This night I will possess your corpse

Un texte signé Alexandre Lecouffe

Brésil - 1967 - José Mojica Marins
Titres alternatifs : Esta noite encarnarei no teu cadaver
Interprètes : José Mojica Marins, Tina Wohlers, Nadia Freitas, Antonio Fracari

Le réalisateur, acteur et écrivain José Mojica Marins peut être considéré comme la figure majeure de la contre-culture sud-américaine, notamment grâce à la création de son plus célèbre personnage (et véritable alter-ego) : Zé do Caixão alias Coffin Joe (Joe du Cercueil pour la vf !). Ce fossoyeur diabolique, mystique et meurtrier est apparu pour la première fois en 1964 dans A MINUIT JE POSSEDERAI TON AME que l’on considère généralement comme le premier film d’horreur brésilien. Sa seconde apparition en tant que « héros » a donc lieu trois ans plus tard dans le film qui nous intéresse ici puis Coffin Joe traverse ensuite la filmographie de son créateur en tant que personnage secondaire, simple apparition ou narrateur. Iconoclaste et subversive, l’œuvre du réalisateur brésilien fut souvent condamnée ou interdite par le régime militaire et il faudra attendre le milieu des années 80 et la démocratisation du pays pour que José Mojica Marins et son double maléfique puissent progressivement atteindre un statut « culte ». Devenue une icône populaire, Coffin Joe est revenu semer la malédiction et la terreur dans le récent EMBODIMENT OF EVIL (2008), variation moderne sur les thèmes et l’imagerie créés dans les deux premiers segments des aventures du fossoyeur.

Malgré les crimes qu’il a pu commettre, Coffin Joe est relaxé par le tribunal qui le jugeait, faute de preuves matérielles. Sans perdre de temps, il retourne dans son village où il terrorise une partie de la population par ses propos macabres et son comportement satanique. Avec l’aide de son serviteur horrible et bossu, il fait enlever plusieurs jeunes femmes et décide de tester leur valeur en les confrontant à une série d’épreuves, notamment celle d’avoir le corps recouvert de mygales ! Le but ultime de Coffin Joe est de trouver la femme « supérieure » qui lui donnera le fils qui sera l’être parfait selon lui : immortel et anté-christique…

Ce second volet est un véritable démarcage de A MINUIT JE POSSEDERAI TON AME (AT MIDNIGHT I’LL TAKE YOUR SOUL) : même quête obsessionnelle de Coffin Joe, mêmes imprécations du personnage, même délirante ambiance mystico-macabre et mêmes envolées surréalistes ; il a cependant bénéficié de davantage de moyens, permettant à José Mojica Marins de soigner sa mise en scène, laissant de côté l’aspect quasi-amateur du premier volet. Tout ici tourne à nouveau autour du « doppelgänger » du cinéaste brésilien qui pousse le narcissisme au point d’apparaître dans pratiquement tous les plans du film ! Issu de l’imaginaire et des cauchemars de son créateur, Coffin Joe n’en est pas moins une sorte de chimère dans laquelle on peut reconnaître des traits, des caractéristiques ou des attributs appartenant à plusieurs figures majeures de l’épouvante et du fantastique classique. Ainsi, le sinistre fossoyeur partage-t-il des points communs avec le Comte Dracula (même pouvoir de fascination sur ses victimes féminines qu’il vampirise littéralement, même soif d’immortalité…) ou avec le Baron Frankenstein et sa volonté démiurgique. Dans le premier tiers du métrage, qui reprend les codes visuels et les thématiques des films gothiques de la Universal des années 30 (on pense aussi à l’esthétique des bandes d’épouvante mexicaines de la fin des années 50 comme MYSTERES D’OUTRE-TOMBE de Fernando Mendez), Coffin Joe apparaît comme un disciple de Fu-Manchu à qui il emprunte les ongles démesurément longs et le goût de la torture. Celui-ci s’exprime par le biais de saynètes nous montrant de belles victimes en déshabillés vaporeux subissant l’assaut d’énormes mygales ou se voyant enfermées en compagnie de serpents venimeux ; l’une d’elle, victime du serviteur difforme de Coffin Joe, aura le visage brûlé à l’acide…Ces séquences mêlant horreur et érotisme trouvent leur impact renforcé par le contexte à la fois subversif (le discours blasphématoire et libertaire du héros) et clairement surréaliste de l’œuvre. Le film puise en effet une part de son inspiration dans le cinéma iconoclaste et fétichiste de Luis Buñuel ou dans le travail pictural de peintres tels Salvador Dali ou Giorgio De Chirico. A ce titre, dans la seconde partie du métrage intervient une étonnante séquence en couleurs d’une dizaine de minutes (le reste du film est en noir et blanc) qui figure la vision très personnelle des Enfers selon Coffin Joe. A la fois primitive (les scènes de flagellation, les flammes ou les démons rappellent une iconographie religieuse traditionnelle) et « avant-gardiste » (l’aspect organique du lieu, ses couleurs psychédéliques, la théâtralisation de la gestuelle…), cette description qui joue sur l’artificiel et le pictural s’inscrit pleinement dans une tradition surréaliste d’une représentation « psychique » de la pensée (fût-elle d’ordre mystique comme c’est souvent le cas chez José Mojica Marins). Ainsi le réalisateur opère-t-il une synthèse assez réussie (malgré certains passages un peu longuets ou répétitifs) entre la pure série B d’épouvante et l’œuvre à valeur expérimentale dans laquelle s’exprime une vision artistique assez unique.


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- Article rédigé par : Alexandre Lecouffe

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