BIFFF 2011review

Transfer

Vieillesse et mort ne sont plus une fatalité depuis que la société Menzana permet aux vieux fortunés de transférer leur esprit dans le corps d’un jeune adulte. Ces derniers sont d’origines africaines, « parce qu’ils sont plus résistants » selon le discours commercial de Menzana, parce que le désespoir et la misère les ont poussés à accepter ce sacrifice, pour être plus proche de la vérité. Le contrat autorise les corps réceptionnant à retrouver leur personnalité propre quatre petites heures par jour, pendant la nuit, sans qu’ils puissent en outre jouir d’une vraie liberté de mouvement.

Herman et Anna, riches allemands au seuil de la mort, se réincarnent ainsi dans les corps d’Apolain et Sarah. Mais Apolain rechigne à cette aliénation et tente de convaincre Sarah de reprendre le contrôle de leur corps.

La science fiction aime à toucher aux mystères de l’esprit et à ses relations aux corps. Au fur et à mesures des avancées de l’astronomie, les mystères de l’espace se dissipent tandis que ceux de l’esprit restent entiers en dépit d’approches médicales, psychologiques, scientifiques et philosophiques. Une vingtaine d’années plus tôt Hollywood avait cependant déjà réussi un mélange de SF, d’action et de schizophrénie avec le TOTAL RECALL de Paul Verhoeven, adaptation de Philip K. Dick et dont on attend sous peu un remake.

Et c’est bien de philosophie appliquée dont il est ici question. Qu’est-ce qui fait de nous un être humain ? L’esprit est-il séparable du corps ? Et dans l’affirmative, est-il fissible avec un autre corps dont le précédent et légitime occupant serait chassé ou dompté ? Aux questions philosophiques se rajoute évidemment toute la dimension éthique.

Le nom de la société donne à lui seul un indice des thématiques : Menzana renvoie à l’évidence à l’adage « Men sana in corpore sano » (un esprit sain dans un corps sain)… qui serait dévié ici en « un esprit intrusif dans le corps sain d’autrui ».

Le scénario a l’intelligence de creuser des personnages qui ne sont pas unidimensionnels. Herman et Anna ne se posent presque pas de problèmes de conscience pour sauver leurs vies, mais Anna cherche une relation équilibrée et un peu plus juste avec Sarah tandis qu’Herman et Apolain sont plus dans le conflit, le second cherchant une échappatoire là où le premier laisse sourdre un racisme jusque là confiné sous le vernis policé de la convenance bourgeoise.

Anna et Herman sont aussi confrontés à leurs amis et relations qui hésitent à leur tour entre la potion de jouvence et rejet d’un couple devenu autre. C’est ici la question des relations sociales qui est abordée avec justesse. Des relations qui sont souvent le fait de proximité d’âge et d’apparence. Le nouveau corps d’Anna et Herman distend ces liens et fait fuir certains de leurs amis.

TRANSFER évoquera une similitude d’esprit avec le type de science-fiction proposée par GATTACA. Dans ce meilleur des mondes où l’eugénisme ne semble plus poser de problème moral. C’est cette acceptation de l’effritement de valeurs considérée comme fondamentale qui nous glace, ainsi que le traitement des plus nuancés de cette question. Le meilleur des mondes de ce siècle nouveau est profondément mercantile. Il n’est pas sans interpeller notre société qui a de plus en plus tendance à accepter le brevetage de l’humain. Par un traitement radicalement différent, un autre film présenté au BIFFF 2011 a joué sur cette marchandisation du corps, le très bon thriller français CAPTIFS. Dans le registre de la comédie, le retour gagnant de John Landis avec la comédie BURKE AND HARE touche également au sujet via les péripéties de voleurs, puis faiseurs, de cadavres de l’Angleterre industrielle du 19e siècle.

TRANSFER a été présenté au 29e Brussels International Fantastic Film Festival (BIFFF), dans la cadre d’une thématique consacrée aux aliénations de l’esprit. Sa grande justesse de ton, sa richesse thématique et la remarquable interprétation de ses principaux acteurs font de TRANSFER un film à conseiller au cinéphile avide de bon cinéma.

Retrouvez nos chroniques du BIFFF 2011.

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