Human Centipede II : full sequence
Attardé mental mutique, obèse et nabot, Martin vit une vie misérable coincé dans un job minable de gardien de parking, qu’il ne quitte que pour retrouver une mère qui le déteste pour avoir dénoncé son mari, un père abuseur qui l’a violé. Esseulé et perturbé, il n’a pour compagnon qu’un mille pattes dans son vivarium et passe son temps libre à revoir encore et encore le film Human Centipede. Il en est obsédé au point de fantasmer réaliser à son tour ce mille-pattes. Et très vite, sa faible intelligence et une morale défaillante ne le retiendront plus à concrétiser ce projet, exutoire d’une vie de frustrations.
Allez, tout le monde en chœur pour entonner : « à, à, à la queue leu leu, tout le monde s’éclate, à la queue leu leu » (air connu).
Avec THE HUMAN CENTIPEDE : FIRST SEQUENCE, Tom Six avait frappé un grand coup pour ce premier film que se sont arrachés les divers festivals de films de genre de la planète. Immédiatement sacré culte, THE HUMAN CENTIPEDE appelait à une suite, d’ailleurs pensée dès l’abord comme une trilogie par son réalisateur. Aussi n’a-t-il pas dû chercher longtemps les capitaux pour lancer la production des opus II et III.
Mais bien entendu, comme tous ses prédécesseurs, Tom Six se heurte à la principale difficulté, qui est de réussir sa suite. Comment ne pas verser dans la redite, comment créer une œuvre nouvelle, mais pourtant inscrite dans la continuité de ce qui l’engendre ? Et, dans ce cas-ci, comment prolonger un film dont – ATTENTION : SPOILER SI VOUS N’AVEZ PAS VU LA PREMIERE PARTIE – presque tous les protagonistes meurent à la fin ? – FIN DU SPOILER.
Tom Six surmonte certains de ces obstacles, mais pas tous.
Il a d’abord l’idée d’une mise en abime, peu usitée certes mais pas non plus absolument inédite (cf. la série RING dans son itération japonaise) : c’est la vision du dvd du premier film qui nourrit les fantasmes morbides de Martin.
Il prend ensuite la judicieuse option de prendre le contrepied du premier opus, nous y reviendrons.
Mais il doit bien sacrifier à cette « exigence » de la suite, qui impose de montrer et de forcer le gore : toujours plus, toujours plus visible. La plupart des grandes sagas commercialement réussies de l’horreur ont pris ce chemin : qu’on compare ainsi leurs suites à l’aune de l’œuvre fondatrice dans HALLOWEEN ou SAW : du hors champ et un nombre de victimes limité au début, de la tripaille et un bodycount qui explose dès le deuxième film. Rien de différent ici.
Dès lors, peu étonnant que ce second opus ait moins retenu l’attention des programmateurs de festivals, ces lieux où doit s’exprimer une recherche des nouvelles formes du genre plutôt que leur perpétuation sur les chemins balisés de la « sequel ».
D’autant plus que HUMAN CENTIPEDE II reste grevé de la tare qui encombrait déjà la FIRST SEQUENCE : la mise en scène plutôt terne, et ici alourdie de certaines longueurs et maladresses qui ressortent clairement au cinéma Z. C’est là où Tom Six a clairement baissé sa garde : les scènes s’étirent et les enlèvements se répètent trop. Trop confiant dans sa capacité à choquer, Tom Six oublie un peu son métier de cinéastes, qui s’exprimait nettement mieux dans un premier opus plus resserré, gradué et varié, et surtout mieux centré sur ses victimes.
Néanmoins…
En dépit de ces indéniables lourdeurs, HUMAN CENTIPEDE II continue d’exercer une certaine fascination, et peut-être moins pour son contenu propre que pour la cohérence qu’il forme avec la FIRST SEQUENCE.
C’est en effet moins l’intrigue du film qui nous marque que les obsessions de son réalisateur ; et nous sommes moins choqué par ce que nous voyons qu’ébahi par la volonté ostentatoire de Tom Six de vouloir nous choquer. On rapprochera son travail du cinéma crapoteux des mondos ou de ses dérivés du type « films de cannibales » : les images chocs sont construites comme spectacle pur, elles sont complaisantes.
