Influencer (2022) – Satire sociale horrifique – Critique
INFLUENCER est le quatrième long métrage de Kurtis David Harder, un cinéaste et producteur ayant réalisé SPIRAL en 2019 ainsi qu’un segment de l’excellent V/H/S 94. Critique sociale connectée, INFLUENCER propose de revisiter les tropes du cinéma d’horreur « vacancier » en suivant une trame hitchcockienne.
Madison est une influenceuse qui se retrouve seule en Thaïlande. Prétendant à qui veut l’entendre que son copain n’a pu se joindre à elle, il s’avère qu’elle est en pleine crise existentielle. Ces voyages et endroits luxueux qu’elle parcourt sans jamais voir l’envers du décor de carte postale, sonnent creux. Mais quand elle fait la rencontre d’une jeune femme aussi mystérieuse que fascinante, notre influenceuse a enfin l’occasion de vraiment découvrir la Thaïlande et peut-être, de se découvrir elle-même. Ce que Madison ignore, c’est combien sa nouvelle amie a de secrets…
En filmant de magnifiques décors d’hôtel de luxe à l’autre bout du monde entièrement vides, Kurtis David Harder plante très vite l’ambiance. Cette vie rêvée qui pourrait ressembler à celle d’un James Bond est tout aussi factice que celle promue en ligne par l’influenceuse. Après chaque sourire pour la caméra, le visage de la comédienne Emily Tennant (RIVERDALE, JOHNNY TEST, DÉCLIC AMOUREUX) se fige comme pour montrer à quel point ce vide abyssal commence à la dévorer.
Ce qui est intéressant c’est qu’aucun jugement n’est porté sur le personnage. À aucun moment, le film ne la traite de blonde écervelée. En fait, il la dépeint comme une fille intelligente qui à force de capitaliser sur son image s’est perdue dedans. Cette perdition étant fortement entretenue par son petit ami qui apparaît comme un manipulateur / forceur qui « gaslight » Madison pour garder sa poule aux œufs d’or.
Un regard critique sur son époque
En effet, à chaque échange en visio, il lui reproche d’être responsable du moindre de ses malheurs, en substance il la traite donc de blonde écervelée qui dépend de lui pour sa carrière et qui ne serait arrivée pas à faire quoi que ce soit sans lui. L’accablement est d’autant plus palpable qu’elle préfère rester seule à l’autre bout du monde plutôt que de rentrer et le rejoindre. Dans ces circonstances, l’apparition de la jeune Cassandra Naud, vue dans SEE, SNOWPIERCER et GOOD DOCTOR, va créer un vrai vent de fraîcheur pour notre héroïne qui se jette un peu trop rapidement dans les bras de cette parfaite inconnue lui promettant monts et merveilles.
Impossible de ne pas y voir une critique d’internet et des réseaux sociaux. Évidemment, la toute première est adressée aux influenceurs, pas tant à ceux qui font ce travail, mais plutôt au système en lui-même qui utilise une vie factice pour vendre des produits, chose que le film illustre en une séquence très efficace où l’on passe de l’écran de téléphone avec l’image parfaite à la réalité bien plus triste. L’autre critique porte, quant à elle, sur la facette sombre d’internet. En effet, quelques influenceurs ont été pris dans des histoires assez glauques, d’arnaque vis-à-vis de leurs abonnés, de manipulations parfois sectaires, mais certains ont également été victimes de leur propre entourage comme la pauvre Shanquella Robinson.
C’est à elle qu’on songe quand la malheureuse Madison se retrouve piégée à l’autre bout du monde sans personne pouvant l’aider. Et même si elle pouvait contacter l’un de ses amis, l’aiderait-il vraiment ? INFLUENCER adopte un fonctionnement similaire à PSYCHOSE où l’héroïne qu’on suivait disparaît au milieu du film dans de tragiques circonstances. Par ce mécanisme de narration, il démontre qu’elle est effectivement aussi seule qu’elle le ressent. Mais cette solitude en fin de compte est partagée par sa nouvelle amie. Celle-ci vit dans d’immenses maisons vides, circule seule sur sa mobylette, s’accroche à des touristes américains qu’elle approche avec toutes les intentions qu’on peut imaginer.
Tous les tropes du film d’horreur “vacancier”
Évidemment, comme tout film d’horreur, INFLUENCER joue sur la peur du touriste riche d’être arnaqué ou pire tué, mais il va plus loin en établissant un parallèle avec le virtuel et montre au spectateur qu’aussi connecté soit-on, dans un monde où tout semble se savoir, on reste pourtant des proies faciles excessivement seules. Si on en avait le moindre doute, il suffit de se pencher sur les innombrables cas de disparitions et de meurtres qui, s’ils ont régressé par rapport aux années 80 nettement plus violentes, n’en demeurent pas moins encore présents et sujets à inquiétude.
Il est intéressant de constater que le film joue aussi avec les attentes du spectateur. Comme dans la scène du bar, où un homme offre un verre à l’héroïne. À l’époque du GHB glissé dans un verre ou dans une seringue, il est aisé de voir en lui un prédateur, une menace pour l’héroïne. C’est une inquiétude parfaitement utilisée par notre mystérieuse CW qui offre une porte de sortie à Madison et affermit ainsi son emprise sur elle. Le danger, nous dit INFLUENCER, ne vient pas toujours d’où l’on pense.
Comment une jeune femme nous ressemblant, parlant la même langue, fréquentant les mêmes lieux que nous, ayant la même culture que nous, pourrait constituer une menace ? C’est là une des réussites du film de jouer avec ce cliché que la société moderne conforte et solidifie. Dès lors, une prédatrice en talons et en mini short peut évoluer facilement et trouver ses proies avec plus d’aisance. C’était déjà le sujet abordé par WHAT KEEPS YOU ALIVE, un film qu’avait produit Kurtis David Harder.
Malgré toutes ces qualités, INFLUENCER présente quelques défauts. Le plus notable est sa construction narrative. Son premier acte est si réussi et surprenant, que le second est un peu décevant. Bien que suivant la trame de PSYCHOSE en substance, il s’en éloigne pour essayer de tracer son propre récit et surtout, semer de nombreuses fausses pistes. L’ennui étant que ces dernières sont mal exploitées et rendent le second acte trop long ne laissant que trop peu de temps pour le troisième. Le final qu’on devine vers le milieu du film, lorsqu’on comprend sa structure, est trop court pour récompenser l’attente du spectateur, ce qui constitue une légère déception.
Néanmoins, comme dit le dicton, « ce n’est pas la fin l’important, mais le chemin parcouru ». Malgré quelques longueurs, INFLUENCER aborde des thématiques assez rares au cinéma d’horreur, étant pleinement en accord avec notre société hyper connectée à laquelle il porte un regard profondément critique nous poussant à nous interroger sur celle-ci et notre rapport à elle.