Un jour, un chat

Un texte signé Philippe Delvaux

Tchécoslovaquie - 1963 - Vojtech Jasný
Titres alternatifs : Az prijde kocour, That Cat, The Cassandra Cat, The Cat Who Wore Sunglasses, When the Cat Comes
Interprètes : Jan Werich, Emília Vásáryová, Vlastimil Brodský, Jirí Sovák, Vladimír Mensík

Dans une paisible petite ville de Tchécoslovaquie, la vie s’organise autour de l’école dont le directeur est la figure de l’autorité publique, engoncé de traditions, amateur de chasse et d’animaux naturalisés, et n’hésitant pas trop à user de sa position pour forcer les faveurs de la femme de Robert. Ce dernier, un des instituteurs, incarne une vision plus moderniste de l’enseignement et transmet des valeurs de créativité, de loyauté et d’amitié aux enfants. Il s’oppose au directeur et à son sbire, le concierge. Du haut de son clocher, Olivier, un semi-clochard, observe les petites turpitudes et manigances des habitants, le poivrot tire-au-flanc, le couple non marié (nous sommes en 1963 !), l’hôtelier qui soudoie le vérificateur aux comptes… La tranquillité de ce petit monde se trouvera troublée à l’arrivée d’un magicien, sosie d’Olivier, de sa jolie assistante … et de leur chat à lunette. Car, déchaussé de ses verres, le regard perçant du chat colore les gens selon leur tempérament : hypocrisie, mensonges, tromperies, grivèleries… ou, plus joyeusement, sentiments amoureux sont révélées à tous.

UN JOUR, UN CHAT nous replonge avec délice dans un cinéma à l’ancienne mais qui n’a rien de suranné.
Il a été tourné dans des couleurs splendides, variante pour les pays communistes du Technicolor de nos contrées. Et c’est un émerveillement visuel.

On ne dira jamais assez combien les évolutions techniques conditionnent les choix esthétiques. L’art cinématographique procède parfois moins d’un choix délié de contraintes que du panel des technologies alors à disposition ainsi que d’une irrépressible marche en avant technologique, qui confine parfois à la fuite. Le cinéma est en perpétuelle recherche de modernité. Il en est ainsi de nos jours du tout-au-numérique qui a quasi évincé la pellicule. Mais jadis, à l’époque toute puissante du 35 mm, nombre de procédés se sont battus les faveurs et des producteurs et du public.
Ainsi de la couleur qui est alors un enjeu important en ce début des années ’60. En Europe, nombre de films sont encore tournés et exploités en noir et blanc. La concurrence grandissante de la télévision –elle aussi quasi exclusivement en noir et blanc à cette époque– pousse le cinéma à se démarquer, en basculant massivement vers les productions en couleur. Et les systèmes, pellicules, caméras, techniques de développement, etc., de se développer sur le champ de bataille chromatique.

D’ailleurs, les lunettes portées par le chat et les couleurs primaires qu’elles révèlent ne sont pas non plus sans évoquer cette autre technologie, celle de la 3D, qui terminait alors son premier âge d’or.

Les lunettes sont ce qui normalement précise le regard, mais c’est ici lorsqu’elles sont au contraire ôtées que celui-ci devient plus perçant (chez un animal dont le regard est déjà souvent remarqué) et révèle au-delà des apparences. Une trouvaille qui rappelle, pour des conséquences certes plus soft, le mythe de la Méduse.
Ici, la couleur est donc un enjeu narratif. Le procédé devient le thème. Des couleurs primaires (bleu, rouge, jaune) ou pas (violet, gris) cernent un spectre d’émotions ou de comportement. La nature humaine et ses petites bassesses mise à nu.

Il n’est pas anodin de voir ainsi traité en filigrane dans la Tchécoslovaquie alors communiste ce thème sous-jacent de la vérité (la nature vraie de la population se révèle). Nous sommes à une époque qui fantasme beaucoup sur les sérums de vérité et un régime qui fait de la transparence de ses citoyens une vertu cardinale. L’homme vertueux n’a rien à cacher. Mais ici, le désordre de la condition humaine mise à nu est révélé par un élément triplement externe à la société (communiste) : il est extérieur à la ville, ressort au règne animal et perce à jour par la nudité de son regard et non par l’artifice ad hoc (les lunettes).

Aussi peut-on lire ce film comme une critique – très feutrée – du système et de ses valeurs : l’institution étatique n’est pas nécessairement représentée par ses plus judicieux serviteurs. Ici, c’est le directeur d’école qui incarne la figure d’autorité publique. Il impose un système de valeurs archaïques (qui préfère pour l’étude des élèves les animaux empaillés à de moins cruelles photos), révèle des mœurs corrompues (il développe une relation avec une subalterne qui est mariée) et surtout se montre manipulateur : il ne souhaite rien moins que de se débarrasser du chat magique pour éviter d’être exposé à son regard révélateur. C’est le pouvoir qui sans cesse cherche à masquer ses turpitudes, et qui dévoie à ces fins son autorité, prétextant cette rhétorique usée de l’ordre public troublé.

Ce dernier argument n’est d’ailleurs pas sans équivoque et UN JOUR, UN CHAT a l’intelligence de ne pas être que cette discrète charge contre la corruption des élites : la population elle-même craint la révélation de la vérité. Nombre de citoyens ne sont pas les affables figures publiques qu’ils prétendent. Et leur donnera-t-on tort ? Que celui qui n’a jamais pêché leur jette la première pierre ! UN JOUR, UN CHAT évite à ce moment de prendre ostensiblement position. Faut-il ou non cette transparence ? Le film se contente d’en évoquer très (trop) légèrement les conséquences : les gens fuient le chat mais le divertissement ne s’appesantit pas sur les troubles publics qui pourraient en résulter (disputes de couples trompés, demande de comptes aux tricheurs…). En cela, on pourra regretter la légèreté, surtout lorsqu’on redécouvre le film un demi-siècle plus tard, dans notre monde contemporain cerné de technologies épiant faits et gestes, et qui a érigé en dogme la transparence, parfois à outrance.

Si la satire morale nous laisse donc un peu dubitatif, il reste cependant un plaisant spectacle cinématographique, au pouvoir de distraction parfaitement intact.

Les enfants (symboles d’avenir, notamment dans l’iconographie de l’époque, et certainement dans le système communiste) sont, eux, des êtres foncièrement bons, ou du moins « vrais et purs ». Une certaine naïveté de la vision, mais qui ne gêne guère ici.
UN JOUR, UN CHAT est sorti en salle en France le 8 décembre 1965, après un passage à Cannes dès 1963 où il remporte le prix spécial du jury. UN JOUR, UN CHAT a été présenté à l’édition 2017 du festival Offscreen. De nos jours, le film a été édité en dvd par l’incontournable Malavida.


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- Article rédigé par : Philippe Delvaux

- Ses films préférés : Marquis, C’est Arrivé Près De Chez Vous, Princesse Mononoke, Sacré Graal, Conan le Barbare


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