Vierges pour le bourreau

Un texte signé Alexandre Lecouffe

Italie- U.S.A - 1965 - Massimo Pupillo
Titres alternatifs : Il boia scarlatto, Bloody pit of horror
Interprètes : Mickey Hargitay, Walter Brandi, Luisa Baratto, Femi Benussi

1646. Un criminel surnommé le « bourreau écarlate »est condamné à périr dans la « Vierge de fer » qu’il utilisait sur ses victimes ; son cadavre transpercé est abandonné dans la crypte de son château maudit. 1965. Un éditeur de photos-romans d’horreur à la recherche d’un site adapté, tombe par hasard sur l’ancienne demeure du bourreau et y pénètre, suivi de son équipe composée de sa secrétaire Edith, d’un photographe et de plusieurs jolies modèles. Le groupe découvre que le lieu est habité par Travis, un ancien acteur qui vit désormais en reclus ; ce dernier accepte néanmoins de les héberger car il a reconnu en Edith une ancienne petite amie. Parti explorer le château en vue d’une séance de photos, un des invités déclenche un mécanisme qui ouvre la « Vierge de fer » ; peu après, l’imprudent visiteur meurt accidentellement tandis qu’un homme ressemblant à s’y méprendre au terrible bourreau s’attaque à d’autres membres de la troupe…

Un mystère a longtemps plané concernant le réalisateur Massimo Pupillo qui, en plus d’utiliser un pseudonyme anglo-saxon pour signer ses films (Max Hunter) a longtemps vu certains d’entre eux attribués à tort à son co-producteur américain Ralph Zucker (qui a d’ailleurs un petit rôle dans le film qui nous intéresse). Auteur d’une petite poignée de longs métrages, Massimo Pupillo est apprécié des amoureux du fantastique transalpin pour les trois films ( !) de grande qualité qu’il a offerts au genre en 1965 : LE CIMETIERE DES MORTS-VIVANTS avec Barbara Steele, VIERGES POUR LE BOURREAU et LA VENGEANCE DE LADY MORGAN avec Erika Blank. Cette même année marque aussi la fin de l’âge d’or de l’épouvante gothique à l’italienne (le génial et « métafilmique » LES AMANTS D’OUTRE-TOMBE de Mario Caiano), sa disparition quasi-totale et le début du règne du « western-spaghetti ».

