Un texte signé Claire Annovazzi

- 2014


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BIFFF 2014Dossierentretiens

Béatrice Dalle

Béatrice Dalle était parvenue à se faire un nom dès son premier film, le sulfureux 37°2 LE MATIN, en 1986. Depuis, elle n’a jamais cédé à la facilité et a multiplié les expériences en tournant avec des réalisateurs aussi talentueux que provocateurs (entre autres Michael Haneke ou Abel Ferrara). D’autres lui ont fait confiance plusieurs fois, comme Claire Denis. C’est le cas aussi pour Julien Maury et Alexandre Bustillo, avec qui elle a déjà tourné À L’INTÉRIEUR (2007) et LIVIDE (2011), devenant ainsi une icône du cinéma de genre à la française.

Béatrice était au Brussels International Fantastic Film Festival pour présenter leur dernière collaboration, AUX YEUX DES VIVANTS, en compétition pour le Méliès. C’est à cette occasion que nous l’avons rencontrée, en compagnie de nos collègues de En cinémascope.

Rédacteurs : Vous présentez votre troisième film avec MM. Maury et Bustillo. Pouvez-vous nous raconter un peu cette aventure, la rencontre d’abord, puis pourquoi l’envie de continuer à travailler avec eux sur tous leurs films ?

Béatrice Dalle : Ben j’ai un super souvenir. J’ai fait À L’INTÉRIEUR avec eux. J’ai adoré le tournage. Déjà, eux, leur personnalité. L’ambiance d’un tournage. Nicolas Duvauchelle qui est mon ami depuis TROUBLE EVERY DAY. Et j’adore le résultat. Et on aurait dit plutôt un groupe de rock, vous savez, parce qu’on n’a pas beaucoup de sous. Un groupe de rock débutant, j’ai envie de dire. Y a plein de gens talentueux. Les gens des effets spéciaux sont juste incroyables. J’ai adoré ce tournage. Et on s’est dit, avec les garçons, que de toute façon je serai dans tous leurs films. Alors là, j’y suis pas beaucoup, mais je m’en fous. Ils vont pas écrire tous leurs films pour moi. J’entends bien. Mais même une seconde ! Je serai comme – comment il s’appelle ? Celui qui a fait PSYCHOSE et qui est super connu, et que j’ai trop honte de pas retrouver son nom…

Rédacteurs : Hitchcock.

Béatrice Dalle : Hitchcock ! J’ai honte de pas l’avoir trouvé. Il apparaissait dans tous ses films. Et ben moi, je serai le Hitchcock des deux garçons. Même si c’est une seconde, je m’en fous, mais si j’y suis pas, j’irai saboter leur film.

Rédacteurs : Là, on vous voit quand même quelques minutes, c’est vrai, mais ce sont des minutes clés, vraiment essentielles au début du film. Le cinéma de genre semble vous convenir à merveille.

Béatrice Dalle : Je fais l’éducation de ce jeune garçon. Regardez ce qu’il donne après.

Rédacteurs : C’est clair. C’est vrai que c’est pas très joyeux, mais nous, on aime bien. Je disais donc, le cinéma de genre vous convient parfaitement…

Béatrice Dalle : J’aime beaucoup, ouais.

Rédacteurs : Qu’est-ce qui vous a séduit dans le cinéma de genre de Julien Maury et Alexandre Bustillo en particulier ?

Béatrice Dalle : J’ai besoin d’honnêteté et de sincérité. Et ces types-là, ils aiment passionnément ce genre de film. Ils font aucune concession. Par exemple, quand À L’INTÉRIEUR est sorti aux Etats-Unis, ils ont eu une proposition vraiment incroyable. Seulement, il y a un cahier des charges avec les américains, où tu es plus maître de tout. Et ça, ils refusent. Et rien que pour ça, c’est un bonheur de tourner avec eux. En plus, c’est une colonie de vacances, quand je suis avec eux. Je veux bien aller n’importe où ! Là, on me dit : “Viens à Bruxelles.” J’adore cette ville ! Je les adore. Donc je ferai n’importe quoi avec ces garçons. Déjà, j’aimais le film d’horreur. Je suis amoureuse, depuis que je suis petite, depuis Leatherface. Voilà. J’ai une vision particulière du sex appeal, j’en conviens. Mais moi, il me plaît beaucoup.