Tom Six déploie donc tout ce qu’il peut imaginer dans ce seul but et bourre son métrage de toutes les idées révulsantes qu’il peut trouver : Martin est attardé mental, sadique, amoral, pathétique, laid et obèse. Il a été violé enfant, fait à son tour des rêves pédophiles, se conchie, torture des gens, se masturbe avec du papier de verre en guise de cilice, sodomise une pauvre victime le sexe cette fois recouvert de barbelés. On voit des tendons sectionnés, des langues arrachées, des dents cassées au marteau, des genoux incisés, des bouches scellées aux anus, de la nudité (enfin, des seins parce que les fesses sont des prothèses) et bien entendu de la merde -un tabou au cinéma -. Le second tabou étant le meurtre d’enfant, lequel est ici doublement mis sur le tapis, entre le bébé abandonné dans une voiture et le nouveau-né écrasé. N’en jetez plus !
C’est bien ce qui nous amène à séparer au sein du cinéma d’horreur les films dont le but est classiquement d’apeurer le spectateur de ceux qui, comme c’est le cas ici, veulent plutôt engendrer son dégout. La confusion des deux provient sans doute du cinéma, fondateur, d’Herschell Gordon Lewis, mais mériterait une plus franche séparation dans le discours critique tant leurs visées diffèrent.
S’il nous faut rattacher HUMAN CENTIPEDE à un genre, on optera ici clairement pour un « torture porn ». Et même à double titre puisque dans son acception classique, le « torture porn » désigne le film dont l’étalage des tortures se réalise dans une optique parfaitement complaisante, objet même du métrage qui l’érige en spectacle, à l’instar du porno pour le sexe. Mais ici, le terme est d’autant plus judicieux que Tom Six intègre à sa FULL SEQUENCE des scènes de sexe, si pas explicitement pornographiques (il s’agit d’effets spéciaux à base de prothèses et non de performance sexuelles réelles) du moins relativement graphiques : Martin non content d’exhiber son sexe l’entourera de barbelés pour sodomiser une pauvre victime. C’est donc de tortures sexuelles dont il est question, qui font appel aux instincts sadiques de l’audience. Le principe même de créer un mille-pattes humain en cousant bouches et anus relève déjà d’une fantasmagorie SM pour le moins alambiquée et qui allie domination, sadisme, humiliation et déshumanisation. Ah oui, il y a aussi une insertion d’insecte dans l’anus : les japonais, grands spécialistes de ce type de pratiques, devraient adorer.
Il faudrait un jour étudier le cinéma sadique, le cinéma d’horreur et le cinéma érotique à l’aune de l’évolution de la pornographie. Car si l’horreur a longtemps permis de déployer à couvert une fantasmatique érotique relevant du SM lorsque la morale publique n’aurait pas toléré cette expression dans son cinéma érotique, l’incapacité sociétale à encore contrôler l’expression des mœurs à l’heure des nouvelles technologies a permis le déploiement d’images et de pratiques sexuelles autrefois déviantes dans des proportions inimaginables il y a encore une décennie. Dès lors qu’on trouve – sans même devoir trop chercher – sur internet de la zoophilie, du SM hard, de l’humiliation, de l’urophilie, de la scatophilie (et je vous laisse continuer la liste), on ne voit plus trop ce que le cinéma d’horreur, forcément plus allusif peut ajouter. Ce qui peut expliquer la tentative de fuite en avant que constitue le « torture porn » et, partant, l’accumulation des scènes chocs par Tom Six. Mais la voie n’est-elle pas sans issue ?
Tom Six n’en a cure et fait de la scène de défécation à travers le mille-pattes le climax du film. Il est en effet sûr de choquer, la scatologie restant encore, bien plus que le SM, un tabou social – même dans le porno où elle est à l’heure actuelle toujours confiné à des sites de niches. En cela, on peut rapprocher HUMAN CENTIPEDE des VOMIT DOLLS (où le fantasme des vomissures est exploité de manière non simulée, on a chroniqué le premier opus sur Sueurs Froides n°31 et sa suite, REGOREGITATED SACRIFICE sur le site, on vous laisse découvrir ça à vos risques et péril). C’est toute la différence avec le Pasolini de SALO, où le « cycle de la merde » faisait partie d’une parabole dénonciatrice, tandis que l’excrément chez Tom Six est plus objet de fascination. Freud aurait parlé des stades oral, anal et sadique-anal ! Mais on ne le répétera pas à Tom Six, vu le traitement qu’il inflige au psychanalyste de Martin, le Dr Sebring, lui aussi passablement dégénéré (il avoue vouloir « se taper le débile »). Hors cinéma, on se dit que Tom Six a dû s’extasier devant « Cloaca », installation du plasticien belge Wim Delvoye (2000), qui représente un tube digestif humain parfaitement fonctionnel (en bref, on y insère de la nourriture, il en ressort de la merde).
