Upstream Color

Un texte signé Mazel Quentin

L’Étrange Festival propose tous les ans une large sélection de films dans une compétition internationale, mais également via diverses sections, hors compétition, pépites, carte blanche pour projeter des œuvres oubliées ou invisibles en France.
UPSTREAM COLOR n’a jamais été projeté dans les salles françaises pour des questions de droits. Le film était cependant très attendu par une frange non négligeable de cinéphiles impatients. Après l’excellent PRIMER qui avait fait, à juste titre, sensation au festival de Sundance, le réalisateur, acteur, producteur, scénariste et musicien (oui, le Monsieur a plusieurs cordes à son arc !) Shane Carruth propose en 2013 un nouveau film dans lequel il met, encore une fois, ses nombreux talents à contribution, UPSTREAM COLOR.
Programmé au festival de Sundance (encore) où il a rencontré un succès bien mérité, le film est arrivé jusqu’à nous grâce à son distributeur, ED Distribution, et à L’Étrange Festival.
Le film raconte l’histoire de Kriss, droguée à son insu lors d’une soirée, à l’aide d’un verre aux étranges propriétés hypnotiques. Elle sera enfermée chez elle par son ravisseur qui lui dérobera ses économies et la laissera seule, perdue et sans souvenirs. C’est après sa rencontre avec Jeff, lui aussi victime du même procédé, qu’ils chercheront ensemble à comprendre ce qui leur est arrivé, rassemblant souvenirs et sensations.
UPSTREAM COLOR est un drame saisissant, une histoire d’amour touchante, racontée comme rarement le cinéma le fait. Le film de Shane Carruth est avant tout une œuvre sensitive où le réalisateur propose une expérience sensible du monde. Le scénario expose une intrigue labyrinthique comme PRIMER le proposait déjà, morcelant le temps et l’espace dans une narration jalonnée de métaphores et de sous-entendus. À la recherche de leur passé et des évènements qui les ont conduits à perdre la mémoire, Kriss et Jeff chercheront ensemble à se reconstruire. Le spectateur sera alors invité à vivre et ressentir avec eux ce sentiment de perte et de reconquête des fragments manquants de leur passé.
En dix ans, le cinéma de Shane Carruth ne s’est pas assagi, il tronque certains points de vue, multiplie les chausse-trappes stimulant ainsi le travail de déduction du public. L’intrigue y est ainsi parfois complexe, les degrés de lecture s’y chevauchant souvent, mais la mise en scène d’une rare tendresse capte, voire étreint, un auditoire perdu de temps à autre. Vos questions n’auront donc pas toujours de réponses, mais on se plaît à les imaginer et à les discuter avec ses compatriotes de salle.
La réalisation joue sur des profondeurs de champ très courtes afin de découper les personnages de cet univers qui leur est devenu étranger. Toujours proches des spectateurs, ceux-ci sont filmés au plus près et leurs gestes nous répondent, on croirait parfois les toucher. Avec ses couleurs pastel et ses lumières saturées, le film de Shane Carruth nous plonge hors du temps avec une douceur rare. Émouvant et onirique, voilà peut-être les deux adjectifs que nous retiendrons pour décrire ce film. UPSTREAM COLOR est ainsi un film organique où l’on respire au rythme des personnages.
Fasciné par les relations avec l’infiniment petit, Shane Carruth filme compulsivement les organismes, les tissus humains, faisant ainsi explicitement des liens entre les corps vus de manière globale et ses différentes composantes invisibles. Il peint ainsi un monde « global » avec sa cohérence propre à l’image d’une fresque qui peut parfois faire penser au cinéma de Terrence Malick. Les évènements s’y répondent, s’y lient et les émotions se transmettent comme le battement d’aile d’un papillon.
Il faut également noter l’incroyable prestation d’Amy Seimetz. Cette très belle actrice que nous avions vue dans THE SACRAMENT de Ti West ou encore dans YOU’RE NEXT d’Adam Wingard nous fait comprendre par de simples regards son état d’esprit, sa perplexité, ses peurs et son « enthousiasme ».
UPSTREAM COLOR est un film très dense, au scénario labyrinthique, multipliant les points de vue, plaçant métaphore et narration littérale au même plan. Une œuvre qu’il serait bon de voir plusieurs fois afin d’en comprendre toutes les implications et subtilités. Un second film brillant donc pour Shane Carruth, un essai transformé pour un réalisateur passionnant.

Update: Upstream Color est finalement sorti en salle en août 2017, grâce à ED Distribution. En Belgique, la sortie a lieu en septembre 2017 (Bruxelles, cinéma NOVA).


Votre soif de lecture n'est pas rassasiée ?
Téléchargez les anciens numéros de Sueurs Froides


Inscrivez-vous à la liste de diffusion et accédez au
téléchargement des anciens numéros de Sueurs Froides :
- Une tranche d'histoire du fanzinat français
- 36 numéros de 1994 à 2010
- Près de 1800 films critiqués
Un index est disponible pour chercher un film ou un dossier
CLIQUEZ ICI.

- Article rédigé par : Mazel Quentin

- Ses films préférés :

Share via
Copy link