Utopia

Un texte signé Sophie Schweitzer

Diffusée en 2013 sur la télé anglaise, la série Utopia se révèle un ovni coloré qui affole bien vite la sphère des geeks et par extension la toile. Inévitablement, telle une rumeur qui se répand, les internautes du monde entier s’emparent de cet objet télévisuel hors du commun. Cette chronique tend à expliquer le phénomène mais aussi à présenter ledit ovni.

Becky, Ian, Grant, Wilson et Bejan sont membres d’un forum de discussion autour d’une bande dessinée intitulée Utopia partie 1. Ce comics attise d’autant plus la curiosité qu’il n’y a jamais eu de partie 2… jusqu’à ce que Bejan annonce qu’il est en possession de la seconde partie d’Utopia, jamais publiée. À partir de cet instant, leurs vies basculent. Pourchassés par une organisation mystérieuse qui semble prête à tout (meurtre, torture, mise en scène morbide pour les médias), ils doivent alors abandonner leur vie, leur famille et leurs proches, prendre la fuite et se cacher pour survivre. Par extension, ils vont également tenter de comprendre, dans la mesure de leurs moyens, les motivations de ce Réseau qui les poursuit.

Le spectateur comprend immédiatement qu’il est face à une oeuvre inédite. Les héros sont des geeks qui n’ont absolument rien d’héroïque. Ils n’y connaissent rien en héroïsme, ni en cavale d’ailleurs. Et ils se retrouvent du jour au lendemain au coeur d’un vaste complot qui implique le gouvernement anglais. En effet, le comics Utopia raconte l’histoire d’un savant fou mettant au point un virus. De là à soupçonner que le Réseau pourrait être lié à ce qui est raconté dans la bande dessinée…
Aucun des héros ne le sait encore mais l’enjeu dépasse de loin sa simple petite vie. De leur réussite à survivre dépend sans doute le destin du monde ; à moins que ce dernier ne soit déjà scellé.

Ce qui rend la série Utopia aussi attirante, c’est tout d’abord sa mise en scène originale. Les couleurs criardes interpellent le regard, des plans décadrés en aplat privilégient une esthétique forte qui frappe immédiatement l’oeil. Indéniablement, la série possède un fort caractère. Totalement british dans son ADN, on doute que le remake commandé par HBO puisse être à la hauteur tant ce qui définit la série est autant son esthétique poussée, sa BO hallucinante et torturée, que son scénario aussi audacieux qu’intelligent.

Audacieux et intelligent car la série met en scène trois types de personnages. Tout d’abord, il y a bien sûr les héros qui tentent de survivre. Des gens ordinaires, vous et moi, ou plutôt des geeks correspondant donc à peu près aux fans de la série. Ensuite, il y a les mystérieux membres du Réseau. Hauts placés au sein du gouvernement anglais, ce sont des politiciens et bureaucrates à sang froid n’ayant aucune conscience morale. Ils pensent agir pour le bien de tous mais ne songent pas réellement à interroger les concernés sur le sujet. Enfin, nous avons une série de personnages haut en couleurs qui composent les fondations du complot, qu’ils en soient les victimes, comme Jessica Hyde dont le patronyme évoque autant un nom de code étrange et bizarre qu’un personnage digne d’un dessin animé ou bien Arby et Lee, les deux hommes de mains qui forment une sorte de couple à la Laurel et Hardy mais version psychopathes totalement perchés.

Le coup de génie est d’avoir visuellement identifié chaque type de protagoniste. Par exemple, Arby et Lee portent un sac en plastique d’un jaune vif quasi fluo. Quand ils parlent, ils sont tout aussi effrayants l’un que l’autre, Lee étant trop bavard et Arby quasiment silencieux. En ce qui concerne leur tenue vestimentaire, Lee porte un costume coupé coloré tandis que le dodu Arby arbore l’une de ces vestes qui étaient en vogue dans les années 90 et qui figurent les gros bras. Jessica Hyde, quant à elle, avec sa coupe de cheveux et sa tenue, toujours la même, est facilement identifiable. On reconnaît assez vite une petite fille n’ayant jamais eu d’enfance ni vraiment d’adolescence, créature étrange et bizarre et qui, avec Arby, constitue en quelque sorte l’ADN de la série, chose d’autant plus vraie que tous les arcs de la série tournent autour d’eux.