Rédacteurs : Est-ce que leur cinéma sans concession, on peut le rapprocher un peu de celui de Gaspar Noë, avec Nahon notamment.

Béatrice Dalle : J’adore Gaspar Noë. C’est super, les Gaspar Noë. C’est un incroyable metteur en scène. A chaque fois, avec ses films, tu prends une claque dans la gueule. C’est une super comparaison. Ça me va, Gaspar Noë.

Rédacteurs : Justement, vous avez tourné avec des réalisateurs comme Haneke, Ferrara, plutôt controversés, plutôt polémiques…

Béatrice Dalle : Plutôt talentueux, je dirais.

Rédacteurs : Aussi. Bien sûr, il y a le désir artistique de travailler avec des gens exceptionnels…

Béatrice Dalle : Leur esprit.

Rédacteurs : Et un petit peu de provoc’ aussi, peut-être ?

Béatrice Dalle : Ça, je te jure que j’y pense pas. C’est après, les gens qui pensent que… Mais si faire ce que tu as envie, et être honnête, c’est de la provoc’, alors ouais. Parce que quand tu bosses avec Haneke ou Ferrara… Je fais souvent la comparaison avec une histoire d’amour. Quand je tombe amoureuse d’un homme, c’est l’esprit ! J’ai pas besoin d’un bellâtre sans cerveau, où je vois passer des trains dans ses yeux. Je veux qu’un esprit me séduise. Quand tu tombes amoureuse, tu sais pas où le mec va t’amener. Tu te poses pas la question. Tu ne peux PAS ne pas y aller. Et ben un metteur en scène, quand tu as Haneke en face, tu vas au bout du monde avec lui. Quand tu as Ferrara, quand tu as Claire Denis, quand tu as Jim Jarmush, tu te poses pas la question, tu dis juste ouais. De toute façon, ils t’amèneront pas dans le mur. Mais même s’ils t’amènent dans le mur, tu y vas avec eux, et tu es fière d’y aller. Je suis très fière aussi d’un truc, c’est que je fais beaucoup de premiers films. Je suis très contente que tous ces jeunes filles ou garçons fassent appel à moi. Donc je mets un point d’honneur à ne jamais dire non. Ils peuvent me demander ce qu’ils veulent. Je dis non dans la vie, mais dans le cinéma, ils peuvent me demander ce qu’ils veulent, je le ferai. Et vraiment, je suis super fière de ça. Je fais pas du cinéma pour être en soins palliatifs, tu vois ? J’ai des copains musiciens, j’aimais cette ambiance là. Là je vais faire du théâtre. Je me souviens, j’ai été voir une pièce de théâtre, de théâtre privé. Je me lève pour applaudir parce que j’ai aimé la pièce, et je me fais insulter par les gens ! Et je leur ai dit, je suis pas en soins palliatifs. Si j’ai envie de me lever, c’est pas pendant la pièce, je suis pas débile. Et les acteurs viennent me voir après, en me disant : “On est content, parce qu’il y a quelqu’un qui manifeste que…” Je vous applaudissais. Je me suis pas levée pour les insulter. Et là, le théâtre que je vais faire, où tu as des gens de toutes origines – tu as des africains, des arabes, des sud-américains. tu as des danseurs de hip-hop, des acrobates, des jongleurs, des acteurs. Voilà, j’ai envie de ça, j’ai envie d’une aventure.

Rédacteurs : Est-ce que la spectatrice que vous êtes a apprécié le public du BIFFF ?

