Hell’s ground
Contrairement à l’industrie cinématographique de l’Inde (« Bollywood »), celle du Pakistan (« Lollywood », de Lahore) est quasiment inconnue hors de ses frontières. Le cinéma fantastique y brille par son absence, tout juste peut-on citer DRACULA AU PAKISTAN (de Khwaja Sarfraz, 1967) qui a été sauvé in-extremis de la destruction et édité récemment en Dvd. La résurrection de ce film unique est due en partie au réalisateur de HELL’S GROUND, Omar Kahn. Ce dernier (non professionnel, fanéditeur et spécialiste du cinémas bis pakistanais et indien) se voit proposer par Peter Tombs (spécialiste britannique du bis européen, éditeur dvd de « Mondo Macabro ») la réalisation d’un film d’horreur se déroulant dans le Pakistan actuel. Dans un pays politiquement troublé et gouverné par une République islamique peu tolérante au-delà du raisonnable, on peut imaginer que le projet HELL’S GROUND relevait de la gageure. On y trouve en effet d’incessantes références au cinéma d’horreur occidental (et son lot de gore, de sexe, de drogue !) mais aussi une peinture plutôt acide de la société pakistanaise (poids de la religion et des traditions,…) ; bref, tout semble avoir été fait pour déchaîner la censure…
Pour se rendre à un concert, cinq jeunes étudiants (trois garçons, deux filles) prétextent un voyage scolaire et partent en virée à bord d’une camionnette bariolée. Changeant d’itinéraire à cause d’une manifestation contre la pollution de l’eau, ils font une halte dans une échoppe perdue dans la campagne où l’inquiétant propriétaire du lieu leur conseille de rebrousser chemin car ils avancent vers le territoire des enfers ! Les cinq écervelés continuent leur route tandis que dans les environs, l’eau contaminée transforme les habitants en zombies et qu’un mystérieux assassin en burqa rôde dans la forêt…
HELL’S GROUND est ouvertement conçu comme un hommage au cinéma fantastique et d’horreur des années 70-80, on y trouvera donc pêle-mêle des éléments du « slasher » (le tueur à la burqa), du « zombie-flick » (les morts vivants/contaminés) ou du « survival » (la chasse à l’homme dans la forêt) ainsi que des clins d’œil appuyés aux œuvres majeures de l’horreur occidentale tels que MASSACRE A LA TRONCONNEUSE (Tobe Hooper, 1974), ZOMBIE (George Romero, 1978) ou EVIL DEAD (Sam Raimi, 1981). L e film développe de fait son lot de scènes familières à la limite du cliché : le mini-bus des jeunes encerclé par des zombies affamés, un auto stoppeur inquiétant qui finit par brandir une tête coupée, une maison au fond des bois repère d’une famille dégénérée et anthropophage…En dépit de cet aspect ultra référentiel et d’un budget limité (une simple caméra DV qui donne un cachet réaliste aux images), le film d’Omar Kahn parvient à éviter le piège du pastiche pur et simple en enrobant ses influences d’un exotisme bienvenu. HELL’S GROUND est rythmé par une musique locale assez dansante qui détonne avec l’ambiance macabre du film, le tueur psychopathe cannibale est vêtu de la traditionnelle burqa et poursuit ses victimes armé d’un gigantesque fléau (plus fort que Jason, plus effrayant que Michael Myers !). Si les séquences plutôt inquiétantes chez la famille de dégénérés rappellent celles du cinéma d’horreur américain, elles transcendent leurs modèles car le réalisateur leur injecte une dimension religieuse et magique (rituels de résurrection et de réincarnation) que l’on ne trouve pas dans le fantastique occidental. La passerelle entre culture occidentale et culture asiatique s’effectue en fait au travers de O.J, un des jeunes du groupe, fan de la première et seul à reconnaître une icône de la seconde en la personne de Rehan Qavi, l’acteur principal de DRACULA AU PAKISTAN qui fait une apparition/ clin d’œil dans le film. Les autres membres du groupe sont catégorisés de façon simpliste, à la mode du « slasher » (il y a le dealer, la jeune fille sage, l’écervelée, le bosseur, le fils de famille) mais ont tous en commun d’être tiraillés entre le poids des traditions, leurs coutumes et leur connaissance, leur attirance pour l’Occident. Le fait qu’ils s’expriment durant tout le film à moitié en urdu et à moitié en anglais montre bien la dualité de la jeunesse pakistanaise. En filigrane, HELL’S GROUND distille un discours assez critique sur son pays, déchiré entre modernité et mentalités arriérées (pour reprendre les propos de l’un des personnages) et ce côté transgressif lui permet de dépasser son statut de simple film de « fan-boy ». Le film a connu quelques problèmes avec la censure, n’a pas bénéficié de distribution officielle dans son pays mais il a remporté un vif succès en Inde. Espérons que son réalisateur pourra concrétiser d’autres projets dans un avenir proche…