Häxan
HAXAN constitue un tour organisé de l’évolution des motifs symboliques et psychiques associés à la sorcellerie féminine et à la persécution qui en a résulté en Europe du Moyen-Age jusqu’à l’époque où le film a été tourné, en 1922. Benjamin Christensen (qui tient également le rôle du Diable) a créé une série de vignettes artistiques, tout à la fois progressives pour l’époque et relevant étrangement du film d’exploitation, afin d’explorer la perception qui avait cours au début du XXème siècle des possession démoniaques, du folklore superstitieux et de la chasse aux sorcières.
Le film est découpé en sept chapitres débutant avec les anciennes origines de la sorcellerie telle que décrite dans la littérature et l’art, en utilisant essentiellement des sources babyloniennes et égyptiennes. Le film passe ensuite à une série de reconstitutions historiques faisant usage de décors élaborés authentiques afin de recréer l’ère médiévale qui permet aux spectateurs de découvrir une population de paysans dominée par la religion issue d’un monastère voisin. La sexualité réprimée au sein du clergé entraîne souvent l’accusation de sorcellerie portée sur des femmes des environs comme moyen pour les moines de cacher leurs désirs sexuels. Dès le début, Christensen établit ainsi les femmes en tant que victimes des abus religieux et patriarcaux. Il continue par la suite sa vision empreinte de sympathie pour les membres du sexe féminin en comparant les pratiques médiévales au concept « d’hystérie féminine » (qui était moderne en 1922). Cette interprétation peut facilement paraître misogyne de nos jours, alors que de nombreuses recherches ont démontré dès le milieu du XXème siècle que ce concept « d’hystérie féminine » manque tout à la fais de crédibilité biologique à propos de l’anatomie féminine, et comporte un biais évident en faveur de la moitié masculine de l’humanité. Toutefois, dans HAXAN, Christensen utilise le concept « d’hystérie féminine » en tant qu’explication scientifique de manière à innocenter ses sujets féminins, les blanchissant de toute culpabilité et mettant un terme aux superstitions folkloriques par la même occasion. De plus, le film présente un vaste éventail des instruments de torture employés afin d’obtenir de force des confessions de la part des soi-disant sorcières, mettant l’accent sur la douleur et les blessures qui frappaient ces victimes féminines. Ce documentaire légèrement décalé prend même le temps de mentionner le fait qu’une des actrices qui joue dans les scènes médiévales a ressenti l’envie d’essayer un des instruments de torture susmentionné, sans pouvoir dépasser le premier niveau à cause de la forte douleur ressentie. Le film se montre par conséquent extrêmement clair pour ce qui est de son soutien à la cause féminine.
Mais cette approche bienveillante peut prêter à confusion quand on la juxtapose avec les scènes d’exploitation qui documentent les cérémonies avec le Diable, et qui incluent une scène durant laquelle les femmes et leur meneur à cornes festoient à l’aide d’un bébé après avoir dansé nus autour d’un feu. Ces reconstitutions de moments de folie sont présentées côte à côte avec les scènes historiques, sans qu’une distinction bien nette soit faite entre les deux, entre les faits et la fiction. Ainsi, alors qu’HAXAN pourrait être considéré, au moins par moments, comme une œuvre de cinéma d’exploitation, il n’en constitue pas moins une excellente matière pour les fans de mysticisme kitsch et de cinéma occulte. Si l’on considère qu’une queue de femmes embrassant le derrière du Diable l’une après l’autre puisse être excitante, alors on peut même considérer l’intérêt sexuel de HAXAN !
La bande-originale du film de Gillian Anderson, un spécialiste en la matière, est digne d’intérêt. Il a recréé à grand peine la composition originale avec l’aide de l’orchestre symphonique tchèque, spécialisé dans la musique de films. Il s’est servi pour ce faire d’un ancien programme du film qu’il a découvert au Danemark, sur lequel des indications relatives à la musique d’origine étaient notées. Les spectateurs doivent également savoir que la version ici décrite de HAXAN est le film muet original, plus long que les soixante-dix minutes de la version remontée largement popularisée dans les années soixante grâce à la narration dite par William Burroughs (l’auteur du FESTIN NU).
L’excellent bande-originale, les effets spéciaux, les costumes et les décors réussis contribuent à créer une expérience captivante de film muet. HAXAN reste une référence d’importance dans l’histoire du cinéma muet, du film d’horreur et de l’occultisme.