Béatrice Dalle : Non, pas hier ! Ils dormaient, les belges, hier. Parce qu’on m’avait tellement parlé de ce public incroyable ! Vous avez une réputation de dingues. Alors ou vous avez pas aimé le film, ça, je le respecte. Hélas. Mais on me dit : “Mais non, ils étaient tellement dedans.” Si c’est ça, c’est cool. Mais on l’a présenté il y a un mois à Nantes. Tu peux pas savoir, ils ont mis le feu, à Nantes. Après, on est monté sur scène, où les gens nous posent des questions. Ils nous ont tous chambré. Mais gentil, tu vois. Ils se sont tous foutu de notre gueule, mais pareil, rigolo. Je m’attendais à ça, ici. Rien. Donc putain, vous étiez sous Rohypnol hier.

Rédacteurs : Le film nous a vraiment scotchés, je pense, aussi.

Béatrice Dalle : Si c’est ça, c’est cool. Mais on nous a tellement vendu ce public, en nous disant : “Tu vas voir, ça va être une kermesse de skinheads.”

Rédacteurs : Faut revenir. Faut revenir avec un autre.

Béatrice Dalle : Avec grand plaisir.

Rédacteurs : Vous disiez que le réalisateur est très important pour vous.

Béatrice Dalle : Y a que ça.

Rédacteurs : Leconte disait qu’un réalisateur doit être amoureux de ses acteurs et de ses actrices. Vous ne lisez pas le scénario, semble-t-il.

Béatrice Dalle : Non.

Rédacteurs : Qu’est-ce qui vous séduit dans un réalisateur en particulier ? Quand est-ce que vous avez envie de lui faire confiance ?

Béatrice Dalle : Son âme et son esprit. Il faut qu’il me séduise par son intellect. À partir de là, je le suis au bout du monde. Je fais la comparaison, souvent, avec la peinture. J’adore Jérôme Bosch. Je suis une fan de Jérôme Bosch. Pour moi, le premier punk, c’est Jérome Bosch. Ah ouais, c’est un punk, Jérôme Bosch ! J’aime Van Gogh. Tu es en pleurs devant une peinture de Van Gogh. Il va peindre une chaise en paille, un pot de fleurs, une montagne. On en a un peu rien à foutre, de sujets comme ça. C’est le regard du mec qui d’un seul coup, tu te dis : “Mais quelle âme avait ce type-là pour ressentir des choses pareilles ?” Ben au cinéma, j’ai envie de la même chose. Parce qu’Haneke est un type à tomber par terre d’intelligence. La même histoire, si c’est pas Haneke, j’en ai rien à foutre, quoi.

Rédacteurs : Et les personnages ?

Béatrice Dalle : J’en ai rien à foutre.

Rédacteurs : Rien du tout ?

Béatrice Dalle : Rien. Et d’abord, je suis pas un personnage. Parce que pour moi, un personnage, c’est dans une cour d’école, quand tu es petit, tu te déguises en marquise. Tu te déguises en princesse, ou en bergère. Moi, je me déguise pas. Ou j’incarne le truc, ou sinon c’est pas la peine. Si tu crois pas totalement à ce que tu fais – je peux donner que ce que j’ai. Donc je peux le faire qu’en vivant ce qui est écrit sur le scénar.

Rédacteurs : Alors pourquoi des femmes souvent dangereuses ?

Béatrice Dalle : Ça, faut demander aux metteurs en scène. J’ai un physique de piège à loup depuis tout le temps. Et pourtant, je suis une pâquerette. Mais les metteurs en scène le savent. La preuve, c’est qu’ils peuvent me demander ce qu’ils veulent. Je suis quelqu’un de docile sur le travail. C’est pas un compliment que je me fais, c’est juste normal. Je suis contente, je suis fière et honorée qu’ils me fassent une proposition. Donc je considère pas qu’une équipe est à mon service, à m’attendre par mes caprices. Je suis au travail, et je suis un soldat à son travail. Ce que je suis pas dans la vie, hein ! Mais dans le travail, ouais.

Rédacteurs : Beaucoup d’adjectifs ont été utilisés pour vous qualifier : une actrice naturelle, instinctive, inventive, insoumise, rebelle, passionnée, au jeu intense, à la présence animale, qui ne fait pas de concessions, qui y va avec le cœur. Est-ce que vous vous retrouvez là-dedans ? Qu’est-ce qui vous parle le plus ?

