Sueurs Froides en version papier

Au sommaire du numéro 37 : Dossier Val Lewton, Nancy Drew, Biographie de Ulli Lommel, la saga Flower and Snake, la franchise Leprechaun, entretien avec Patrice Herr Sang, Entretien avec Marian Dora.
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USA - 1998 - John Huckert
Interprètes : Noël Palomaria, Malcolm Moorman, Charles Lanyer, Michael Waite, Paula Kay Perry

Un texte signé Sylvain Pasdeloup

Hard

Présenter des homosexuels au sein d’un film de genre est une tendance très récente, auquel seul le déviant CRUISING de William Friedkin a pu donner en 1974 un réel modèle. Qu’en est-il de sa lignée ? Une poignée de « slashers » très mode, comme le récent HELLBENT, ou les pochades de David DeCocteau dans lesquels de jeunes éphèbes imberbes se font épingler par des tueurs forcément un peu tordus. Les clichés abondent et le politiquement correct domine à nouveau les débats.
Pourtant en 1998 est sorti en catimini aux Etats-Unis un « petit » film semi-amateur, poisseux et lourd. HARD, victime de nombreuses controverses lors de son passage sur les écrans, nous conte les histoires croisées de Raymond, flic intègre et homosexuel, et de Jack, tueur aux motivations complexes qui partage les même mœurs sexuelles que Raymond.
Notre flic vit dans la peur à la fois que son homosexualité ne soit divulguée à ses collègues et que son job ne soit connu de la communauté dans laquelle il évolue.
Raymond, nouveau venu dans la section criminelle de son poste, est chargé d’enquêter sur les meurtres de Jack, perpétrés sur de jeunes mâles prostitués.
Tandis que Jack trouve refuge chez un père de famille qu’il va peu à peu transformer en objet sexuel insignifiant, commence alors entre le fragile chasseur et sa proie une relation trouble faite d’amour, de tendresse et de violence – le tout accompagné de forts relents de type domination/soumission.
HARD est un film qui, dès le début, sent bon les années 70. Premièrement du fait de sa patine visuelle, d’une qualité plus que moyenne, due principalement au budget ultra restreint du métrage. John Huckert a en effet emballé son film pour la somme dérisoire de… 100 000 dollars (!), la totalité du casting ayant même accepté de tourner bénévolement.
Le film commence donc par l’intégration de Raymond dans son nouvel environnement, composé uniquement d’hommes. Il s’avère être un homme discret et tourmenté par sa sexualité, qui arrive physiquement à en jouir pleinement mais qui la cache pourtant comme un secret honteux.
Cet aspect-là – l’intégration d’un homosexuel dans un monde codifié à l’extrême – se pose d’emblée comme l’un des éléments les plus intéressants du film. Impossible de ne pas penser au CRUISING de William Friedkin, qui emprunte un chemin identique, mais le noie sous des clichés inhérents à la culture gay (cuir, sado-masochisme, etc…). Là où HARD est différent, c’est qu’il présente l’homosexualité de façon réaliste, dans ce qu’elle a de plus banal. Ainsi, quand Jack, notre tueur, part draguer dans son bar favori, les phrases sont crues et l’acte sexuel qui suit sans fioritures. De plus, l’homme est viril et poilu et non transparent et imberbe.
Cette véracité ne vient pas de nulle part. John Huckert s’est en effet adjugé l’aide de Mitchell Grobeson, premier policier américain à avoir révélé son homosexualité. A la vue de la cruauté à laquelle Raymond fait face une fois que ses mœurs sont connu, on se doute que le bonhomme a souffert. Ce réalisme, HARD se l’impose également au niveau du scénario. Le film prend pour base de réels faits divers – des meurtres perpétrés à l’encontre de plusieurs jeunes prostitués, que la police américaine n’a jamais pris le temps d’élucider.
Cependant, il faut le souligner, le film de John Huckert ne tombe jamais dans l’œuvre communautaire qu’il aurait pu être. Même si son sujet et sa façon crue de le traiter donnent forcément matière à controverses, HARD reste avant tout un bon thriller.
Si les prémices de la relation trouble qui unit Jack et Raymond ne sont que peu évoqués, John Huckert nous livre une longue scène de sexe complètement folle, faite de violence et de folie. Si elle reste assez dure à regarder pour un hétéro pur jus, elle n’en constitue pas moins un moment d’audace rarissime dans ce joli pays américain.
Très bon point aussi, la personnalité de Jack est là aussi fouillée. Ainsi, s’il apparaît d’abord comme un tueur gay implacable et perturbé, confondant sexe et tortures, il se révèle lui aussi capable de sentiments. Notamment quand il choisit d’épargner un père de famille totalement banal, transformé en esclave sexuel, ou le jeune fils de cet homme, qu’il aura tout de même pris la peine de violer. Tout cela en accompagnant de tendresse et d’amour ces relations « contre-nature ». Provoquant sciemment l’éclatement familial de cette tribu lors d’une scène de sexe une nouvelle fois très brutale et crue, Jack se voit un peu comme un ange exterminateur qui torture puis tue les jeunes qu’il ramasse sur le trottoir pour leur éviter une vie de misère. Ses meurtres font d’ailleurs fortement appel à l’imagination, la quasi totalité d’entre eux se déroulant hors-champ et les corps n’étant que rarement montrés de près. Manipulateur, amenant progressivement Raymond à assumer sa sexualité, c’est bel et bien Jack qui aura la mainmise sur l’enquête et les actes du policier, son besoin de domination se nourrissant naturellement de ce rapport de force.
Visuellement, l’univers de HARD est double. A la fois « craspec » et sale quand il s’agit de filmer les bas-fonds ou les agissements du tueurs, le film de Huckert est très souvent éclairé de lumières rouges ou vertes qui donnent un côté baroque au métrage. A ce titre, la confrontation finale entre nos deux héros, qui démarre par l’exploration du musée des tortures de Jack, est symptomatique de ces influences esthétiques que n’aurait pas reniées un Dario Argento de la grande époque.
Pas si éloigné dans son propos du SECRET DE BROKEBACK MOUNTAIN (dans les deux cas il s’agit d’intégrer l’homosexualité dans un cadre « contre-nature »), bien qu’il soit traité de manière très différente (l’aspect physique de la passion est plus proéminent dans ce film, BROKEBACK MOUNTAIN mettant en scène un sentimentalisme plus noble), HARD, malgré ses petites invraisemblances, arrive à créer un vrai climat de malaise, rendu palpable par des acteurs convaincants. Si la fin, tirant le film vers des océans commerciaux bien éloignés du reste du propos, déçoit un peu, il s’agit bien ici d’une véritable œuvre à controverses, parfois d’une audace forte. Alors on adhère ou non à la sensibilité de HARD, cependant une chose est sûre : voilà une œuvre qui ne peut laisser indifférent.



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Article rédigé par : Sylvain Pasdeloup

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