Under the blossoming cherry trees (1975) – A en perdre la tête

Un texte signé Sophie Schweitzer

Japon - 1975 - Masahiro Shinoda
Interprètes : Tomisaburo Wakayama, Shima Iwashita

Un brigand montagnard qui redoute le chant du vent à travers les cerisiers en fleurs survit en dépouillant les voyageurs. Un jour, il fait la rencontre d’une femme d’une beauté envoûtante. Décidant de l’épargner, après avoir assassiné son compagnon ainsi que son serviteur, il veut en faire son épouse. À sa grande surprise, la femme accepte la proposition. Mais rapidement, elle impose en contrepartie d’exubérantes exigences. Tout d’abord, il doit la porter, car elle ne supporte pas de marcher. Ensuite, puisqu’il l’oblige à vivre dans la montagne, elle veut qu’il lui ramène des kimonos, du maquillage et tous les accessoires nécessaires à la vie d’une grande dame. Mais, le plus inquiétant, c’est qu’elle exige qu’il assassine pour elle. Tout d’abord ses autres femmes, puis les voyageurs qu’il croise, car la dame combat son ennui en collectionnant les têtes humaines !

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La belle est peut-être plus monstrueuse que la bête.

Membre de la nouvelle vague japonaise, Masahiro Shinoda est un réalisateur et scénariste japonais à la longue et fructueuse carrière. Celle-ci débute dans les années 1960 pour s’achever au début des années 2000. Si le plus gros de sa carrière se fait dans les années 1960, ce n’est que dans les années 1970 qu’il devient connu à l’étranger et présente trois de ses films à Cannes (SILENCE, HIMIKO et SHARAKU). Réalisé en 1975, UNDER THE BLOSSOMING CHERRY TREES sort après cette reconnaissance internationale mais, pour autant, le film reste méconnu du grand public occidental. N’ayant pas bénéficié d’une distribution en France, pas même sur un support physique, le public de l’Étrange Festival a donc eu la chance de pouvoir le découvrir sur grand écran quarante-sept ans après sa sortie.

UNDER THE BLOSSOMING CHERRY TREES est un film japonais assez classique tant dans sa forme que sa thématique et son développement. En effet, de par son histoire et sa mise en scène, le film fait référence au théâtre japonais. Dans la gestuelle des comédiens, notamment de son héros, incarné par Tomisaburô Wakayama, mais aussi dans le hobby de son épouse qui, avec les têtes, s’amuse à faire du théâtre sans public. Un caractère horrifique souvent présent dans le théâtre japonais. Le long métrage va plus loin en transformant cette histoire en un conte dont la morale, soulignée par la voix off d’un enfant, raconte la légende des cerisiers en fleurs. En mélangeant les genres : horreur, comédie, drame, film d’action avec un certain talent, le film s’inscrit dans la droite lignée du cinéma de genre japonais.

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Une histoire d’amour à la poésie macabre.

Comme dans les classiques du genre, UNDER THE BLOSSOMING CHERRY TREES raconte comment la cupidité, l’égocentrisme des personnages, leur manque de morale vont les plonger peu à peu dans la folie dans une tragédie vouée à mal finir. Ainsi, l’épouse est dépeinte comme manipulatrice et narcissique, c’est sa folie qui dérange et va mener le héros à sa perte. Ce dernier n’est pas innocent, véritable psychopathe, il tue à tour de bras pour prouver sa force, s’imaginant plus fort que tout le monde en ville et même en montagne. Au fond, il est tout aussi égocentrique que son épouse. Pour autant, ces deux-là ne sont unis que par leur besoin de s’aimer à travers le miroir de l’autre. Leur amour les consume, tout autant, sans parvenir réellement à les rassembler.

Et pour cause, elle aime la ville et la symbolise en ses manières, en ses goûts raffinés, dans son mépris pour les épouses crasseuses du brigand, mais également en son besoin de posséder, presque compulsivement, tout ce dont elle a envie. Elle incarne tous les défauts clichés des citadins. À l’inverse lui est la bête sauvage de la montagne, féroce, bête et méchant, il est crasseux, vulgaire, pauvre, misérable et voleur. Autant dire qu’il incarne lui aussi tous les clichés de la montagne. A travers ses yeux, donc de son point de vue qu’on peut voir toute l’hypocrisie de la ville. Celle-ci s’affiche comme meilleure, disciplinée, policée, organisée, mais cache sous ses dehors civilisés une barbarie et un sadisme plus poussé encore que celui des montagnards.

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Un conte japonais à la morale redoutable.

Ce regard sur la ville est très intéressant à observer, malheureusement, il n’est pas forcément très bien traité tant dans la narration. En effet, le héros se retrouve confronté à la police au troisième acte, assez tardivement donc. Si l’on peut aisément deviner qu’avec ses agissements il va finir par attirer les soupçons de la justice, le fait est qu’on ne sent jamais cette menace avant le dernier acte. Il y a une première apparition lorsque le héros est témoin d’une prise d’otage. Cette scène se conclut par les paroles d’un vieillard qui nous font comprendre ce qui va se dérouler ensuite. A ce manque de finesse s’ajoute à une écriture maladroite, notre héros est pris par la justice par erreur et s’en échappe si bien grâce peut-être à la corruption, mais surtout à un manque d’efficacité. Au final, on sent plus le jugement sur celle-ci qu’un impact de celle-ci sur le héros. Même si cela est intéressant, disons que ça arrive un peu tardivement sans apporter vraiment quelque chose à la trajectoire des personnages, le héros ayant déjà décidé de quitter la ville avant cela.

Néanmoins, le climax et la dernière scène du film rattrapent ce cafouillage. On retrouve le mélange de magie, d’onirisme et de fatalité qui a bercé jusqu’à présent le récit, enfin, on retrouve la forme du conte qu’on avait quelque peu quitté pour l’embrasser tout entier avec une morale s’inscrivant dans les pétales de fleurs de cerisier. Ces derniers plans sont d’ailleurs aussi poétiques qu’esthétiques.


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- Article rédigé par : Sophie Schweitzer

- Ses films préférés : Le bon, La brute et le Truand, Suspiria, Mulholland Drive, Les yeux sans visage, L'au-delà - Ses auteurs préférés - Oscar Wilde, Sheridan LeFanu, Richard Mattheson, Stephen King et Poppy Z Brite

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