Béatrice Dalle : Que j’y vais avec le cœur. Parce que tu vois, souvent, j’ai des super critiques. Ça va peut-être être présomptueux, mais je m’en fous. Je pense que je les mérite, parce que je le fais tellement honnêtement. Je peux tout accepter sauf la traîtrise. Je suis pas une collaboratrice, tu vois. Du coup, je suis tellement honnête, que je les mérite, mes bonnes critiques. Parce que je le fais jusqu’au bout de la nuit, comme Céline.

Rédacteurs : Vous avez parlé du théâtre, de spectacles. Vous avez peut-être aussi envie de passer derrière la caméra ?

Béatrice Dalle : Non. Et pour moi, pourtant, le maître d’un tournage, le seigneur, le maître – je suis son Gollum – c’est le metteur en scène. Et je trouve qu’il y a trop de gens qui s’improvisent metteurs en scène. Maintenant, aujourd’hui, les jeunes filles, elles veulent toutes être actrices. Avant, y en a qui voulaient être infirmières, y en a qui voulaient être vétérinaires. Maintenant, elles veulent toutes être chanteuses ou actrices. Tout le monde veut être metteur en scène. Je comprends ! Y a une espèce d’image qu’on donne, de facilité, de fêtes. Bon, ce qui est vrai aussi, hein. C’est pas le métier le plus difficile ou le plus désagréable. Mais on s’improvise pas metteur en scène. Comme, pour moi, on s’improvise pas musicien. Ce que j’aime le plus au monde, c’est la musique. Souvent, on m’a proposé de chanter. Des mecs incroyables m’ont proposé de chanter. Et j’ai pas envie de faire ça en dilettante. J’aime trop la musique pour faire ça en distraction.

Rédacteurs : Vous avez tourné avec Haneke, vous l’avez dit, Lelouch, Assayas, et bien d’autres. Mais c’est Jacques Doillon qui vous a fait le plus progresser, dîtes-vous. Qu’est-ce que vous avez appris à son contact de particulier ?

Béatrice Dalle : C’était mon deux- ou troisième film, avec Doillon. D’un seul coup, je me trouve avec des textes hyper écrits. tu as des kilomètres de texte à apprendre. Je me souviens, Doillon, je lui dis : “Tu sais, je vais même avoir du mal à retenir le titre. Qu’est-ce que tu fais, là ?” Et j’ai une actrice incroyable, qui est Isabelle Hupert. Et y a tellement de texte que je me souviens même de certains jours où – bien sûr, il faut savoir, ce qui est légitime – comme Doillon, tu fais une scène où – tiens, à la fin de ce mot-là, tu vas mettre ta main là, à la fin de celui-là, tu vas faire comme ça – qu’on avait un technicien qui déroulait par terre, pas le texte, mais juste le dernier mot de chaque phrase, ou le premier, pour savoir les gestes. Donc c’est archi-compliqué. Tu prends dix ans, quand tu fais un Doillon. Mais après, tu te dis que tu peux faire plein de choses.

Rédacteurs : Des films que vous avez tournés – y en a 50, presque, 46 je pense – y en a un que vous regrettez d’avoir tourné, semble-t-il. On peut peut-être ne pas dire lequel c’est.

Béatrice Dalle : Je sais même plus le titre. Comment il s’appelle ?

Rédacteurs : C’était ON A VOLÉ CHARLIE SPENCER, de Francis Huster.

Béatrice Dalle : Ah oui, c’est ça. Mais il est pourri, allez. Il se prend pour Gérard Philippe.

Rédacteurs : Je ne l’ai pas vu, mais on vous fait confiance.

Béatrice Dalle : Mais il a pété un câble, le mec, sur le tournage ! Je te jure. Il m’appelait “l’actrice nue de 37°2”. Je dis : “Vas-y, Gérard Philippe avorté.”

Rédacteurs : Je voulais vous demander comment vous faites pour ne jamais vous tromper sur un projet, puisque, chaque fois, vous assumez tous vos films. Comment avez-vous développé ce regard ?