On l’a dit, HUMAN CENTIPEDE II : FULL SEQUENCE prend le plus souvent possible l’exact contrepied de la FIRST SEQUENCE : le volubile, imposant et intelligent docteur Heiter fait place à un copycat mutique, pathétique et débile et l’opération « supervisée médicalement » dans un bloc opératoire propret cède le pas à une boucherie bricolée dans un entrepôt crasseux. Le « vérisme » (on ajoute des guillemets car la crédibilité générale reste quand même sujette à caution) est maintenant évincé par un grand n’importe quoi parfaitement assumé : il n’est que de voir le mode opératoire des captures où Martin donne dans le coup de feu ou de cric, sans que ses victimes n’en portent de séquelles gênante dans la séquence suivante. Et, comme on l’a déjà signalé, là où le premier opus opérait beaucoup sur le suggestion, sa suite se résout à tout nous montrer. Enfin, là où la FIRST SEQUENCE opérait sous l’angle des victimes (le point de vue était celui des deux jeunes filles), HUMAN CENTIPEDE II prend, lui, le parti de Martin : c’est à travers son vécu, lui aussi douloureux, que nous avançons dans l’intrigue, c’est sur lui que nous posons notre regard.
Enfin, dernier contrepied, HUMAN CENTIPEDE II opte pour le noir et blanc. L’intention ne nous est pas apparue très claire. Tom Six s’en explique cependant comme une volonté d’atténuer quelque peu les effets gore pour nous recentrer sur l’histoire. Ceci nous semble pour le moins discutable dès lors qu’absolument tout son dispositif tend au contraire à maximiser le caractère choquant de son propos. Pour nous, le noir et blanc relève ici d’une simple afféterie et n’apporte rien au métrage. Le résultat visuel est en outre peu aidé par le rendu numérique très lisse de la photographie.
En prenant Martin comme angle pour son point de vue, HUMAN CENTIPEDE II anonymise ses victimes, ce qui est encore renforcé par leur nombre, qui empêche de trop longues scènes d’exposition. Dès lors, on se désintéresse un peu de leurs souffrances, quand bien même celles-ci sont longuement montrées. C’est clairement une faiblesse par rapport au premier opus, qui nous forçait à accompagner avec empathie la souffrance de ses héroïnes. C’est toute la limite du gore dès lors qu’il est l’objet même d’un film et qu’il se détache de l’humain. Tom Six écartèle son propos en voulant nous montrer la souffrance de Martin tout en filmant plus que de raison les tortures qu’il inflige à ses victimes.
In fine, le véritable propos de la FULL SEQUENCE est à chercher à travers la trame : la mise en abime (le film dans le film), le copycat, mais aussi les séquences où à trois reprises des agences de représentations d’acteurs recontactent Martin pour lui proposer des acteurs dès lors qu’elles croient travailler avec Quentin Tarantino… tout cela dépasse le gimmick ou le gag pour former un embryon de traitement du medium cinéma : le cinéma d’horreur peut-il influer sur notre comportement. Le reproche, régulièrement effectué par les forces conservatrice et moralistes n’est pas traité par Tom Six (‘faut pas exagérer non plus) mais illustré par l’absurde et le grotesque. En gros : « don’t try this at home ! ».
Bon, on pourrait encore en parler longtemps mais on se demande un peu si un lecteur est arrivé jusqu’ici (si oui nous sommes curieux, écrivez à la rédaction pour recevoir votre crotte en chocolat). En bref : HUMAN CENTIPEDE II : FULL SEQUENCE est une suite qui, bien qu’assez Z dans sa forme, plaira à tous ceux qui aiment les films chocs. Il s’éloigne suffisamment du premier opus tout en en conservant l’ossature. Et il permet aux scribouillards dans notre genre de tartiner ad nauseam sur les délices des films de genre déviants comme vous les appréciez grave sur Sueurs Froides. Vous kiffez les scènes d’humiliation et appréciez qu’un film too much vous file un peu la gerbe, alors n’hésitez plus et rejoignez la FULL SEQUENCE mouth-to-ass !