Un texte signé Alexandre Lecouffe

Royaume-Uni - 1971 - Piers Haggard
Titres alternatifs : The blood on Satan's claw
Interprètes : Patrick Wymark, Linda Hayden, Barry Andrews


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retrospective

La nuit des maléfices

Créée au milieu des années 60, la petite maison de production britannique Tigon reste associée à quelques réussites dans le domaine du fantastique et de l’épouvante à petit budget et plus particulièrement aux films du grand Michael Reeves (décédé prématurément après seulement trois longs métrages) : LA CREATURE INVISIBLE (1967, avec Boris Karloff) et LE GRAND INQUISITEUR (1968, avec Vincent Price). Cachée dans l’ombre écrasante de la Hammer dont elle s’est bien sûr inspirée, la Tigon s’en détache cependant par une approche souvent plus naturaliste du genre et une plus grande audace (commerciale) en ce qui concerne le traitement de la violence et de l’érotisme. Mais la grande sœur saura à son tour suivre le bon exemple de sa cadette et insuffler à ses productions du tout début des années 70 un supplément de sexe et de sang ! (THE VAMPIRE LOVERS de Roy Ward Baker, 1970 ; LES SEVICES DE DRACULA de John Hough, 1971…). LA NUIT DES MALEFICES semble avoir été conçu pour réitérer le plus grand succès et certainement le chef d’œuvre de la Tigon, LE GRAND INQUISITEUR ; nous verrons plus loin qu’au-delà des nombreux points communs entre les deux titres se trouve également un point de rupture essentiel. Réalisé par Piers Haggard (petit-fils de l’écrivain de romans d’aventures exotiques H.R.Haggard), le film est le premier effort de celui-ci avant une fructueuse carrière à la télévision où il signera notamment une mini-série consacrée au personnage « hammerien » du professeur Quatermass.

Dans un petit village reculé de l’Angleterre du milieu du 17ème siècle, un garçon de labour découvre dans un champ le cadavre décomposé d’une créature mi-homme, mi-bête. Lorsqu’il se rend à nouveau sur les lieux, escorté par le Juge du comté, les restes ont disparu. Dans le même temps, une jeune fille du village, Rosalind, est prise subitement d’une crise de démence pendant laquelle elle semble s’être métamorphosée en bête ; alors qu’elle doit être conduite à l’asile de Bedlam, elle disparaît soudain. De son côté, le révérend du village s’inquiète que ses cours de catéchisme soient tournés en dérision par un groupe d’enfants plus occupés à jouer avec une étrange patte griffue ! Lorsqu’un adolescent est assassiné par une créature non identifiable avec la complicité de ses camarades, il devient clair qu’un cas de possession maléfique vient de frapper le village…

La séquence pré-générique, cadrant en plan serré et au ras du sol le travail d’un soc de labour, place d’emblée le film sous la marque du tellurique et de la rudesse que l’on peut lui associer. C’est de cette terre fertile que surgira l’apparition originelle du « démon », comme si ce dernier trouvait symboliquement ses racines au plus profond de ce qui constitue le quotidien des personnages du récit qui va suivre. Les premières scènes vont nous présenter les protagonistes tout en développant le nœud de l’intrigue (y-a-t-il une présence fantastique, une menace inconnue aux abords du village ?) ; elles permettent également d’apprécier un choix de mise en scène privilégiant un tournage en décors naturels et une reconstitution très réaliste des conditions de vie dans un cadre rural et plutôt pauvre. Si l’on ajoute que la quasi- totalité des séquences se déroulent en plein jour, nous sommes donc à l’opposé, visuellement, de ce que proposait le cinéma fantastique de l’époque presque toujours dévoué au gothique flamboyant et aux ambiances nocturnes.
Dans un premier temps, le film semble vouloir mettre en avant une forme d’élégie de la nature, celle-ci étant représentée au travers de saynètes aux couleurs bucoliques et magnifiée par une photographie aux teintes pastel. De même, la figuration de symboles et de rites liés au paganisme ou au vieil héritage celte est tout d’abord présentée comme une forme d’expression à la fois libre et en harmonie avec les éléments naturels. Mais les danses et les chants de jeunes adolescents blonds vêtus de toges et portant guirlandes de fleurs et couronnes de rameaux, au cœur d’une forêt verdoyante, cachent en fait une confrérie meurtrière sacrifiant un frère ou une sœur à une divinité satanique !
LA NUIT DES MALEFICES, par son choix manifeste de ne pas s’attacher à un ou deux personnages principaux mais de multiplier les points de vue (celui du Juge, du révérend, d’une victime, de la meneuse de la « secte »…) parvient à semer la confusion, à brouiller les repères entre le vrai et le mensonge, le réel et l’imaginaire, un cas de possession généralisée ou un délire collectif…Cependant, si le film cultive l’ambiguïté sur de nombreux plans, il s’emploie en substance à affirmer que la sorcellerie (au sens large) existe bel et bien et que Belzébuth est la créature diabolique que de nombreux villageois viennent adorer et que le spectateur ne fait qu’entrevoir. De fait, ce que l’on pouvait assimiler à un naturel besoin de subversion chez les jeunes personnes de la communauté (contestation de la religion chrétienne, rejet de la figure paternelle…) apparaît dès lors comme le degré ultime de la perversion et de la corruption de l’âme. La scène qui incarne le mieux cette idée est celle qui voit la jeune Angel (la « lolita-like » Linda Hayden vue dans UNE MESSE POUR DRACULA de Peter Sasdy, 1970) s’offrir entièrement nue au regard du révérend Fallowfield au cœur de sa chapelle et lui proposer de « participer à leurs jeux »…Ce thème sensible et dérangeant de l’enfance ou de l’innocence pervertie trouve son acmé lors d’une longue et terrifiante séquence au cours de laquelle une jeune fille, revêtue d’une parure sacrificielle, est violée puis poignardée tandis que ses camarades effectuent une danse païenne. A ce stade, LA NUIT DES MALEFICES qui semblait suivre les traces du film d’inquisition matriciel LE GRAND INQUISITEUR (même époque « obscure », même cadre rural désolé, même approche naturaliste, thématiques communes) en devient son pendant « positif ». En effet, là où Michael Reeves dépeignait les exactions d’un tortionnaire fanatique (Vincent Price dans ce qui est peut être son plus grand rôle) sur de prétendues sorcières, LA NUIT DES MALEFICES illustre in fine le combat de la raison (en la personne du Juge, homme intègre et éclairé) sur le Mal et le chaos.

Si le film développe le thème familier de la contamination d’un groupe humain par une entité surnaturelle qui veut l’asservir et s’il rejoint en cela la pléthore d’œuvres traitant du vampirisme (les personnages portent ici aussi des marques de leur infection, sous une forme très particulière…), il parvient à en renouveler son approche par un traitement assez équivoque, sinueux et, finalement assez ouvert aux interprétations. Deux ans plus tard, sur un sujet assez proche, Robin Hardy réalisera pour la Hammer le génial WICKER MAN.






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Article rédigé par : Alexandre Lecouffe

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