Béatrice Dalle : Parce que j’ai grandi. Quand j’ai fait 37°2, ça m’est arrivé par hasard. J’ai fait des photos qui se sont retrouvées en magazine, sur la couverture d’un magazine. Et on m’a fait faire le casting pour 37°2. Mais j’étais comme plein de gamines – [bruits très forts] eh, le son, il va s’arracher la tête, là – j’allais au cinéma parce que je trouvais un acteur sexy. Je connais aucun metteur en scène. Maintenant, je ne vois que par Pasolini, par Bergman, par Fassbinder. Je sais le cinéma que j’aime et celui qui m’intéresse pas, quoi. Je suis devenue hyper pointue. Maintenant, je suis sans concession. Souvent, je fais une comparaison avec un skinhead. Pas par rapport au genre des idées, bien entendu. La preuve dans ma vie. Mais je suis intolérante au possible.

Rédacteurs : Des réalisateurs avec qui vous avez envie de tourner, maintenant ?

Béatrice Dalle : Pasolini, mais… Bergman, mais… Fassbinder, mais… Souvent, on me dit aussi : “Pourquoi tu veux pas faire des comédies ?” Si c’est pour faire les Contes de Canterbury, mais demain, je fais une comédie ! Mais si c’est pour faire comme ça et rigoler, non, j’ai pas envie. Ça m’intéresse pas. Et j’ai pas envie de quotidien, aussi. Je me dis, le cinéma, pour moi – je critique pas – je suis qui pour critiquer un autre genre de cinéma. Y a des gens qui ont du plaisir à le faire, d’autres qui ont du plaisir à le regarder. Mais j’ai pas envie de quotidien. Déjà, le quotidien, dans la vie, ça me fait chier, alors c’est pas pour aller le faire au cinéma.

Rédacteurs : D’où le cinéma de genre.

Béatrice Dalle : Que j’aime beaucoup, ouais. Mais même, je trouve que tous les films que je fais, c’est du cinéma de genre.

Rédacteurs : Oui, y a des thrillers,…

Béatrice Dalle : Le genre de l’esprit.

Rédacteurs : Avec un rôle superbe dans À L’INTÉRIEUR. Un de vos plus beaux rôles, peut-être. Je ne sais pas si vous êtes d’accord là-dessus.

Béatrice Dalle : Ah oui, superbe.

Rédacteurs : Un souvenir ? Un mot sur le tournage ? Sur le film en lui-même ?

Béatrice Dalle : Écoute, je me souviens d’une scène où je suis toute brûlée. Et y a Nicolas Duvauchelle qui est éventré. Et on est tous les deux sur le canapé, et on avait mis une petite légende. On avait mis : “Regardez, en regardant 10 ans TF1, ce que ça donne.”

Rédacteurs : Vous regardez beaucoup TF1 ?

Béatrice Dalle : Non. Justement, sinon, on serait comme ça.

Rédacteurs : Le film a failli être interdit aux moins de 18 ans en France. Je voulais vous demander votre avis sur la censure en France en particulier, qui nuit quand même pas mal au film de genre français.

Béatrice Dalle : Vraiment ! Puisque du coup, on n’a pas beaucoup de copies. Il va passer à minuit comme presque un film porno. C’est super dommage !

Rédacteurs : Dans 25 salles apparemment.

Béatrice Dalle : Même pas ! Je crois, du coup, maintenant qu’il est interdit aux moins de 18 ans, c’est 15, un truc comme ça. Tu sais, je me souviens avoir fait une émission avec des gens de la censure. J’ai juste posé une question, je les critiquais pas. J’ai juste demandé – n’importe quel travail, tu as une formation, tu as une éducation – je leur ai dit : “C’est quoi la vôtre ? Pour décider, si j’avais des enfants, ce qui va être bien pour eux, ou pas bien.” Je les critique pas. Je dis : “Dîtes-moi juste comment on devient… votre métier, pour décider de ce qui est bien pour les autres.” Ils se sont super énervés et ils ont été incapables de me répondre. Je dis : “Là, vous marquez pas des points. C’est pas en votre honneur. Parce que je demandais juste ça. N’importe quelle profession, on a une formation pour. Et pas vous. Et d’un seul coup, vous décidez de ce qui est bien, pour moi, pour les enfants. C’est bizarre.” Mais Botticelli, il a bien arrêté de faire de la peinture, ses nus sublimes parce que c’était l’Inquisition et que ça ne se faisait pas. L’Inquisition continue d’une autre manière.

