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Un petit village méditerranéen, blanc, désolé et oublié des touristes, aux côtes rocheuses, déchirées et battues par les flots. Nicolas, la petite dizaine, et quelques autres enfants de son âge, s’ébattent dans les vagues et trainent leur ennui dans les rues de ce petit monde enclot sur lui-même, peuplé uniquement de femmes. Diaphane, lisse, le sourcil effacé, l’expression quasi absente, la mère de Nicolas est tellement semblable à celles de ses amis. Décrétés malades par leurs parents, tous les enfants finissent à l’hôpital du village, une grande bâtisse à moitié abandonnée, enchevêtrement de couloirs mystérieux, de salles décrépites, de chambres vermoulues, de passages pourris d’humidité. Nurses et infirmières s’affairent d’examens en opérations sur les jeunes garçons, laissant sans réponse leurs questions. Nicolas finit par se demander s’il est vraiment malade… et si les adultes sont bien ce qu’ils prétendent être. D’autant que, par le biais d’un dessin, il arrive à nouer un contact un peu plus chaleureux avec Stella, une infirmière.
Splendeurs visuelles et rythme lymphatique définissent le deuxième long métrage de Lucile Hadzihalilovic. EVOLUTION est tout en langueur, trainant joliment ses séquences pour installer un rythme qui nous berce au gré du ressac. Benoit Debie, chef opérateur sur INNOCENCE, cède l’objectif ou tout aussi doué Manu Dacosse, qui est décidément de toutes les grandes œuvres visuelles de ces dernières années. Très vite se crée un climat onirique qui rattache le film à un fantastique diffus, où les non-dits, interrogations en suspens, sous-entendus et ellipses en appellent à l’intelligence du spectateur.
Les paysages arides et désolés (trouvés à Lanzarote) cède bientôt au mystère d’un hôpital glauque – on parle ici tant de la teinte chromatique que de l’ambiance -.
Difficile de parler de l’intrigue d’un film qui doit se deviner, se décrypter. On ne voudrait pas en déflorer le mystère. Indiquons juste qu’EVOLUTION porte bien son titre et que la séquence d’ouverture, qui voit Nicolas découvrir lors d’une plongée le cadavre d’un garçon dont émerge une étoile de mer, fera ensuite pleinement sens. Pour l’anecdote, relevons que la séquence d’ouverture d’INNOCENCE – le précédent long métrage de Lucile Hadzihalilovic – voit une vue sous-marine trouble faire place à l’arrivée d’un cercueil orné d’une étoile. Coïncidence ?
Situons le genre quelque part entre fantastique et science-fiction, pas trop loin d’un BODY SNATCHER, mais pas trop près non plus. Howard Philip Lovecraft aurait sans doute adoré, tant pour son sujet que pour cette façon de l’aborder, l’air de rien. Mais on pourrait aussi trouver un cousinage avec les péripéties de l’Odyssée homérienne, où Nicolas figurerait un Ulysse perdu sur une île circéenne, la mémoire défaillante, à la merci ici moins d’une enchanteresse que de sirènes…
On a parlé du rythme posé du film, il pourra déconcerter ou provoquer le décrochement. Néanmoins, le spectateur qui l’accepte pleinement, intégrera ce rythme à la réussite du projet. Lucile Hadzihalilovic a trouvé le rythme juste pour ses séquences. Tout juste pointera-t-on une légère longueur aux deux tiers du métrage. Vient en effet un moment où les péripéties de l’hôpital deviennent claires et quelques séquences sont alors peut-être surnuméraires. Hormis ce léger détail, rien à jeter.
Comme dans INNOCENCE, ou le moyen métrage LA BOUCHE DE JEAN-PIERRE, EVOLUTION prend comme sujet et point de vue l’enfant confronté à un monde adulte qui lui est étrange ou hostile. Après un angle social (LA BOUCHE DE JEAN-PIERRE) et un autre onirico-pervers (INNOCENCE), ce sont les atours du fantastique qui cette fois habillent le propos.
Une fois de plus, l’homme est ici quasi absent. Il était bien présent, mais comme figure du danger dans LA BOUCHE DE JEAN-PIERRE, et ensuite réduit à l’état d’ombre ou comme contrepoint dans les dernières images d’Innocence, il ne subsiste enfin dans EVOLUTION qu’à travers les vidéos d’une césarienne que tentent de reproduire nos infirmières.
Après une belle tournée des festivals, qui l’emmène, entre autre à Offscreen 2016, EVOLUTION sort en France et en Belgique en mars 2016.
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Article rédigé par Philippe Delvaux
Ses films préférés - Marquis, C’est Arrivé Près De Chez Vous, Princesse Mononoke, Sacré Graal, Conan le Barbare