Sueurs Froides en version papier

Au sommaire du numéro 37 : Dossier Val Lewton, Nancy Drew, Biographie de Ulli Lommel, la saga Flower and Snake, la franchise Leprechaun, entretien avec Patrice Herr Sang, Entretien avec Marian Dora.
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Etats-Unis - 1935 - Frank R. Strayer
Interprètes : Ralph Morgan, Maxine Doyle, Pedro de Cordoba, Mischa Auer

Un texte signé Alexandre Lecouffe

Condemned to live

Après quelques rares et peu fructueuses tentatives pour imposer le genre fantastique-gothique à l’époque du cinéma muet (NOTRE DAME DE PARIS de Wallace Worsley, 1923), la maison de production américaine Universal y parviendra au tout début des années trente grâce à deux chefs d’œuvre : DRACULA de Tod Browning (1931) et FRANKENSTEIN de James Whale (idem). L’engouement public sera tel que les « films de monstres » (aux vertus cathartiques évidentes en cette période anxiogène qui suit la crise de 1929) deviennent un véritable filon pour la compagnie de Carl Laemmle Jr. Ce précurseur est bientôt imité par certaines majors (la Paramount qui produit DOCTEUR JECKYLL ET MISTER HYDE de Rouben Mamoulian en 1931 puis L’ILE DU DOCTEUR MOREAU de Erle C.Kenton en 1932) mais surtout par une multitude de petits studios spécialisés dans la série B ou Z. L’un deux, la Republic, est un des plus solides à l’époque et il est constitué de l’union de six minuscules studios désargentés (les « Poverty Row ») parmi lesquels on retrouve le célèbre Monogram et l’inconnu Invincible Pictures à qui l’on doit CONDEMNED TO LIVE. Le film est réalisé par le prolifique mais quasi-oublié Frank R.Strayer réalisateur de quelques solides « thrillers » (MURDER AT MIDNIGHT, 1931 ; THE GHOST WALKS, 1934) et qui se tournera avec succès vers la comédie dès la fin des années trente, signant notamment une dizaine de « Blondie », adaptations d’une célèbre bande-dessinée américaine. Son œuvre la plus connue demeure THE VAMPIRE BAT (1933) avec Lionel Atwill dont le sujet et le traitement sont assez proches du film qui nous intéresse.

Dans une grotte quelque part en Afrique, deux hommes et une femme de type européen ont trouvé refuge après avoir été poursuivis par des indigènes très hostiles. Ils comprennent que leurs assaillants ont peur de ce qui se trouve à l’intérieur de leur cachette : des chauves-souris vampires ! L’une d’elle mord la femme alors que celle-ci est sur le point d’accoucher ! Quarante ans plus tard, dans un petit village de l’Europe de l’Est, nous faisons la connaissance du professeur Kristan, un notable vénéré par ses concitoyens. Ces derniers lui font part de leur angoisse alors que plusieurs cadavres ont été retrouvés dans les environs, la gorge tranchée et totalement exsangues. Si les soupçons se portent sur une énorme chauve-souris vampire, le jeune et preux David (qui est amoureux de la vertueuse Marguerite qui vient de déclarer sa flamme au professeur Kristan) est le seul à affirmer que ces morts sont forcément dues à un être humain. Il serait temps d’identifier le responsable car le village sombre peu à peu dans l’hystérie collective tandis qu’une quatrième victime est à déplorer…

Après un prologue assez mystérieux et à l’imagerie quasi-biblique situé dans une grotte perdue dans la jungle africaine, CONDEMNED TO LIVE va situer son cadre diégétique dans un espace familier aux films d’épouvante gothique des années trente, celui d’un petit village européen du milieu du 19 ème siècle. Comme la plupart des modèles cinématographiques dont il s’inspire (les « monster movies » de la Universal), le film de Frank R.Strayer convoque un ensemble assez hétéroclite de thèmes, de motifs et d’archétypes issus à la fois de la littérature fantastique anglo-saxonne (les romans noirs ou gothiques plein de sadisme et d’érotisme sous- jacent), du cinéma expressionniste allemand ( avec ses figures monstrueuses, ses décors irréels…), le tout agrémenté d’une touche de « pulp fiction » pour les aspects un peu simplistes et convenus de l’intrigue : meurtres pseudo-mystérieux, amourettes contrariées…Si l’univers esthétique du long-métrage semble si évocateur, c’est tout d’abord par le fait que de nombreuses séquences ont été tournées dans les décors de LA FIANCEE DE FRANKENSTEIN (James Whale,1935) dont on retrouve presque à l’identique certaines ruelles du village avec ses voûtes d’ogives et ses habitants apeurés agrippant des flambeaux. Le film parvient néanmoins à ne pas être un simple démarquage « cheap » des grandes réussites artistiques de la Universal même si la dette à l’égard des œuvres de James Whale ou de LE MONSTRE DE LONDRES (Stuart Walker, 1935) auquel il emprunte notamment les caractéristiques lycanthropes du meurtrier est ouvertement exposée.

Ceci nous amène à souligner l’originalité du mal monstrueux dont est victime ce dernier, effrayant être hybride qui tient à la fois du vampire (il égorge et boit le sang de ses victimes féminines) et du loup garou (son faciès et son corps se transforment dans la douleur par nuits de pleine lune). L’autre aspect assez original et plutôt inattendu du film est de nous révéler assez rapidement, soit en milieu de métrage, l’identité véritable du meurtrier sanguinaire ; cette audace scénaristique a pour conséquence positive de laisser de côté l’aspect « whodunit » de l’intrigue pour s’intéresser davantage à la création d’une atmosphère à la fois lugubre et mélancolique. Ce premier climat est bien mis en images grâce aux scènes se déroulant majoritairement de nuit et éclairées principalement par des torches, lors de la découverte récurrente des cadavres dans la grotte. Les visages apeurés puis assoiffés de vengeance des villageois forment également des tableaux visuellement très réussis au sein de séquences habilement montées pour figurer la montée inexorable de la violence aveugle et collective. A ce titre, la scène où les braves gens trouvent un bouc émissaire idéal en la personne du domestique laid et bossu du professeur Kristian (joué avec efficacité par le second rôle Ralph Morgan vu dans THE MAD DOCTOR de Tim Whelan, 1941, produit par la Universal) est assez mémorable. Mais la mélancolie est peut être le sentiment qui prédomine dans CONDEMNED TO LIVE (dont le titre exprime d’ailleurs une forme de paradoxe plein d’amertume) puisqu’en substance, et sans en dire davantage sur l’identité et les « raisons » du criminel, c’est d’une forme de fatalité, de malédiction et d’impossibilité de vivre comme les autres dont il est question…

S’il n’atteint jamais la puissance formelle et souvent visionnaire des œuvres matricielles que nous avons citées, le film de Frank R.Strayer, en dépit des défauts inhérents aux bandes tournées en quelques jours ( !) parvient à offrir un bon spécimen de l’épouvante gothique duquel ne sont absents ni l’ambiance funèbre du genre ni quelques trouvailles esthétiques et narratives. Un petit plaisir cinéphile non négligeable…



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Article rédigé par : Alexandre Lecouffe

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