Un texte signé Éric Peretti

Tchécoslovaquie - 1969 - Otakar Vávra
Interprètes : Elo Romancik, Vladimír Šmeral, Sona Valentová, Josef Kemr, Lola Skrbková, Jirina Štepniková, Marie Nademlejnská, Miriam Kantorková, Lubor Tokoš, Blazena Holisová, Jaroslava Obermaierová, Jiri Holý, Blanka Waleská

DossierOffscreen 2017retrospective

Witche’s Hammer

Otakar Vávra (1911 – 2011) fut l’un des réalisateurs les plus prolifiques du cinéma tchèque, et peut être le seul qui exerça sans interruption aussi bien sous le régime nazi, que sous le joug des communistes. Contrairement à ce que l’on pourrait être tenté de penser, il ne réalisa que très peu d’œuvres idéologiques de commande. Le secret de sa relative liberté et de sa longévité dans l’industrie provient d’un choix qu’il fera dès le début de sa carrière : faire des films de qualité en adaptant des classiques de la littérature tchèque, tout en s’entourant des meilleurs techniciens et acteurs disponibles sur le marché. Rendant hommage aux auteurs nationaux, les films de Vávra ne remettaient nullement en cause les rapports entretenus avec le grand frère russe. Avec WITCHES’ HAMMER, il s’écarte un peu des sentiers balisés et signe un film très fort, basé sur des faits réels anciens qui font étrangement écho à certaines pratiques alors encore en vigueur dans l’ex URSS, telles que la torture, la délation et l’autocritique.
Quelque part en Moravie dans les années 1670. Au lieu de communier, une vieille femme dissimule l’hostie qu’elle vient de recevoir, sans se rendre compte qu’un jeune servant de messe l’observait. Dénoncée, elle confesse son intention de donner ce morceau de pain sacré à sa vache dont le lait s’est tari, sur les conseils de la sage-femme. Les membres du clergé et de la haute bourgeoisie, outrés par ce comportement hérétique, décident de faire venir un inquisiteur afin de faire toute la lumière sur cette affaire. Malgré l’opposition du jeune diacre Lautner, le choix se porte sur un juriste raté, Boblig von Edelstadt, mais qui a la réputation d’être infaillible en matière de procès pour sorcellerie. Sitôt arrivé, l’inquisiteur fait comprendre qu’une telle enquête aura un certain coût et que pour rentrer dans ses frais, il confisquera les biens des accusés. Quant à son hébergement, il devra être assuré par la propriétaire terrienne qui l’a fait venir. Cette dernière, encouragée par les autorités religieuses de son domaine, approuve toutes les directives de Boblig et lui donne les pleins pouvoirs. Commence alors l’interrogatoire de la vieille paysanne et de ceux qu’elle dénoncera bien innocemment. Ceux-ci soumis à la torture, commencent alors à dénoncer à leur tour, avouant tout et n’importe quoi, ne faisant que rallonger la liste des complices de collusion avec le Malin…
Remarquable peinture de l’hypocrisie, de la cupidité et de la lâcheté, l’intrigue de WITCHES’ HAMMER se déroule selon une logique implacable et fascinante. Alors que l’événement initial, le vol de l’hostie, aurait pu être classé comme le résultat d’une simple superstition sévissant dans les basses classes, les détenteurs du pouvoir y voit l’occasion d’asseoir leur suprématie. D’un côté, le clergé en profite pour rappeler son utilité à la bourgeoisie, alors que de l’autre, la Comtesse renforce son pouvoir sur la populace en approuvant les pratiques de l’inquisiteur. Idéaliste et humaniste, le personnage de Lautner est présenté comme un érudit ouvert et bienveillant, pas encore corrompu comme ses supérieurs. Amateur de littérature et de musique, son seul défaut est d’être secrètement amoureux de la belle Suzanna, sa servante. Ne manifestant pas le même engouement que sa hiérarchie pour les méthodes de Boblig, il devient de suite un obstacle pour cet homme qui éprouve de suite une attirance pour Suzanna. Sachant qu’il ne pourra jamais la posséder, il fera tout pour la convoquer à ses interrogatoires lubriques servant à épanouir une sexualité que l’on devine frustrée. Quant aux autres bourgeois, ils festoient de bon cœur avec Boblig au début de l’affaire, mais lorsque certains d’entre eux sont cités lors d’aveux extorqués de force, l’ambiance est moins bonne, mais plus personne n’ose s’interposer pour contrer Boblig de peur de finir au bûcher. Au final, c’est bien l’inquisiteur qui sortira gagnant de l’histoire, laissant derrière lui plus d’une centaine de morts, brûlés vifs, alors que ses poches sont pleines.
Adapté d’un livre éponyme de Václav Kaplický, le film puise également dans les archives de l’Inquisition pour en reproduire les paroles exactes lors des scènes de procès. Procès faisant bien sûr suite à d’atroces séances de tortures filmées frontalement en noir et blanc, renforçant l’aspect naturaliste de l’ensemble. Optant pour une mise en scène classique, Vávra cadre au plus près les visages, mettant ainsi en avant les émotions ressenties par ses personnages. Il filmera les corps de la même façon, c’est à dire en insistant sur des détails, passant d’images angéliques de femmes nues au bain au début du film, à des plans douloureux de membres meurtris et délabrés. Bien que ce n’en soit pas le sujet, avec son final tragique et ses images violentes, le film peut se voir comme un véritable réquisitoire contre les pratiques répressives du régime communiste qui avait mis brutalement fin au souffle de liberté apporté par le Printemps de Prague peu de temps auparavant.
Par l’un de ces hasards de l’histoire, WITCHES’ HAMMER sera contemporain de deux autres films sur un sujet similaire, LE GRAND INQUISITEUR (Witchfinder General. Michael Reeves, 1968) et LA MARQUE DU DIABLE (Michael Armstrong, 1970). Étant le moins connu du lot du fait de ses origines slaves, le film de Vávra joue plus sur le tableau de la fresque historique rigoureuse que sur celui de l’exploitation. Il n’en demeure pas moins intéressant pour autant et mérite que l’on y accorde une plus grande attention.

Retrouvez toutes nos chroniques d’Offscreen 2017


Votre soif de lecture n'est pas rassasiée ?
Téléchargez les anciens numéros de Sueurs Froides


Inscrivez-vous à la liste de diffusion et accédez au
téléchargement des anciens numéros de Sueurs Froides :
- Une tranche d'histoire du fanzinat français
- 36 numéros de 1994 à 2010
- Près de 1800 films critiqués
Un index est disponible pour chercher un film ou un dossier
CLIQUEZ ICI.

- Article rédigé par : Éric Peretti

- Ses films préférés :


=> Pour prolonger votre lecture, nous vous proposons ce lien.
Share via
Copy link