Rédacteurs : Vous avez abordé la peinture, la musique. On imagine que tout ce que vous aimez est un petit peu à part.

Béatrice Dalle : J’aime que le hardcore. J’aime la musique classique. J’aime le ragga. Mais le ragga des bois, hein. Sizlak, Appleton… Pas le truc de boîte de nuit. J’aime la musique de skin, aussi, j’aime la musique Oi !

Rédacteurs : Et la littérature ? De la littérature fantastique ?

Béatrice Dalle : Je lis pas. Et c’est un tort, hein, je suis pas fière de moi. Mais y a toujours quelque chose qui me distrait. Et y a rien qui m’exalte plus que la musique, en fait. Et tu sais, j’écoute souvent la musique au casque. Pas pour les voisins, mais parce que je suis en immersion totale. Et je fume des clopes. Et si mon casque, le fil du casque – mon paquet de clopes il est trop loin, je fumerai pas de clopes. En me disant : “Je vais pas me couper du monde incroyable dans lequel je suis juste pour une cigarette.”

Rédacteurs : On parle de musique. Qu’est-ce que vous pensez du travail sur la musique dans AUX YEUX DES VIVANTS ?

Béatrice Dalle : Mais souvent les metteurs en scène avec qui je travaille, Jarmush par exemple, c’est un musicien. Abel Ferrara est aussi musicien. C’est super important, parce que ça fait l’atmosphère du film. T’écoutes de la musique triste, tu es triste. De la musique sensuelle, tu es sensuel. C’est l’art le plus instinctif. Parfois, tu as même pas besoin d’éducation. C’est un des rares trucs où… Si, le jazz. Le jazz, c’est quand même pour un public averti et préparé. Mais sinon, la musique, ça te touche instinctivement, tout de suite. Donc c’est très important. Pour ce genre de film, comme pour tous les films. Jarmush, il soigne autant la bande son – Claire Denis, aussi. Ils sont autant musiciens que metteurs en scène, ces gens-là.

Rédacteurs : Elle vous a beaucoup dirigée, Claire Denis. Trois fois. AUX YEUX DES VIVANTS parvient, et c’est une gageure au cinéma, à mettre le spectateur mal à l’aise. C’est pas facile d’y arriver. Le réalisateur y arrive. CALVAIRE, c’est le même résultat, on y arrive aussi.

Béatrice Dalle : C’est bien, CALVAIRE.

Rédacteurs : Que pensez-vous du cinéma de Fabrice Du Welz qui est belge.

Béatrice Dalle : C’est super. J’adore ce type.

Rédacteurs : Vous aimeriez tourner avec lui ?

Béatrice Dalle : Écoute, on a failli, et je regrette que ça ne soit pas fait, parce que je le trouve super. D’ailleurs, si tu m’écoutes, sache que – on devait se rejoindre à Bruxelles, lui et moi – et j’ai eu des embrouilles avec la police, dans le train. Donc ça m’a vénère et je suis pas venue. Sinon, j’aurais été un petit soldat soumis.

Rédacteurs : On lui dira, alors.

Béatrice Dalle : Ah vous pouvez lui dire. Il est trop super. Je sais qu’il a tourné avec un proche à moi et que ça s’est pas bien passé. Mais moi, ça sera pas pareil. Je serai ton soldat si tu me fais travailler.

Rédacteurs : Merci.

Lire la critique de Aux yeux des vivants

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Article rédigé par : Claire Annovazzi

Ses films préférés : Une Balle dans la Tête, Fight Club, La Grande Bouffe, Evil Dead, Mon Voisin Totoro

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