Touristes

Un texte signé Quentin Mazel

Angleterre - 2012 - Ben Wheathey
Interprètes : Alice Lowe, Eileen Davies, Jonathan Aris, Steve Oram

Rappelez-vous l’an dernier, l’Étrange Festival nous avait fait découvrir le superbe KILL LISTE de Ben Wheatley. Cette année, voici le nouveau film du réalisateur anglais : TOURISTES.
TOURISTES raconte l’histoire d’un couple qui part en vacance découvrir la campagne anglaise en caravane. Après un court instant de dépaysement, le voyage va tourner au vinaigre quand Tina et son amant voient leurs fantasmes brisés par les autres touristes.
Pour ceux qui n’auraient pas suivi les derniers festivals, un bref récapitulatif sur la carrière de monsieur Wheatley s’impose. Cinéaste anglais, il débute son travail dans la publicité, après un court passage à la télévision où il réalise plusieurs séries, il se lance définitivement dans le cinéma. Il met alors en scène DOWN TERRACE, un polar décalé à l’ambiance sarcastique. Puis, il réalise KILL LISTE qui lui donne accès à une certaine notoriété. Le film est un succès en festivals où il est sélectionné et remporte plusieurs prix dont celui de l’Hallucination Collective de Lyon. Enfin, nous découvrons son tout dernier long métrage TOURISTES.
Comme à son habitude, le réalisateur nous propose un nombre très limité de personnages centraux. Mais, c’est encore une fois un casting en or que monsieur Wheatley dirige malgré un certain anonymat des acteurs. En effet, Steve Oram et Alice Lowe, déjà présents dans deux petits rôles de KILL LISTE, ne semblent pas être des habitués du grand écran. Notons cependant la présence de Alice Lowe au casting de HOT FUZZ. Les deux acteurs réalisent une très jolie performance toute en subtilité, arrivant à construire et à faire prendre vie à leur histoire d’amour étrange voire dérangeante, tout en gardant une dimension touchante qui rend ces deux personnages, au final, assez attachants. Au-delà de leur travail de comédien, notons que Steve Oram et Alice Lowe ont participé à l’écriture du scénario.

Ce troisième long métrage confirme le talent de Ben Wheatley et permet de consolider son savoir-faire des séquences de dialogues. En effet, c’est grâce à une remarquable adresse qu’il compose ces scènes ; un dosage parfait entre les silences et les répliques. Les techniques de réalisation alternant harmonieusement travelling, vue panoramique, champs et contre champs permettent de donner un incroyable rythme au film et mettent en place un malaise profond dans un rendu particulièrement sobre.
C’est dans l’importance des relations entre les personnages et la mise en avant des dysfonctionnements de la famille et du couple, que Ben Wheatley crée toute la personnalité de son cinéma. Ici, c’est l’ambivalence des individus et leurs goûts amères qui les rendent très « humains » et leur permettent d’exister pleinement à l’écran. Ainsi, ce sont les protagonistes avant tout qui sont placés au centre de la réflexion et qui construisent entièrement le film. Dans TOURISTES, c’est le concept d’abjection dans sa dimension corruptrice et déviante qui semble articuler toute l’attention du réalisateur. Car, c’est bien en créant des légitimités, des profondeurs compréhensibles à ses personnages et à leurs actes, que Wheatley met en place les pivots de son intrigue et de ses enjeux cinématographiques. De ce fait, selon notre couple, il serait parfaitement démocratique et écologique de tuer. C’est bien entendu par ce biais-là que le film accède à un humour noir typiquement british qui fait mouche à tous les coups.

La force du métrage réside alors dans sa capacité à adopter deux tons complètement différents sans pour autant briser une harmonie narrative. C’est par exemple, en abandonnant l’humour lors des meurtres que Ben Wheatley arrive à adopter ce double genre qui lui permet d’être percutant. Ainsi, la violence est froide, inattendue et prend forme uniquement par elle-même. C’est cependant lors du basculement d’un genre à un autre que le réalisateur se montre le plus intelligent et crée des moments de malaise parfaitement divins. On en revient donc à réfléchir à « l’abject » non plus comme une qualité humaine, mais comme un concept d’ambivalence de tonalité.
TOURISTE brise ainsi la banalité de la campagne anglaise avec des personnages aux caractères assez normaux, mais aux comportements totalement déviants. C’est dans cette vision étiologique que les protagonistes prennent toute leur force. De cette façon, les frustrations caractéristiques de notre société sont poussées à leur paroxysme en termes de répercutions.
On pourrait alors, avec humour, parler de débordements sauvages dans un jardin anglais.
On notera le magnifique scope utilisé pour filmer cette nature british aux superbes teintes vertes. Le choix de la bande sonore du film est aussi à souligner, on y trouve un choix musical assez étrange tel que Tainted Love et The Power of Love qui semblent assez déteindre avec la photographie. Faut-il y voir une recherche de débordement et de superposition de ton ?
C’est donc un univers très personnel qu’arrive à construire le réalisateur anglais avec qui il faudra maintenant, sans aucun doute, compter. TOURISTES est un joli délire drôle, décalé, violent et surtout parfaitement enthousiasmant.


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- Article rédigé par : Quentin Mazel

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