Threads

Un texte signé Philippe Delvaux

Grande Bretagne - 1984 - Mick Jackson
Interprètes : Karen Meagher, Reece Dinsdale, David Brierly, Rita May, Nicholas Lane, Jane Hazlegrove, Henry Moxon, June Broughton

La tension entre Etats-Unis et Union soviétique augmente lors d’accrochages sur une guerre périphérique. Les journaux font état de nouvelles chaque jour plus alarmantes quant à l’imminence d’un conflit nucléaire. De plus en plus inquiets, les habitants de Sheffield n’ont cependant d’autre choix que de se préparer du mieux qu’ils le peuvent et de tenter de continuer leur vie. Ainsi, les jeunes Ruth et Jimmy vont se mettre en ménage, Ruth étant tombée enceinte. Les autorités tentent d’apaiser la population mais la peur est tangible. Une fois le point de rupture atteint, le conflit ne dure qu’un jour, le temps d’un unique échange nucléaire nourri, qui laisse le monde dévasté. Les survivants tenteront alors de survivre dans une société définitivement éradiquée d’où l’espoir a disparu. Ruth et sa famille vont affronter un monde en déréliction, chaque jour pire que le précédent. Après la bombe, il n’y a plus de vie possible, à peine de la survie et encore celle-ci ne sera-t-elle que provisoire et misérable.

Mick Jackson : ce nom n’évoque pas grand chose pour la plupart de nos lecteurs. Les plus attentifs auront reconnu l’auteur des peu reluisants BODYGUARD (avec Kevin Costner et Whitney Houston) et VOLCANO (avec Tommy Lee Jones). VOLCANO nous rappelle cependant que Mick Jackson a déjà œuvré dans le film catastrophe avec ce qui restera son titre de gloire, THREADS, une « simple » production télévisée qui révèle un authentique chef d’œuvre de docu-fiction d’anticipation.

Assez rarement montré, THREADS a cependant été projeté en salle en 2009, lors du festival Offscreen. Certains se souviendront peut-être avoir vu ce film, audacieusement programmé par une chaine télévisée publique belge dans la seconde partie des années 80. Ils en auront sans nul doute certainement gardé un souvenir indélébile qui, à lire les commentaires sur la toile, est partagé par tous ceux qui ont vécu ce qu’on peut aisément qualifier d’expérience traumatisante. Le film marque au fer rouge tous ceux qui s’y confrontent et les plonge dans la peur – la terreur – d’une guerre nucléaire et de l’apocalypse qu’elle enfante. Si cette peur est enfouie en chacun de nous, c’est que les soixante dernières années ont rendu la menace particulièrement prégnante. Tout l’inconscient collectif contemporain en est peu ou prou affecté. Ne citons que l’exemple de la société japonaise qui, ayant expérimenté douloureusement La Bombe, excrète ses peurs via les films de monstre. Ailleurs, la société de consommation tente de rendre l’horreur acceptable en l’édulcorant fortement. Tous violents qu’ils soient, les post-nuke australiens ou italiens produits dans les années 80 restent des films simplement distrayants.

THREADS n’est pas de cette catégorie, il nous confronte à ce que serait réellement une société post-nuke – si tant est qu’on puisse encore parler de « société » -, de la manière la plus vériste et documentée possible. Le film est produit par la BBC, ce qui colore les assertions de Jackson du vernis de sérieux de la vénérable institution. Les événements sont présentés froidement comme des faits. Des faits qui traduisent dans la réalité ce que des études scientifique prédisent depuis longtemps : l’impact nucléaire ne s’arrête pas à la seule explosion et ce qui s’ensuit s’avèrera tout aussi mortel. A ce titre, THREADS est fort proche d’un documentaire.

En même temps, une guerre nucléaire totale n’ayant pas encore eu lieu, le document ne peut se concevoir que comme anticipation. Le récit est donc fictionnalisé et une intrigue élaborée en prenant le double point d’ancrage : d’abord celui des officiels de Sheffield chargés de se préparer à l’imminence de la guerre et ensuite d’en gérer les conséquences, et ensuite celui de deux familles dont les enfants s’apprêtent à se marier.

Cette fiction augmente encore la force du film en impliquant le spectateur bien plus que ne le ferait un documentaire pur. Chacun peut se projeter dans les personnages ici dessinés. On s’identifie d’autant plus aisément qu’aucun acteur connu ne figure au casting. Impossible donc de se distancier par ce biais.

Il n’y a aucun héros et aucune « aventure ». Jackson décrit le plus exhaustivement possible un monde effondré dont les habitants les plus chanceux sont encore ceux qui sont morts dans l’explosion. Aux autres, il faudra affronter les blessures infectées, les retombées de cendres, la radioactivité, la soif, la faim, les épidémies, la chute brutale des températures (le soleil est obscurcit des mois durant par les nuages de cendres) puis le retour d’un soleil dorénavant ennemi, les ultra violets n’étant plus filtrés…

Jackson montre une société complètement désintégrée en dépit de toutes les précautions, plans d’action et de reconstruction lesquels se sont effondrés comme un château de carte, soufflés par l’explosion. Il nous expose des survivants le regard vide, déjà morts même s’ils se trainent encore.

Il n’y a dans THREADS aucun espoir, juste le reliquat d’une humanité qui s’est suicidée et dont l’agonie est prélude à l’enfer. THREADS est un chef d’œuvre du cinéma, mais aussi une expérience douloureuse qui imprimera votre rétine et votre cerveau pour les années à venir.


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- Article rédigé par : Philippe Delvaux

- Ses films préférés : Marquis, C’est Arrivé Près De Chez Vous, Princesse Mononoke, Sacré Graal, Conan le Barbare

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