La Maison de la Terreur
Lamberto Bava, dans l’univers volontiers endogame du cinéma bis italien, fait souvent pâle figure face aux maîtres de l’horreur que furent Mario Bava, Lucio Fulci ou Sergio Martino… Ses films frisent souvent le ridicule et, il faut bien l’avouer, ne provoquent que rarement en nous les mêmes sensations délicieuses que celles que parviennent à susciter les quelques réalisateurs susmentionnés.
LA MAISON DE LA TERREUR, son second long-métrage après MACABRE, nous donne l’occasion de réviser quelque peu notre jugement sur Bava fils. En effet, il s’agit là d’un giallo efficace, rondement mené, dont l’ambiance saura répondre aux attentes de base des amateurs du genre : un assassin maniaque dont nous ne découvrirons l’identité qu’à la toute fin du récit ; une flopée de donzelles qui se fait trucider à l’arme blanche, avec toute la cruauté habituelle qu’on est en droit d’attendre ; une bande-son entêtante digne du travail des « Goblin » (le groupe fétiche d’Argento)…
Le film s’ouvre sur une brève séquence qui nous présente un groupe de trois jeunes garçons qui jouent à se faire peur en pénétrant dans une demeure lugubre, d’aspect gothique. Ils jettent une balle de tennis au tréfonds de son sous-sol plongé dans la pénombre et forcent le plus innocent d’entre eux à aller la récupérer. Conscients de sa réticence à s’acquitter de cette tâche effrayante, les deux autres le traitent immédiatement de « fifille ». Placé sous pression, le troisième larron finit par descendre les marches qui mènent à la cave et disparaît bientôt dans le noir d’encre qui règne en ce lieu.
Soudain, un hurlement retentit. La fameuse balle jaillit des profondeurs et vient frapper le mur situé derrière les deux garçons restés en haut des marches – une marque ensanglantée dégouline à l’endroit touché par la balle…
Générique de début.
Nous découvrons alors Bruno (Andrea Occhipinti), un homme d’une trentaine d’années, qui loue la vaste villa de Tony Rendina (Michele Soavi) afin de pouvoir travailler en toute quiétude à la composition de la bande originale d’un thriller auquel son amie Sandra (Anny Papa) est en train de mettre la dernière touche. Elle garde jalousement le secret qu’est censé révéler l’ultime bobine du film.
Pourtant, à peine Bruno a-t-il commencé à pianoter quelques accords que de ravissantes jeunes femmes défilent dans la maison. C’est tout d’abord Katia (Valeria Cavalli), sa voisine, qui jaillit un beau soir en hurlant d’un placard situé dans la villa, terrorisée à la vue d’une… araignée (elle aura, peu après, l’occasion de s’égosiller pour un bien meilleur motif). Ensuite, c’est au tour d’Angela (Fabiola Rendina) de venir piquer une tête dans la piscine extérieure. Suivent alors Julia (Lara Naszinsky), la copine de Bruno, puis Sandra, déjà mentionnée ci-dessus.
Est-il nécessaire de signaler que toutes ces jeunes femmes connaîtront une fin peu ragoûtante, poursuivies telles de simples proies par le mystérieux prédateur à l’œuvre en ces lieux ?
Incapable durant la majeure partie du film de mettre la main sur le moindre cadavre, Bruno doutera longtemps de la réalité des crimes qui sont commis tout autour de lui. Il cherchera bien à rallier sa copine à sa cause – sans grand résultat. A vrai dire, il en viendra même un moment à la soupçonner…
Mais tous ces meurtres, toutes ces visites, tous ces mystères semblent graviter autour de la figure fantomatique de la locataire précédente de la villa, une certaine Linda. Il va s’agir pour Bruno de chercher à en savoir davantage sur son compte afin de mettre un terme à cette vague d’assassinats sanguinolents.
A l’instar de ce qu’il fera plus tard dans DEMONS (1985), Bava nous fait ici le coup du film dans le film. Les liens tissés entre les deux niveaux de fiction sont pourtant bien mieux agencés dans LA MAISON DE LA TERREUR que dans ses œuvres ultérieures.
Sur le plan esthétique, l’empreinte de TENEBRES (Dario Argento – 1982) – avec sa description d’une ville froide et désincarnée – est ici évidente. Mais la raison d’être du film provient de la volonté de son producteur de mettre à profit une villa de 900m2 dont il venait de faire l’acquisition. Elle constitue en effet le décor principal de presque toutes les scènes. Son architecture épurée, ses murs nus, la quasi absence de meubles lui confèrent un aspect qui n’est pas sans rappeler celui d’un bunker. Quand, au fil de l’action, il devient évident que ce film comporte des éléments scénaristiques qui font ouvertement référence à PSYCHOSE, le côté hygiénique de cette demeure prend alors toute son ampleur. En effet, dans ce classique du thriller, la demeure de Norman Bates (Anthony Perkins), juchée sur sa colline, était on ne peut plus gothique. Son aspect tourmenté renvoyait ostensiblement aux troubles psychiques de Bates, travesti notoire refusant de faire le deuil de sa mère. Ici aussi, la demeure vient en quelque sorte symboliser l’inconscient torturé du tueur mais sous un mode plus adapté à notre époque et à la personnalité incomplète de ce dernier.
Les scènes où Bruno est filmé jouant du piano alors qu’il perçoit très clairement des bruits dans la maison nous replongent dans LES FRISSONS DE L’ANGOISSE d’Argento. A ce titre, on peut également citer les multiples gros plans sur des yeux scrutateurs qui laissent le spectateur dans l’inconnu quant à l’identité du voyeur.
Le fait que LA MAISON DE LA TERREUR ait été tourné en 16mm avec un maigre budget ne transparaît pas à l’écran. Bizarrement, cela lui confère même une certaine plus-value, une touche d’authenticité. Ce qui devait à l’origine constituer une série de téléfilms de 25 minutes chacun, forme au final un tout cohérent, qui fonctionne très bien en tant qu’entité autonome.
Il s’agit là d’une œuvre extrêmement divertissante, qui parvient même parfois à tutoyer les meilleurs moments du giallo des années soixante-dix. Les scènes de meurtres sont inventives et cruelles, fort joliment chorégraphiées. Gardons bien à l’esprit en les visionnant que ce n’est pas tant leur cohérence qui importe que leur beauté formelle.
Mission accomplie pour Lamberto Bava donc, qui nous a offert avec ce film une de ses toutes meilleures réalisations.