Visions of Suffering

Un texte signé Tom Flener

Russie - 2006 - Andrey Iskanov
Interprètes : Alexander Shevchenko, Alexandra Batrumova, Andrey Iskanov, Victor Silkin

Andrey Iskanov s’est déjà fait une réputation parmi les fans du fantastique avec NAILS (2003). Maintenant il revient avec VISIONS OF SUFFERING, un film qui se présente, à plusieurs égards, dans la continuité de sa première œuvre.
Un homme (Alexander Shevchenko) souffre de cauchemars. Désespéré, il essaie de joindre sa copine (Alexandra Batrumova) dans un night club, mais son téléphone tombe en panne. Le réparateur qu’il appelle lui parle de vampires, de démons qui sortent pendant les temps de pluie et qui éliminent tous ceux qui parlent de leur existence. Une fois le réparateur tué (il ne l’a pas vu venir, celle-là !), l’appartement de l’homme est assiégé par les vampires. Il arrive encore à téléphoner sa copine au club, mais ne fait qu’attirer l’attention des créatures sur la localisation de celle-ci.
Si ce résumé semble assez linéaire, le film d’Andrey Iskanov ne l’est pas du tout. Bien qu’une partie des scènes se joue dans l’appartement du protagoniste principal, d’autres nous mènent au club. Nous voyons ainsi un mix d’accros, de goths russes, d’artistes extrêmes, même un prêtre à la recherche de drogues (Andrey Iskanov). Une scène en particulier dans laquelle l’un des visiteurs paie une fille pour qu’elle se laisse tabasser presque à mort, reste dans les mémoires. Cette scène, dont le TOKYO FIST de Shinya Tsukamoto était une inspiration, est d’une violence difficile à supporter, et il semble qu’Andrey Iskanov, avec son film, a essayé de recréer cet assaut contre le spectateur.
En effet, le style n’a pas beaucoup changé depuis NAILS. L’assaut des images est en fait encore plus frénétique, encore plus agressif. Ainsi, esthétiquement, VISIONS OF SUFFERING est une suite directe à son prédécesseur. Le montage, un étalage de scènes de couleur monochrome, est un chef-d’œuvre de chaos organisé. Des images subliminales de blessures et de cadavres parsèment le métrage, ajoutant à l’atmosphère d’agressivité que le réalisateur russe veut transmettre.
Ainsi, on peut être pardonné si, à un moment, on réalise que les images et leur effet immédiat sur l’audience semblent plus importants à Andrey Iskanov que l’intrigue. En effet, la façon idéale de visionner ce film est de simplement accepter ce film pour ce qu’Andrey Iskanov voulait créer avant tout : un film-rêve. Comparable à ce que Dario Argento (un de ses réalisateurs préférés) a fait avec SUSPIRIA, les images dans VISIONS OF SUFFERING racontent en fait l’histoire. Si cette histoire est en grande partie difficile à déchiffrer, c’est sûrement parce que l’idée d’origine pour le film lui est venue dans un rêve, comme Andrey Iskanov le raconte dans une interview. La logique interne du film (et il y en a une !) est assez proche d’UN CHIEN ANDALOU de Luis Buñuel, un des premiers chefs-d’œuvre du cinéma surréaliste.
VISINS OF SUFFERING semble aussi être autant influencé par l’expressionnisme allemand et les classiques du film muet que par le surréalisme. Bien que presque toutes les scènes soient colorées, l’impression d’un film en noir et blanc ne peut pas être niée, tant cette approche monochrome rappelle celle employée par les réalisateurs d’antan de colorer les scènes de nuit en bleu. Le cadrage dans VISIONS OF SUFFERING est exceptionnel et, encore une fois, rappelle le cinéma muet. Très souvent, une partie de l’écran est noire, forçant le spectateur à se concentrer sur le seul détail visible. Ajoutons à tout cela que les dialogues sont dans le film minimaux et que la bande-son, a contrario nerveuse et majoritairement agressive, est omniprésente.
Les acteurs, plus assurés depuis NAILS, sont bien servis par cette approche. Les dialogues parfois sonnent faux, et les réactions semblent artificielles. Par contre, dans le contexte d’un film-rêve, ou même d’un film « faux » muet, tous ces défauts s’intègrent parfaitement, et on peut se poser la question de savoir si cette artificialité n’était pas finalement intentionnelle.
S’il y a un reproche qu’on peut faire au réalisateur, c’est que le film semble légèrement trop long. Tandis que NAILS était très concis avec une durée d’une heure, VISIONS OF SUFFERING dure deux heures et aurait pu être amputé d’une bonne demi-heure.
Ce qui reste est néanmoins un très bon deuxième film. Avec son style très personnel et son approche qui fait mal, Andrey Iskanov devrait se faire une réputation dans le cinéma indépendant, réputation qui va certainement se consolider avec son troisième film, PHILOSOPHY OF A KNIFE. A voir la bande annonce et les quelques extraits qui flottent sur internet, ce film de 4 heures (!), basé sur les mêmes événements dans la Unit 731 que MEN BEHIND THE SUN, pourrait bien franchir les limites du supportable. Une histoire à suivre donc.


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- Article rédigé par : Tom Flener

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