The Walking Dead

Un texte signé Stéphane Cattaneo

USA - 2010 - Franck Darabont
Titres alternatifs : Saison 1
Interprètes : Andrew Lincoln, Sarah Wayne Callis, Jon Bernthal

Une petite route des Etats-Unis.
De l’horizon arrive une voiture de police, qui stoppe sur les lieux d’un accident de la circulation. Un policier en sort, qui la contourne pour se saisir d’un jerrycan se trouvant dans le coffre qui vient de s’ouvrir automatiquement. A mesure qu’il s’avance vers les véhicules accidentés, l’étendue des dégâts apparaît : il ne s’agit pas d’un banal accrochage mais d’un carambolage massif, qui a vraisemblablement provoqué une hécatombe. Fait étrange, le drame a eu lieu il y a quelques temps déjà, comme l’atteste en partie l’état avancé des cadavres que croise le sheriff, emprisonnés dans leurs automobiles et présentant tous une blessure à la tête, ce qui n’est pas sans renforcer l’étrangeté de la situation. D’autant plus que tout semble s’être joué à proximité d’une station service, autour de laquelle s’est constitué à une époque proche un véritable campement de plusieurs dizaines de véhicules et de tentes, le tout désormais déglingué et désert.
Désert ? Pas tout à fait. Dans la désolation, une fillette en guenilles rôde, qui ramasse une peluche crasseuse sous les yeux du policier qui, s’ébahissant qu’un être si fragile ait pu survivre dans un contexte aussi chaotique, s’en approche, impatient d’appliquer la devise de son corps : « Protéger et servir ».
Par malheur, il n’a pas plutôt prononcé quelques paroles rassurantes « Hey, little girl, I’m a policeman, don’t be affraid ! » que l’enfant, se retournant, laisse apparaître un visage inhumain, aux yeux vides et au filet de salive sanguinolente, d’où manque la partie inférieure, emportée dans quelque manifestation de violence abjecte. La fillette semble peu commode ; pire, manifestant une hostilité sauvage, faite de borborygmes et de claudication malsaine, comme abstraite, elle se précipite sur l’homme en uniforme dans une volonté manifeste de lui réserver un sort qu’on devine funeste, terrible.
Ce dernier, dans un ultime effort pour s’arracher à l’horreur de ce qu’il s’apprête à commettre, dégaine son arme de service et tire : une seule balle, dans la tête. Car c’est de cette manière qu’on traite les zombies.
Bienvenue dans le premier épisode de The Walking Dead.
Conformément au genre, le réalisateur Franck Darabont (La ligne verte) n’hésite pas à mettre en œuvre les ingrédients assurant l’efficacité de sa recette : plans rapprochés des personnages, filmés de dos dans l’embrasure des portes, musique angoissante laissant envisager le pire, césures sournoises (mais correctes), toutes les caractéristiques de la série d’angoisse sont réunies, à une distinction près : les moyens de production utilisés pour certaines scènes gore, dont l’aspect radicalement horrifique surprend dans le cadre d’un feuilleton télévisé.
Car, si l’on admet que ce type de programme audiovisuel s’adresse à priori à un large public, plutôt familial, et ce en raison même de son mode de diffusion, force est de constater que The Walking Dead dépasse cette convention. Aucune abjection sanglante n’est épargnée au spectateur, que ce soit en termes de pur dégoût (putréfactions et purulences en tout genres), de brutalité extrême (la nécessité de détruire le cerveau d’un zombi quand on ne possède rien d’autre qu’une pioche…) ou de proportions (la scène impressionnante de la sortie de l’hôpital, avec ces centaines de cadavres empilés dans la cour).
Or, ce qui pourrait n’être qu’un catalogue de situations violentes et d’images choc, plus ou moins nouvelles mais se suffisant à elles-mêmes dans le cadre d’un divertissement entre gens de bonne compagnie (genre pizzas, bières et rires nerveux) se révèle très vite être la toile de fond d’un propos plus large, d’une interrogation fondamentale sur les ressorts inconscients de ce qui constitue notre humanité, ce qui assure rien moins que la cohésion de la civilisation.
En effet, aussi pompeux ou extravagant que cela puisse paraître exprimé de cette façon, c’est bel et bien à des problématiques de ce type que sont confrontés les protagonistes. Quand le sheriff, afin d’assurer sa propre survie, et, partant, ce qui subsiste de la société (la petite bande de survivants dont il a de facto la charge), se voit contraint de tuer une fillette, c’est-à-dire le symbole même de l’innocence, de la joliesse et de l’avenir, la question qui se fait jour est la suivante : peut-on rester humain en se comportant d’une manière inhumaine ? Ou, formulée d’une manière différente : peut-on transgresser, au nom même de la survie de la société, toutes ces valeurs morales à l’exact opposé de la barbarie qui, admises par tous ont permis au corps social d’exister ?
D’ailleurs, quelles sont ces valeurs ayant servi à l’édification du « vivre ensemble », et qu’en reste-t-il aujourd’hui que les héros de The Walking Dead traversent la pire crise que la civilisation ait connue ? Que deviennent l’amitié, l’amour, l’entraide quand l’environnement dans sa globalité est hostile, que des divergences stratégiques apparaissent au sein d’un groupe aux personnalités parfois antagonistes et ce alors même que la moindre erreur peut entraîner un sort pire que la mort ? Quelles sont les ressources individuelles face à la nécessité d’utiliser une violence extrême, et qu’en subsiste-t-il lorsqu’on a pour seul horizon le désespoir et l’inconnu ?
Serties dans six épisodes faisant la part belle aux relations entre des personnages parfois au bout du rouleau, certains fragiles, ambigus ou retors, vivant malgré eux une aventure collective terrifiante, quelques réponses nous sont données lors de cette première saison, par la grâce notamment d’une astucieuse narration en flashback au début du récit, qui éclaire par petites touches l’état de la situation relationnelle entre trois des personnages principaux : le sheriff (Andrew Lincoln), son épouse (Sarah Wayne Callis) et son collègue et ami (Jon Bernthal), constituant ainsi une ligne de tension narrative constante.
Et, hélas, on voit mal comment tout cela pourrait bien se finir…


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- Article rédigé par : Stéphane Cattaneo

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