Chris Anthem spit on your grave dans Abymes
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La différence entre Axelle Mann et les autres, c’est l’absence de peur. Axelle ne craint pas le virus, et encore moins de se retrouver coincée dans une rame de métro seule avec des garçons.
Tout du moins, dans la seconde partie du livre Abymes de Chris Anthem…
Abymes est en effet divisé en deux parties. Dans la première, Axelle est une femme qui se conforme à ce qui est attendu d’elle, avec une forte propension à la docilité.
Être docile a cependant des effets secondaires. Et Axelle vit constamment dans la peur. Peur d’être violée dans le métro, d’être kidnappée par un pervers, d’être exploitée sexuellement comme monnaie d’échange contre un service.
C’est pourquoi, la seconde partie d’Abymes ne pourra pas ressembler à la première…
Aucun doute, le terminus constitue bien ton unique destination.
Dès les premières lignes du roman, le lecteur pense avoir compris à quel de genre de livre il a affaire. On s’imagine déjà devoir endurer un succédané littéraire d’I Spit on your grave. Dans le célèbre film de Meir Zarchi, une écrivaine était violée, humiliée et laissée pour morte par quatre hommes, avant de prendre la décision libératrice de les traquer et de leur faire payer.
L’année 1978, c’est le grand soir du rape and revenge, la vengeance des femmes contre les hommes. Mais à l’époque, pour qu’une femme puisse avoir le droit de lever la main sur un membre de la gent masculine, il fallait que cela soit justifié. C’est-à-dire qu’il ait commis des actes véritablement ignobles et impardonnables.
Plus qu’une évolution vis-à-vis de la fin des années 70, Abymes démontre une véritable maturité.
La vengeance d’Axelle n’est en effet plus dirigée contre quatre hommes bien définit, mais contre la gent masculine dans son ensemble. « Arrêtez de m’expliquer, j’ai tout compris », semble nous hurler l’héroïne. Les viols, les féminicides, c’est juste le sommet de l’iceberg qui cache le dénigrement quotidien et régulier que subissent les femmes. Absentes des conseils d’administration des entreprises ou des instances décisionnaires des partis politiques, reléguées aux tâches ingrates au travail ou au sein de la famille, le sexe faible (tout est dit) subit un véritable harcèlement moral et un dénigrement quotidien.
Cela se traduit inévitablement par un manque d’estime de soi, affection dont souffre Axelle de manière particulièrement évidente.
Ils représentent le Bien, l’État, et toi tu n’es qu’une merde.
Parce que la dépression guette ceux qui ne font rien pour s’en sortir, Axelle ne voit pas d’autres moyens que de refuser la peur. Et cela passe par résister à sa condition de victime. Si vous trouvez son jugement quelque peu arbitraire parfois, ou si, d’autre fois, il vous semble que la punition assénée par Axelle est un peu disproportionnée, peut-être n’est-ce finalement pas si grave, car, en fin de compte, tous les hommes sont coupables… Ils consentent, laissent faire et ne s’opposent pas avec véhémence à une société où ils sont en haut de l’échelle. Logiquement, les femmes qui collaborent avec les hommes sont punies, aussi… Ainsi, tout le monde en prend pour son grade, du serrurier au contrôleur SNCF, en passant par le vendeur de kebab et la fonctionnaire qui ne risque pas d’être sanctionnée pour excès de zèle…
Pour s’assurer l’identification totale du lecteur avec Axelle, l’auteur n’hésite pas à nous manipuler en utilisant quelques astuces. Par exemple, Chris Anthem s’adresse à nous par le tutoiement, comme s’il s’agissait d’un « livre dont vous êtes le héros ». Ainsi, le chapitre 4 commence par « Tu t’appelles Axelle. Axelle Mann ». Plus loin, ce sera « Tu t’en fais le serment » ou « Tu n’es pas née pour créer. Tu es née pour détruire ».
La forme soutient subtilement le fond. L’écriture nerveuse est percutante. Chris Anthem ne tourne pas autour du pot et nous embarque, qu’on le veuille ou non, dans son histoire brutale et édifiante, au point qu’on a bien du mal à reposer le roman une fois qu’on l’a pris en main.
Parce qu’il n’y a pas de réflexion sans radicalité, Chris Anthem livre avec Abymes un livre coup de point dirons certains, un appréciable soutien aux mouvements féministes diront d’autres. Comment un romancier pourrait mieux montrer sa compassion et sa solidarité envers une catégorie persécutée, qu’en invitant ses lecteurs à vivre leur quotidien ?
Les commandes s’effectuent sur le site de l’éditeur :
Notre critique des Cavaliers de l’orage, également de Chris Anthem