Sueurs Froides en version papier

Au sommaire du numéro 37 : Dossier Val Lewton, Nancy Drew, Biographie de Ulli Lommel, la saga Flower and Snake, la franchise Leprechaun, entretien avec Patrice Herr Sang, Entretien avec Marian Dora.
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USA - 1956 - Michael Anderson
Titres alternatifs : 1984
Interprètes : Edmond O’Brien, Jan Sterling, Michael Redgrave, Donald Pleasence

Un texte signé Frédéric Pizzoferrato

1984

Ecrit en 1948 le roman “dystopique” (anti utopie) de George Orwell intéressa rapidement la télévision. Pas moins de trois versions destinées au petit écran furent donc mises en chantier dans les années 50 et 60, la plus célèbre mettant en vedette Peter Cushing et Donald Pleasence. Mais, dès 1956, Michael Anderson adapta également l’œuvre de Orwell, cette fois pour le grand écran. Quoique peu réputée cette version n’en constitue pas moins une bonne surprise et utilise efficacement ses limitations en offrant une version désespérée de cette intrigue tournée avec peu de moyens.
Michael Anderson exploite adroitement sa photographie en noir et blanc et propose une mise en scène professionnelle, bien plus efficace que celle, impersonnelle et insipide, de ses futures adaptations (massacres ?) de classiques de la SF, à savoir DOC SAVAGE, les CHRONIQUES MARTIENNES de Bradbury et le MILLENIUM de l’excellent John Varley, tous trois bien piètres.
Mais, pour en revenir à ce 1984, le bonhomme assure bien et développe une atmosphère paranoïaque assez prenante.
Au niveau des interprètes Edmond O’Brien se montre inspiré même si son personnage montre parfois un enthousiasme déplacé (ne sommes nous pas dans une société totalitaire ayant annihilé toute émotion ?) et une confiance aveugle pas toujours heureuse. Jan Sterling, de son côté, ne suscitera pas le même enthousiasme. Pour des raisons de censure, son personnage de demoiselle libérée et sexuellement agressive a été largement remanié pour devenir une femme romantique rêvant d’une vie maritale et d’un enfant. La plupart des lecteurs du roman l’imaginait probablement plus jeune d’une dizaine d’années et Jan Sterling, alors âgée de 35 ans, apparaît fatalement comme un choix assez malheureux.
Donald Pleasence, quoique dans un petit rôle, se montre pour sa part admirable et délivre une belle prestation, celle d’un pauvre type soumis à l’autorité, pathétique et sympathique à la fois qui sera finalement trahi par sa propre fille totalement convaincue des principes édictés par Big Brother. Il ne lui en voudra même pas car cette dénonciation est pour lui le signe qu’il a « bien élevé son enfant ».
Enfin, mentionnons Michael Redgrave, lequel se révèle un peu trop typé « grand méchant » pour pleinement convaincre mais réussit toutefois à se montrer suave et menaçant.
Outre ce casting, l’œuvre possède d’autres indéniables qualités. La photographie noir et blanc, aujourd’hui usée et malmenée par les ans, donne l’impression de regarder un documentaire sur un pays étrange et étranger dont on ne connaîtrait les mœurs que via la télévision. Le réalisme du film et le manque d’effets spéciaux l’apparente en outre bien davantage à une satire politique qu’à un récit de science-fiction et, à l’image du BRAZIL de Terry Gilliam, ne peut être situé dans un lieu ou une époque véritablement déterminée. Les décors et détails sont bien rendus (les affiches proclamant « Big Brother Is Watching You » ou « Freedom is slavery » disséminées dans le cadre) et l’atmosphère efficace contribuent eux aussi à la réussite de ce projet casse-gueule.
Le métrage de Michael Anderson n’est toutefois pas sans défauts. Le passage où le « héros » révèle sa peur panique des rats tombe comme un cheveu dans la soupe et n’a aucune raison d’être, si ce n’est de préparer le spectateur à la fameuse chambre 101. Une séquence tout aussi décevante d’ailleurs tant elle peine à communiquer le sentiment d’horreur indicible que provoque censément les tortures perpétrées en ce lieu. La liaison amoureuse paraît elle aussi un peu ratée et aurait mérité un développement plus subtile.
Toutefois, même si le générique annonce une « adaptation libre », 1984 se montre relativement fidèle au roman, davantage à l’esprit qu’à la lettre sans doute mais n’est-ce pas le plus important pour réussir une transposition de l’écrit à l’écran ? La plupart des concepts imaginés par Orwell se retrouvent donc dans le film : le lavage de cerveau, la falsification de l’Histoire au gré des sautes d’humeur du Parti, la guerre perpétuelle contre un adversaire flou et le climat de crainte constamment entretenu par un Gouvernement tout puissant. Les concepts de double-pensées et de novlangue (« 2 et 2 font 4, ou parfois 5 si Big Brother le souhaite »), l’intrusion des medias dans la vie privée, la diabolisation du sexe sont aussi de la partie même si de manière moins approfondie. Reconnaissons d’ailleurs que ces concepts sont difficiles à transcrire à l’écran et que Anderson parvient à un résultat tout à fait satisfaisant. Etonnamment ce fond politique n’a pas vieilli, bien au contraire, tant l’acuité de Orwell s’est avérée prémonitoire au point que certains éléments semblent à présent familiers.
Difficile de dire si le métrage de Michael Anderson est supérieur à celui, bien plus connu, de Michael Radford avec John Hurt et Richard Burton mais il mérite en tout cas un coup d’œil attentif et sait peu à peu capter l’attention des spectateurs. Bref, une curiosité fort intéressante pour les amateurs de science-fiction rétro où le fond prime sur la forme.



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Article rédigé par : Frédéric Pizzoferrato

Ses films préférés : Edward aux Mains d’Argent, Rocky Horror Picture Show, Le Seigneur des Anneaux, Evil Dead, The Killer

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