Un texte signé Stéphane Bex

review

The Town That Dreaded Sundown

Curieuse tentative que celle d’Alfonso Gomez-Rejon que d’adapter le slasher seventies porteur du même nom réalisé par Charles B.Pierce auquel on doit notamment THE LEGEND OF BOGGY CREEK, un docudrama ou mockumentary ayant également influencé le retour du Bigfoot dans les derniers found footage. Ce retour en arrière, au vrai, ne fait que doubler celui proposé par le film original opérant en partie la reconstitution documentaire d’une série de meurtres s’étant déroulée en 1946 dans la ville de Texarkana, à la limite du Texas et de l’Arkansas.
1946, 1976, 2013 : trois époques pour trois films et trois représentations de l’horreur. Si l’œuvre de Pierce relit l’Amérique de l’après-guerre en enchâssant dans le film d’enquête classique les ferments de ce qui va devenir peu de temps après le slasher avec l’HALLOWEEN de Carpenter ou le VENDREDI 13 de Sean S.Cunnigham, Alfonso Gomez-Rejon se pose quant à lui non seulement héritier du slasher et du néo-slasher post-SCREAM mais se montre également attentif à l’esthétique du giallo. C’est beaucoup, louable dans l’intention, honnête dans la réalisation mais au final, à moitié réussi.

La relecture des genres dans un film-hommage qui ne se veut ni pastiche ni parodie est un exercice délicat. L’occasion pourtant était, par le sujet, bien trop belle pour que l’on ne s’en saisisse pas. Un tueur à la tête recouvert d’un drap réveillant l’image du tueur du Zodiaque et, avec lui, le souvenir de David Fincher et de son ZODIAC, plongée en apnée auteuriste et glacée ; une ville qui en forme deux dans une forme de schizophrénie géographique ; des adolescents aux mœurs relâchées torturés et mis à mort au sein d’une Amérique provinciale encore corsetée par la censure morale et le puritanisme religieux ; la patine vintage apportée par cette exploration de mémoires individuelles devenues folklore local : tous les ingrédients semblaient effectivement réunis pour générer une œuvre sortant du tout-venant horrifique et permettre de se démarquer par rapport à la répétition des mêmes intrigues sans originalité.

Alfonso Gomez-Rejon, en quête d’une direction dans ce labyrinthe, choisit ici de faire porter l’action sur les épaules de Jami, une lycéenne en fin de parcours, qui va servir de révélateur aux secrets de Texarkana, un peu à la manière du récent THE CURSE OF DOWNERS GROVE de Derick Martini, sorti lui aussi en 2014. Le Texas n’est plus désormais l’enfer brûlant de MASSACRE A LA TRONCONNEUSE mais le trou où s’enterre une jeunesse désœuvrée, sans avenir, et dont les seules préoccupations demeurent la quête sexuelle et le visionnage rituel à la période d’Halloween du film de Pierce projeté dans un drive-in délabré. Gomez-Rejon décrit ici, plutôt avec réussite, le symptôme américain d’une jeunesse américaine condamnée à la malédiction d’un immobilisme social et géographique et qui ne vit que par procuration, dans et par les images. Miraculeusement épargnée lors du premier meurtre, Jami aura pour rôle de fouiller dans les non-dits de Texarkana pour y découvrir le vilain secret qui y a été enfoui par les habitants et les forces de police. La future étudiante en creative writing y trouve l’occasion de s’exercer à son futur métier en doublant l’investigation normale de sa propre enquête qui l’amènera à soulever quelques pierres en interrogeant le passé de la ville.

Toujours à la manière de Fincher (mais celui de MILLENIUM), Gomez-Rejon fait alors se croiser les générations et les époques, en entremêlant événements historiques et fiction de leur retranscription cinématographique. La révélation de l’identité du tueur, demeurée inconnue, s’effectuera par l’intermédiaire du fils de Charles B.Pierce, cinéaste raté n’ayant pas eu la force d’offrir au film de son père une suite comme ce dernier le lui demandait. Les images du film de 1976 se surimpressionnent aux événements de 2013, comme si le copycat se faisait métaphore du remake. Traversant l’écran du drive in au début du film, Jami apparaît, victime terrorisée ayant vécu les événements que l’on vient de voir à l’image.
Le final du film de Pierce conservait l’énigme quant à l’identité du tueur, disparu dans les marais. Celui de Gomez-Rejon apporte une conclusion que le spectateur amateur du néo-slasher à la Craven pourra peut-être deviner. Cette révélation ultime, si elle clôt potentiellement la possibilité d’une autre variation, apparaît au regard de l’œuvre originale peu motivée, faisant basculer l’aspect collectif – un des côtés les plus sympathiques du film de Pierce – du côté de l’individualisme psychologique et du destin de Jami. L’atmosphère et le charme y perdent et c’est bien dommage.

Mi-nostalgique, mi respectueux, tentant de rappeler la mémoire d’un monde qui s’évapore (les cinémas de plein air) comme de rassurer le spectateur en insistant sur les aspects les plus modernes de l’intrigue, Gomez-Rejon hésite trop pour donner à sa position la force suffisante. L’utilisation abusive d’effets comme les nombreux décadrages, signature du réalisateur qui a réalisé plusieurs épisodes d’AMERICAN HORROR STORY, les multiples références, plutôt incongrues ici, au giallo ou encore les effets de superposition et de miroir, rajoute encore à cette hésitation comme si le réalisateur se refusait à entrer dans le code d’un genre en les mimant tous. Ajoutons que l’utilisation de la F55 (la même caméra utilisée dernièrement dans DELIVRE-NOUS DU MAL de Scott Derickson) avec ses effets de douce brillance qui patine artificiellement les visages et les paysages fait regretter le grain de la pellicule de 1976, plus riche et plus âpre.
On notera quand même la belle scène gore d’une exécution au trombone menée avec un sadisme jouissif et supérieure à l’original. Le film laisse cependant de côté peut-être la plus belle scène de Pierce : une fin de bal de promotion dans laquelle des adolescents un peu tristes et fatigués dansent lentement au son d’Auld Lang Syne. En une minute, Pierce arrivait à faire passer l’ennui et le train- train faussement joyeux d’une province tournant en boucle quand bien même elle est affectée par des événements exceptionnels. La modernité demande que l’événement l’emporte sur tout et modèle de façon durable les caractères de ces héros. Le film doit avoir une fin, les mystères doivent être dévoilés. Exit donc le folklore qui laisse place à la vérité douteuse de l’expérience traumatique.


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- Article rédigé par : Stéphane Bex

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