Wetlands

Un texte signé Philippe Delvaux

- 2013 - David Wnendt
Titres alternatifs : Feuchtgebiete
Interprètes : Carla Juri, Christoph Letkowski, Marlen Kruse

Hélène est une jeune femme de 18 ans peu soucieuse de son hygiène corporelle. Plus encore, elle se délecte de pratiques aussi peu ragoutantes que celles d’aller se frotter les fesses sur les lunettes des WC publics les plus crades de sa ville. Elle se parfume de sa cyprine, mange bien entendu ses crottes de nez et joue à échanger ses tampons imbibés de sang avec sa meilleure amie. Elle réagit de cette façon aux névroses de sa mère qui, outre ses crises mystiques qui lui font essayer toutes les religions, est obsédée de propreté. Mais ce qui pourrit la vie d’Hélène, ce sont ses hémorroïdes. A l’occasion d’une de ses expériences sexuelles, elle tombe sur un fétichiste du rasage intégral, en souvenir duquel elle continue ponctuellement à s’enlever les poils du corps. Mais l’exercice l’embête, elle le bâcle et, passant la lame sur son anus, se coupe. La douleur atroce la conduit vite à l’hôpital où elle est opérée d’urgence de sa fissure et de ses hémorroïdes. Sa convalescence sur son lit de douleur est l’occasion pour elle de tenter de réunir ses parents divorcés, et aussi de draguer l’infirmier.

Si vous avez tenu jusqu’au bout de ce résumé, vous aurez compris l’univers dans lequel nous baignons avec WETLANDS.

Il y a quelques années, le roman « Zones humides » faisait scandale par sa description crue de muqueuses, de fluides corporels, de pratiques peu hygiéniques, encore renforcé par le fait que l’auteur, Charlotte Roche, présentait son œuvre comme partiellement autobiographique. L’ouvrage a dégoutté plus d’un lecteur… mais en a attiré bien d’autres. Ce succès éditorial s’explique.

De nos jours, la sexualité n’est plus aussi taboue qu’auparavant, l’érotisation du corps a envahi toute notre culture. Mais désormais, c’est un corps normé qui occupe notre espace mental, culturel et social. Un corps hygiénique, qui nous est en outre imposé par une société rendue aux médecins et à l’industrie des soins du corps. Un corps qui est aussi en bonne santé, la médecine moderne ayant repoussé nombre de maladie et de disgrâce physique. Dès lors, ces dernières deviennent presque honteuses. D’où aussi toute la pertinence de situer l’essentiel du propos de Zones humides/WETLANDS à l’intérieur des murs d’un hôpital.

Et bien entendu, toute tendance forte génère un contrepoids : outre les remises en causes sporadiques du tout-à-l’hygiène qui font surface ici et là mais restent sans guère d’effets, c’est bien entendu dans ce creuset de la psyché humaine qu’est le porno qu’on trouvera des niches spécifiques sur le sexe sale (on vous laisse chercher, vos propres tabous vous guideront vers la perversion qui vous sera la plus adéquate). Bref les tabous de notre société dans ses rapports au corps ont évolué de la nudité et de la sexualité vers l’hygiène.

A l’exception de l’excitation sexuelle du porno, les arts dépeignent parfois des êtres profondément sales, certes, mais alors le plus souvent pour nous en dégoutter ou nous faire rire. Et c’est ici que l’approche diffère radicalement : en tant que personne, Hélène ne nous est pas présentée comme répugnante ou risible. C’est une post adolescente attachante et même très jolie, au caractère aussi trempé qu’à la langue bien pendue. C’est un personnage positif donc. Et c’est en cela que son rapport au corps nous dérange. Il nous force à nous confronter à nos tabous. C’est en cela que le livre a fortement choqué, et, corolaire, pour cela aussi qu’il a connu le succès.

Pourra-t-on en dire autant du film ? Pour ce qui est de déranger : partiellement ; pour ce qui est du succès : ça reste à voir.