Autres éléments phare de la série, le fort intérêt porté à l’étrange Mr. Rabbit et à l’auteur du comics. Ils sont liés par la traque que le premier voue à l’autre, une relation complexe que la saison 2 approfondie. Ces deux personnages sont évidemment le vrai mystère de la série. Qui sont-ils ? L’un gère le Réseau, pourchassant l’autre, n’ayant aucune pitié, aucune morale, parvenant à s’insérer à n’importe quel niveau de pouvoir, manipulant les autorités avec une facilité effrayante. L’autre, un savant fou dont la légende dit qu’il serait dans un asile psychiatrique et dont les écrits semblent affoler le Réseau et donc Mr. Rabbit. Ces personnages ont été particulièrement soignés. Mr. Rabbit arbore un tatouage excessivement marqué dans la chair pour qui aurait un passé d’agent secret. La folie dévastatrice menace l’autre. Ils constituent ainsi la clé de la série, mais aussi la terrible menace pesant sur les héros.

Ces derniers ne sont en somme que tombés au mauvais endroit au mauvais moment. Perdus par leur curiosité, ils se retrouvent impliqués bien malgré eux dans une histoire de complot tout bonnement effrayante. Leurs ressources sont excessivement limitées car ni les uns ni les autres ne savent comment se cacher, comment vivre en dehors de la société, et au final, ne sont que des victimes, des dommages collatéraux. À ce titre, le spectateur peut parfaitement s’identifier à eux, surtout à Ian qui est le personnage sans doute le plus raisonnable, choqué par les morts, refusant de tuer, s’attachant à qui il ne faut pas.

On notera d’ailleurs un casting assez détonnant. Ainsi Nathan Stewart-Jarrett, qui incarne Ian, jouait précédemment dans Misfits. Adeel Akhtar a été vu dans THE DICTATOR et surtout WE ARE FOUR LIONS. On a pu remarquer Paul Higgins dans l’hilarant IN THE LOOP. Quant à l’excellent Neil Maskell, il a été vu dans KILL LIST et THE ABC’S OF DEATH. Enfin, la série révèle surtout Fiona O’Shaughnessy, actrice irlandaise habituée des séries anglaises. Que des acteurs aux têtes déjà vues dans le cinéma ou les séries anglaises et qui étaient d’ordinaire habitués aux petits rôles. On espère qu’ils décolleront grâce à la série, même si le succès d’Utopia reste encore assez confidentiel.

Violente, avec ses scènes gores et une séquence de torture assez insoutenable. Possédant une atmosphère étouffante, avec la mention de ce réseau infiltré au gouvernement ; s’il n’en est pas carrément issu. Mettant en scène des enfants torturés ou psychopathes, la série n’est pas destinée à un public sensible. La chaîne a ainsi reçu 28 plaintes après la diffusion d’une séquence de fusillade dans une école émise à peine un mois après la tuerie de l’école primaire de Sandy Hook aux États-Unis. Channel 4 a décidé d’assumer la violence de la série alors que dans le même temps Canal + a préféré couper les scènes les plus violentes.

Imaginative, originale et intelligente, UTOPIA est une série moderne qui, comme Game of Throne, a su rallier les geeks à sa cause. Son succès indéniable est à leur attribuer, eux les geeks, mais également à l’intelligence des scénaristes qui ont su créer un univers flamboyant tout en restant crédible, original et pourtant sombre et qui au final reflète assez bien les peurs actuelles et les problématiques auxquelles la société est confrontée. Difficile d’en dire plus sans dévoiler l’intrigue, ce qui serait dommage. Aussi est-ce plus raisonnable d’affirmer que c’est une bonne série, disposant de deux saisons, malheureusement terminée aujourd’hui. Son format relativement court, 6 épisodes par saison la rend accessible et rapide à visionner.
Comme tant d’autres, Black Mirorr, Luther, Sherlock, elle démontre que la créativité télévisuelle est belle et bien présente chez les Anglais. Espérons que la télévision française saura s’en inspirer et laisser plus de liberté aux scénaristes.


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- Article rédigé par : Sophie Schweitzer

- Ses films préférés : Le bon, La brute et le Truand, Suspiria, Mulholland Drive, Les yeux sans visage, L'au-delà

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