La Cité des Ténèbres
Il y a toujours des gens pour vous affirmer que la science-fiction est un pur produit d’importation, absolument pas étiqueté « tradition française ». Pour eux, JULES VERNE, seul auteur français du genre qu’ils connaissent, n’est qu’une exception, et encore : « ce n’est pas vraiment de la S.F ».
Et le bataillon des romanciers, qu’il conviendrait souvent de réhabiliter, du FLEUVE NOIR/ANTICIPATION ? Des soldats inconnus.
Tout comme les précurseurs de la S.F. : ROSNY AINE (plus connu pour sa GUERRE DU FEU, qui ferait oublier le reste de son oeuvre à un public qui de toute façon ne le lira pas), ARNOULD GALOPIN ou GUSTAVE LE ROUGE.
Il en va de même pour MOSELLI, MAGOG ou ce LEON GROC, grand romancier populaire aujourd’hui republié par LES MOUTONS ELECTRIQUES. Un écrivain qui toucha au policier comme au récit de guerre, et bien évidemment à la pré-S.F.
LA CITE DES TENEBRES est un gros volume de plus de 400 pages qui regroupe 3 romans.
LA CITE DES TENEBRES, le premier, est un bon récit de monde perdu, avec civilisation oubliée au « centre de la terre » (des Chaldéens devenus aveugles), hommes singes féroces, crocodiles géants et même triceratops furax !
Si le style désuet (mais efficace passé le nécessaire petit temps d’adaptation) et les personnages un peu caricaturaux (mais sympathiques) pourront dérouter ou irriter le lecteur actuel, il conviendra de passer outre pour plonger dans un agréable roman d ‘aventures qui évoque (forcément) CONAN DOYLE ou même quelques BOB MORANE qui restaient alors encore à écrire. Le seule vrai reproche que l’on puisse faire, c’est le côté un peu linéaire de l’action, avec un déroulement assez peu surprenant.
Le second roman du recueil est beaucoup plus intéressant : UNE INVASION DE SELENITES. On nage en plein roman populaire avec une organisation aussi secrète que mystérieuse qui veut s’emparer d’un Sélénite (un habitant minéral de la Lune capable de déclencher des catastrophes). A la fin, le méchant expose ses projets diaboliques de conquête du monde au héros, comme ses homologues des premiers JAMES BOND. Pas étonnant : serial, roman-feuilleton et BOND saga, même combat. On a droit aussi à une super méchante assez cinglée qui veut carrément détruire la Terre avec le pouvoir des Sélénites, un peu par dépit amoureux.
« Et ce sera la fin de la vie terrestre, la destruction rapide de cette moisissure qui naît et se développe dans l’humidité fétide formée par l’air et l’eau. La Terre, délivrée de l’atmosphère qui l’empoisonne, débarrassée des champignons parasites qui pullulent à sa surface, sous les formes animale et végétale, roulera, sereine et froide, dans l’éther infini. Semblable à son satellite, elle ne connaîtra d’autre vie que la vie supérieure des pierres, et demeurera immanquablement pure, dans sa splendeur glacée. » (P. 281)
Un passage misanthrope de la meilleure littérature, superbe – même s’il est honnête de préciser que cette belle écriture ne reflète pas le style généralement employé par l’auteur, quand même assez chargé de superlatifs et facilités.
Qu’importe : le rythme est survolté, les méchants sont méchants, les héros positifs et les scènes apocalyptiques abondent avec les monuments et les maisons de Paris qui s’effondrent sous le coup des Sélénites. Le clou du spectacle : l’obélisque défonce le Palais-Bourbon tel un obus ! L’exode et la terreur des Parisiens évoque une ambiance de fin du monde. C’est 2012 avant la date.
Bien sûr, GROC ne va peut-être pas aussi loin qu’il l’aurait pu dans le roman catastrophe. D’aucuns lui reprocheront d’être davantage séduit par les conventions (notamment sentimentales) du roman pop. Possible. En attendant, UNE INVASION DE SELENITES reste un roman vraiment savoureux ou l’on ne s’ennuie jamais.
Profondément scientifique (mais sans négliger amour et grands sentiments !), LA PLANETE DE CRISTAL, au titre puissamment poétique, est davantage à destiner aux seuls amateurs de space-opera. Là encore, GROC fait preuve d’un vrai talent en nous présentant d’incroyables et très originaux extra-terrestres en deux dimensions (on assiste même à une guerre entre des factions adverses !), des figures géométriques qui émerveillent quand un monstre en 4 dimensions effraie carrément. Qu’on en juge à la lecture de cette description quasi lovecraftienne :
« Que l’on imagine une masse informe, mouvante, plastique. Quelque chose comme un rocher mou qui s’étalait sur le sol et se déplaçait lentement, ainsi qu’une larve géante. (…) Ses contours gluants se contractaient et se dilataient tour à tour, pour assurer le mouvement de reptation qui permettait cette progression glissante, énervante jusqu’à l’écoeurement. Le sommet de l’objet inconnu était animé d’un mouvement semblable à un hochement de tête, et dont la vision était hallucinante… » (P.384)
Hallucinante, c’est le bien mot !
Alors, oui, en 2011, on peut et même on doit lire LEON GROC ! On sort de LA CITE DES TENEBRES constamment émerveillé par l’inventivité d’un romancier passionnant.
Une idée nous vient à lire GROC. On a ici la preuve qu’un grand romancier populaire comme MAURICE LIMAT n’écrivait pas mal, contrairement à ce qui est affirmé ici ou là. Non, simplement, son écriture était d’un autre temps, celui qui vit ses débuts. LIMAT écrivait encore dans les années 70-80 comme on le faisait dans les années 30 ! Pris ainsi, un bouquin comme LES SUB-TERRESTRES s’avère tout simplement charmant !
Informations