguiser la déclaration humaniste et démocratique de Graham Green affirmée dès le premier plan avec l’exhibition d’un homme cagoulé et relié à des fils électriques évoquant les tortures d’Abou Ghraib. Cette statufication du torturé comme martyre, plutôt gênante dans son intention ouverte, se confirme avec le twist qui intervient aux deux tiers du film et fait basculer le métrage du côté d’une rédemption peu réaliste.

S’il est délicat de réussir un film avec de belles intentions, cela l’est encore plus lorsque le métrage est un thriller horrifique. Graham Green, clair dans son engagement, l’est pourtant beaucoup moins sur la forme à adopter. Documenté dans l’évocation des mécanismes de la torture psychologique, le film se fait plus brutal et réaliste dans les scènes de torture et prend l’aspect du thriller psychologique lorsque Rick est interrogé par la psychologue. Cette séparation des genres, encore accentuée par la différenciation des décors et des musiques utilisées, finit par noyer le propos, en laissant le spectateur balancer seulement entre moments de tension et de relâchement.

Faussement questionneur, le film s’avère donc au final assez manipulateur et manichéen dans sa conception. On peut lui préférer le plus subtil THE KILLING ROOM de Jonathan Liebesman (2009), le plus traumatisant TERRITOIRES d’Olivier Abbou (2010) ou la série HOMELAND (2011) qui offre une confrontation plus complexe entre nécessité nationale et sentiments personnels.


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- Article rédigé par : Patryck Ficini

- Ses films préférés : Django, Keoma, Goldfinger, Frayeurs, L’Au-delà

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