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Under the silver lake

Sam, sans-travail à L.A., passe le plus clair de son temps à observer ses voisines : la hippie aux oiseaux se baladant topless et la Marilyn Monroe en herbe. Il entrecoupe ces séances de voyeurisme par des parties de jambes en l’air avec une amie actrice enchaînant les rôles qu’on imagine plus dans l’industrie du porno que dans le cinéma classique hollywoodien. Fasciné par la jeune Marilyn Monroe, Sam tente de s’approcher d’elle et se retrouve en deux temps trois mouvements chez elle, à regarder un vieux film COMMENT ÉPOUSER UN MILLIARDAIRE avec Marilyn Monroe justement, sur le lit d’une chambre décorée comme une maison de poupée. Rapidement, l’alchimie passe entre les deux jeunes gens cependant l’arrivée de ses colocataires et d’un homme à l’allure de pirate met fin à cette soirée qui pourtant commençait bien. Sam se trouve mis à la porte du petit appartement avec une vague promesse de la revoir le lendemain. Restant sur sa faim et surpris, Sam accepte bon gré mal gré. Mais quand il passe le lendemain, l’appartement est vide.

En entrant par effraction dans celui-ci, Sam découvre une boîte à chaussure contenant un prix de danse ainsi que les trois poupées Barbie correspondant aux rôles du film qu’ils avaient regardé la veille. Poupées qui trônaient hier encore à côté de la télé. L’arrivée d’une femme blonde aux allures de rebelle le force à quitter l’appartement, et y laisser la boîte. Celle-ci est embarquée par la blonde qui va le mener à une enquête frôlant l’absurde. En suivant cette inconnue, Sam va se retrouver dans des soirées de hipsters comme des endroits plus underground, et découvrir le monde caché d’Hollywood. Traquant le moindre signe, le moindre symbole, Sam va lui-même se perdre dans les théories complotistes trouvées dans un fanzine titré Sous le lac d’argent, UNDER THE SILVER LAKE en VO, le titre du film.

Dernier long métrage de David Robert Mitchell, qui s’est fait connaître il y a quatre ans avec IT FOLLOWS qui revisitait le slasher avec une approche moderne et originale tout en rendant hommage à John Carpenter. Ce dernier avait donné ses lettres de noblesse au slasher avec HALLOWEEN en 1978. À nouveau, le jeune réalisateur australien réussit avec UNDER THE SILVER LAKE à dépoussiérer un genre très hollywoodien à savoir le film noir. Plus précisément, le film noir à Hollywood. D’autres cinéastes s’étaient attaqués à la thématique avec brio : Brian De Palma (BODY DOUBLE), David Lynch (MULHOLLAND DRIVE). Le film leur rend d’ailleurs hommage par une série de clins d’œil, tout en n’oubliant pas le cinéma hollywoodien plus classique, de Marilyn Monroe (réincarnée à l’écran par la petite fille d’Elvis Presley, Riley Keough) à Alfred Hitchcock, grosse référence à FENÊTRE SUR COUR, en passant par LAURA de Otto Preminger, classique du film noir.

UNDER THE SILVER LAKE est plus qu’un film malin bourré de références et de clins d’œil, c’est plus qu’un film hommage explorant l’histoire du cinéma hollywoodien, même s’il est aussi cela ; c’est davantage une réflexion d’un artiste sur ses inspirations, sur sa propre inscription à un héritage et à comment celui-ci s’est opéré en lui, quelles traces il y a laissées. Le tout avec une humilité touchante. Le personnage de Sam étant un splendide loser plus qu’un véritable héros de film noir. C’est en cela qu’il nous rappelle BODY DOUBLE de Brian de Palma, par le caractère spécifiquement non héroïque, souvent maladroit, et également voyeur, obsédé parfois même presque pervers du héros. Un héros pourtant très contemporain qui en dit long sur les rapports homme et femmes de nos jours, mais aussi sur notre quête de réenchantement à travers les théories complotistes.

Cela aussi est très moderne. Cette recherche, quête infinie, de la femme parfaite comme des signes, des sens cachés, de la cabale à la secte nichée sous la colline d’Hollywood, autant de fantasmes qu’on retrouve parsemant internet. C’est une manière de réenchanter un monde qui aujourd’hui se veut limpide, mais aussi parfois tristement normé. En se perdant dans une quête de l’absolu, de l’amour parfait, du sens caché, du mystique, le héros finalement cherche à retrouver la magie des anciens récits, des mythes fondateurs de l’humanité. Comme une sorte d’Ulysse des temps modernes. C’est aussi cela que raconte le film.

Réenchanter le monde, le cinéma, c’est exactement ce que fait David Robert Mitchell avec UNDER THE SILVER LAKE qui à sa filmographie est comparable à ce que LA MONTAGNE SACRÉE est à celle de Jodorowsky, c’est-à-dire un film-fleuve, un film d’une ambition folle, qui montre au spectateur toutes les obsessions de son auteur, mais le fait avec brio. Le cinéaste parvient en faisant cela à toucher aux propres obsessions du spectateur, ici à sa cinéphilie, à son rapport au cinéma, au fantasme, à son questionnement sur le monde et ce qui le façonne. Bien sûr, UNDER THE SILVER LAKE est bien moins barré que LA MONTAGNE SACRÉE, mais sans nul doute l’équivalent de ce film l’est pour la carrière du cinéaste. C’est un gros morceau difficile à approcher et qui pourtant contient toutes les obsessions de son auteur.

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