Tygra la glace et le feu

Un texte signé Jérôme Pottier

USA - 1983 - Ralph Bakshi
Titres alternatifs : Fire and ice

« Ralph Bakshi m’a contacté. Il voulait se servir de tous mes personnages existants tels qu’ils apparaissaient dans mes peintures, La Féline et tous les barbares. J’ai dit : Hou la la ! Ca sonne bien. Quel est l’enjeu ? Il me l’a dit et, bon sang, c’était vraiment génial. Tout ce que nous avions à faire, c’était que notre film ait du succès et j’aurais été riche. Très facile, hein ? Ce n’était pas un mauvais film, mais il n’était pas parfait. Je sais qu’il avait quelques points forts et je pense qu’il en avait aussi des faibles, mais je n’en assumerais pas entièrement la responsabilité »

C’est ainsi que le « gigantesque » artiste peintre Frank Frazetta s’exprimait dans les pages de Frank Frazetta Le Maître du Fantasy Art (éditions Evergreen-Taschen – 1998) sur le film FIRE AND ICE, une tentative sincère d’hommage à son travail. Un jugement fort sévère, relayé par l’ensemble de la critique, que n’a cessé de traîner ce film d’animation depuis sa sortie en 1983. Et pourtant, les aventures trépidantes du guerrier Larn, de la belle Tygra et de l’énigmatique Darkwolf en lutte contre la reine des glaces Juliana et son psychopathe de fils Nekron valent le détour.
Les scènes d’anthologie se succèdent telle celle de la fuite de Larn de son village assiégé. Sa course se dessine sur de sublimes décors peints à la main, on a l’impression de voir une toile en mouvement. Vient ensuite l’enlèvement de Tygra par les sbires de Juliana, filmé dans un magnifique ralenti les corps s’animent tels ceux de danseurs exécutant un ballet. La beauté plastique du film tient à deux critères essentiels. La présence de fonds superbes signés de l’illustrateur James Gurney (qui deviendra célèbre avec DINOTOPIA) et l’utilisation parfaite du Rotoscope. Le Rotoscope est un procédé qui permet de dessiner les contours des personnages à partir d’images d’acteurs filmés en mouvement. Cela donne une fluidité unique, on a parfois l’impression que les personnages de celluloïd sont fait de chair et d’os. Une technique déjà utilisée maladroitement par Ralph Bakshi sur son précédent long métrage : LE SEIGNEUR DES ANNEAUX (1978).
Il prouve qu’il a bien saisi les faiblesses formelles de son adaptation de Tolkien pour les corriger, voire les sublimer, dans ce TYGRA LA GLACE ET LE FEU. Rien d’étonnant quand on connaît le parcours de ce petit maître de l’animation (plus de 70 mises en scène à son actif) qui sut donner ses lettres de noblesse au film d’animation pour adulte avec, entre autres, le psychédélique FRITZ THE CAT (1972) d’après Robert Crumb. Aujourd’hui oublié du public Européen, et après dix longues années de silence malgré quelques piges à la télé US (qui le fit débuter dans les années 60 avec la réalisation de nombreuses séries adaptées de comics telles SPIDERMAN, THOR, HULK, etc.), il travaille, en 2007, à un projet alléchant de polar noir animé intitulé LAST DAYS OF CONEY ISLAND. On y retrouve une des thématiques chères à son univers, celle de la femme fatale. D’ailleurs, les distributeurs érotomanes hexagonaux de l’époque retitrèrent FIRE AND ICE du nom d’un de ses personnages féminins principaux : TYGRA.
TYGRA qui, à elle seule, est l’une des attractions principales de cette pelloche. Elle multiplie les poses lascives habillée d’une tenue beaucoup moins fournie encore que celle de Raquel Welch dans UN MILLION D’ANNEES AVANT J.C. (Don Chaffey-1966). Son soutien-gorge dix fois trop petit et son ancêtre du string ont fait le bonheur de nombreux enfants qui visionnèrent le dessin animé à un âge innocent. Elle n’est pas le seul attrait esthétique du film, si le musculeux guerrier Larn se révèle assez terne, Darkwolf est une adaptation réussie du mythique Pourvoyeur de Mort peint par Frazetta en 1973. On retrouve d’ailleurs de superbes croquis originaux de l’artiste pour illustrer l’introduction de FIRE AND ICE.
La seule faiblesse de ce long métrage réside dans son script très manichéen pourtant signé par Gerry Conway et le spécialiste de l’heroic fantasy, Roy Thomas. Ce scénariste de légende est à l’origine, durant les années 70, d’une des meilleures adaptations littéraires en bande dessinée : CONAN LE BARBARE d’après Robert E. Howard. Illustrées par les génies que sont Barry Windsor-Smith et John Buscema, la série est aujourd’hui considérée comme un classique du genre. Malgré ce scénario basique, FIRE AND ICE se suit avec beaucoup de plaisir, tant les tribulations s’enchaînent à un rythme trépidant. Ce long métrage, qui n’a pas d’équivalent, a le parfum des serials d’antan associé à une beauté picturale sans failles, il est à réhabiliter et à voir (et revoir) de toute urgence.


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- Article rédigé par : Jérôme Pottier

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