Venus in Furs

Un texte signé Éric Peretti

Angleterre / Allemagne / Italie - 1969 - Jesús Franco
Titres alternatifs : Paroxismus
Interprètes : James Darren, Barbara McNair, Maria Rohm, Klaus Kinski, Dennis Price, Margaret Lee, Adolfo Lastretti, Jesús Franco, Paul Muller, Manfred Mann, Mirella Pamphili

S’il ne fallait extirper qu’un seul titre de l’impressionnante filmographie de Jesús Franco pour tenter de convaincre les cinéphiles les plus réticents de s’intéresser à son travail, VENUS IN FURS ferait office de champion. À la fois produit de commande et œuvre personnelle, ce film labyrinthe, tant dans sa conception que dans son scénario, est la meilleure clé pour s’aventurer dans l’univers du cinéaste.
Grand amateur de jazz, il signera d’ailleurs plusieurs films sous le pseudo Clifford Brown en hommage au trompettiste du même nom et fera une apparition dans le film en tant que joueur de trombone, Franco s’inspire d’une discussion qu’il avait eu avec Chet Baker, lors de laquelle le musicien lui avait expliqué que durant un solo de trompette, son esprit se noyait dans un tel flot de pensées qu’il pouvait vivre d’incroyables aventures en l’espace de quelques instants, pour écrire un scénario qu’il titre Black Angel. Il pense donner à Miles Davis le rôle d’un trompettiste obsédé par une femme blanche dont il ignore si elle est réelle ou non. Ayant réalisé huit films en deux ans pour le producteur anglais Harry Alan Towers, c’est naturellement à ce dernier qu’il propose le sujet. Mais le public de 1969 n’est pas encore près à voir une histoire où un noir couche avec une blanche, et Franco accepte de remanier son script.
Seul dans sa maison à Istanbul, Jimmy, trompettiste de jazz, essaye de se rappeler pourquoi il s’est renfermé sur lui-même et a sombré dans un état dépressif. Ses premiers souvenirs sont ceux du cadavre d’une jeune femme qu’il a découvert sur la plage, Wanda Reed. Cette même Wanda qu’il avait rencontré peu de temps auparavant, lors d’une soirée huppée, et qu’il avait suivi en silence, fasciné par sa beauté, jusqu’à devenir le témoin de son étrange agression par trois personnages énigmatiques, le millionnaire Ahmed, la photographe de mode Olga et le collectionneur d’art Kapp. Jimmy se souvient aussi de son exil à Rio, où il tente de se reconstruire auprès de Rita, chanteuse de night-club. C’est au Brésil qu’il croise le sosie de Wanda et commence à perdre pied, ne sachant plus distinguer rêve et réalité…
Si le titre du film peut faire croire à une adaptation du livre de Leopold von Sacher-Masoch, il n’en est rien dans les faits, une version officielle étant réalisée au même moment par Massimo Dallamano avec Laura Antonelli. Le titre VENUS IN FURS est en réalité une demande de la part des investisseurs d’American International Pictures qui stipulent en outre que l’actrice Maria Rohm, qui joue le rôle de Wanda, devra porter un manteau de fourrure. Franco, habitué à répondre à toutes les exigences de ses producteurs, s’exécutera sans poser de problème, jugeant qu’il était inutile de perdre de l’énergie sur un détail aussi infime.
En dépit de ces remaniements, VENUS IN FURS reste un film qui s’inscrit parfaitement dans l’univers du cinéaste. On y retrouve son engouement pour la musique, le film bénéficie d’une bande sonore très réussie, et son sens très particulier du cadrage qui vient ici renforcer l’aspect fantastique du récit. La chronologie des faits, totalement bouleversée, nous fait non seulement perdre nos repères, mais également plonger avec le personnage principal dans un rêve éveillé particulièrement fascinant. Si Franco, à force d’enchaîner les tournages, a été capable du pire, il nous livre ici l’un de ses meilleurs films.
Pourtant, la question de sa seule compétence dans la réussite du film est plus que légitime, le cinéaste n’ayant pas participé à la post production. Si Franco a bien signé les images du film, leur agencement a été réalisé par quelqu’un d’autre, faisant des qualités de VENUS IN FURS le résultat d’une collaboration synergique. À ce titre, la version italienne du film raconte une toute autre histoire puisqu’elle utilise des séquences entières n’ayant pas été retenues pour la version anglaise, bouscule différemment la chronologie du récit et fait l’impasse sur les jolis effets de solarisation qui parsèment le film.
Après VENUS IN FURS, Franco ira poursuivre sa carrière dans d’autres pays, notamment en Allemagne où il réalisera une autre histoire de vengeance au féminin, CRIMES DANS L’EXTASE, dans un style plus épuré, annonciateur de ses œuvres à venir pour les années 70. VENUS IN FURS peut se voir comme l’heureuse conclusion des expériences cinématographiques de Jesús Franco dans les années 60, comme l’un des derniers éclats de son talent avant qu’il n’entame un virage plus radical durant la décennie suivante.


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- Article rédigé par : Éric Peretti

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