WETLANDS choquera sans doute, mais sans excès. On montre, mais pas trop. Le montage et le cadre, tous deux biens étudiés, se chargent souvent de nous faire croire avoir vu plus qu’il nous a été montré. Et c’est très bien ainsi. Le réalisateur a du métier. Voir une jeune fille jouer de ses fluides peut provoquer le dégout chez certains, mais finalement, tout un pan de la comédie américaine contemporaine en joue déjà depuis une quinzaine d’années. Le sperme est passé du shampoing de MARY A TOUT PRIX (1998) des frères Farrelly à la pizza de WETLANDS. Et ces dernières années, on ne compte plus les scènes d’urophilie. Et pour revenir en France, ne citons, pour mémoire, que le thé aux tampons d’ANATOMIE DE L’ENFER (2004) de Catherine Breillat, lequel affichait en outre et assez effrontément l’aisselle non rasée d’Amira Casar sur l’affiche du film, un acte ici aussi transgressif de la norme sociale relative au corps féminin.

Pour en revenir à WETLANDS, c’est cette retenue graphique qui sera reprochée à David Wnendt : si le roman aborde frontalement ce qu’il décrit, et crache ses mots à la face de ses lecteurs, la relative pudeur de la mise en image n’est-elle pas une trahison de l’œuvre ? A chacun de se positionner sur cette question.

Pour ce qui est du succès… l’économie du cinéma diffère de celle de la littérature : le nombre de salles est réduit, les règles de censure divergent et ces dernières se dédoublent de la censure économique imposée par la rentabilité estimée d’un film. On voit bien depuis un certain temps déjà que les films qui sortent de la norme commerciale sont de plus en plus confinés au circuit des festivals. Ainsi, WETLANDS est-il découvert du public français à l’occasion de l’Etrange Festival 2014.

Cependant, le succès du livre a su créer une attente pour le film qui s’est vendu dans de nombreux pays et y a été distribué. Connaitra-t-il un succès critique et publique ?

La comédie fonctionne pleinement, on rit souvent – le rire est protecteur, notamment à l’égard d’une gêne -, la mise en scène est enlevée et moderne, l’interprétation remarquable, et l’histoire dans son ensemble est intéressante, replaçant une personnalité à la lumière de ses traumas.

Les mauvaises langues de l’époque défiaient la production de trouver une actrice qui accepterait d’affronter les situations prévues par le rôle, Carla Juri leur a donné tort, jolis minois et courage à revendre, et sa dignité n’en sort en rien écornée.

L’Etrange Festival programmait aussi dans son édition 2014 RÉSIDENCE SURVEILLÉ, un petit Z tâcheron dont l’unique argument était de proposer des victimes empoisonnées sujettes à diarrhées et vomissements. Le seul intérêt de ce mauvais film est de nous faire mieux prendre conscience des qualités de WETLANDS : là où, à l’instar du porno, RÉSIDENCE SURVEILLÉE se contente de montrer les fluides pour eux-mêmes, afin de provoquer l’excitation (le porno) ou le dégoût amusé (RÉSIDENCE SURVEILLÉE), WETLANDS en en faisant son objet, interroge sur notre rapport au corps et sur nos tabous. Le comique ou le dégoût ne valent ici par pour eux-mêmes, mais comme déclencheur d’interrogation.

Bref, s’il pourra choquer certains, il en amusera bien d’autres. Pour apprécier WETLANDS, il faut abandonner l’espoir de voir une transposition aussi agressive que l’œuvre matricielle. A cette condition seulement, on passera un excellent moment. Car débarrassé de l’effet choc, le propos reste pertinent et c’est cette raison qui nous a fait considérer in fine WETLANDS comme une des révélations de l’Etrange festival 2014.

Retrouvez nos chroniques de l’Etrange Festival 2014


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- Article rédigé par : Philippe Delvaux

- Ses films préférés : Marquis, C’est Arrivé Près De Chez Vous, Princesse Mononoke, Sacré Graal, Conan le Barbare


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