Contrairement aux deux films pré-cités qui l’encadrent dans la filmographie de Massimo Pupillo, VIERGES POUR LE BOURREAU semble avoir été conçu comme un pur produit d’exploitation sans aucune prétention artistique. Son « impureté » assumée transparaît tout d’abord dans le fait que son intrigue soit contemporaine, ses personnages plutôt futiles et le tout fort éloigné à priori du canon gothique traditionnel. Le film utilise également davantage l’argument « sexy » (même si l’alléchant titre français est ouvertement racoleur et mensonger) qu’un postulat fantastique sérieux, rejoignant ici l’esprit du modèle du sous-genre, DES FILLES POUR UN VAMPIRE de Piero Regnoli (1960). Dès lors, on pouvait craindre que VIERGES POUR LE BOURREAU se complaise dans une forme de second degré ou de parodie de film de terreur gothique, utilisant ses topos et ses thématiques dans un but purement décoratif et dans un esprit ouvertement ludique voire sacrilège ! La présence, par le biais du groupe de professionnels qui s’invite au château, d’éléments et de références à la bande dessinée et aux photos-romans pour adultes n’est pas un frein à la construction d’une atmosphère qui privilégie le macabre plutôt que l’humour. On pense notamment à la première « scène-choc » qui intervient de façon très efficace et inattendue après les très banals préparatifs d’une séance de travail ; l’acteur ligoté sur un billot est transpercé par une planche hérissée de pointes d’acier qui descend du plafond. Plan rapproché généreusement sanglant sur le corps du personnage. A partir de cette séquence, le film va opérer une forme réjouissante de mise en abyme dans laquelle les simulacres de mises à mort et de tortures joués et photographiés par la troupe insouciante vont prendre vie sous l’égide de l’épigone (ou du fantôme ?) du « bourreau écarlate ». Pour les quelques lecteurs très naïfs, nous ne révèlerons pas la véritable identité de ce dernier mais nous préciserons certains de ses traits distinctifs. Vêtu d’un très seyant collant rouge vif, cagoulé et les yeux masqués de noir, il ressemble à s’y méprendre au héros de comics « Le fantôme du Bengale ». Plutôt exhibitionniste, il huile son corps très musclé tout en s’admirant dans un miroir qui renvoie son reflet à l’infini dans un plan qui synthétise habilement sa personnalité à la fois narcissique et schizophrène. A visage découvert (« mais qui est-ce ? » se demande encore un lecteur…), il peut faire songer à un double inversé d’un héros de péplum comme Maciste ; peut être Massimo Pupillo a-t-il adressé un clin d’œil nostalgique à un genre qui était alors en train de disparaître corps et âme. L’acteur Mickey Hargitay (ex- Monsieur Univers, époux de Jane Mansfield et que l’on retrouvera dans LADY FRANKENSTEIN de Mel Welles, 1971) incarne avec beaucoup de conviction ce personnage quelque peu anachronique dont le talent sadique va se révéler pleinement lors du dernier tiers du métrage. Dans celui-ci en effet, le « bourreau écarlate » va s’en donner à cœur joie, ligotant, fouettant et torturant une bonne partie du casting, avec une nette préférence pour les demoiselles en tenues légères. C’est ainsi qu’entre autres réjouissances, deux d’entre elles seront attachées, le dos contre un système pivotant qui à chaque tour fait se rapprocher une lame menaçant leur poitrine. L’une subira ensuite le supplice de l’eau glacée sur le dos puis celui de la cire brûlante tandis que l’autre, vêtue d’une simple nuisette, se verra enchaînée sur une table d’écartèlement. Parmi les victimes féminines, on admirera plus particulièrement la brune Femi Benussi dont c’était le premier rôle et que l’on retrouvera dans quelques giallos (UNE HACHE POUR LA LUNE DE MIEL de Mario Bava, 1970) et dans moult sexy-comédies. L’accumulation presque frénétique des actes de torture et la diversité délirante des moyens utilisés par le bourreau fou ne font pas de VIERGES POUR LE BOURREAU un film gore (le terme et le genre existent depuis plusieurs années grâce aux bandes fauchées de Hershell Gordon Lewis : BLOOD FEAST est sorti en 1963) ou malsain : l’humour noir y est très présent ainsi qu’un esprit « fun » et décalé assez proche de la bande dessinée dont on retrouve aussi le rythme grâce à un découpage dynamique et les couleurs vives. Ceci ne doit pas faire oublier que Massimo Pupillo respecte et rend hommage au genre de l’épouvante gothique même si celui-ci est contaminé par l’intrusion d’éléments contemporains et populaires. Il a tout d’abord choisi comme cadre de son récit un véritable et magnifique château du XVème siècle, Balsorano où furent tournés plusieurs œuvres du genre et notamment l’excellent LA CRYPTE DU VAMPIRE de Camillo Mastrocinque (1964) avec Christopher Lee. En plus de ce cachet topographique, le réalisateur italien utilise et décline habilement des motifs de la nouvelle d’Edgar Poe, « Le puits et le pendule » ainsi que certains ressorts narratifs du fameux LA VIERGE DE NUREMBERG d’Antonio Margheriti (1963) ; pour l’anecdote, le héros s’y prénommait Max Hunter, le pseudonyme souvent utilisé par Massimo Pupillo. Finalement, le film s’avère assez unique dans son genre, plus audacieux visuellement que nombre de ses confrères « bis », clignant de l’œil à un public populaire par ses débordements graphiques (de nos jours parfaitement inoffensifs) tout en adressant un signe appuyé aux fantasticophiles qui pourront voir derrière la figure du « bourreau écarlate » les vestiges symboliques et le baroud d’honneur du cinéma gothique des années soixante.


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- Article rédigé par : Alexandre Lecouffe

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