Là où le Soleil ne se lève Jamais
En France, en ce qui concerne Giorgio Scerbanenco, on a longtemps dû se contenter du cycle Duca Lamberti et de quelques autres romans et recueils de nouvelles principalement publiés chez 10/18. Depuis quelques années, Rivages a entrepris de traduire des inédits aussi intéressants comme LE SABLE NE SE SOUVIENT PAS, LES AMANTS AU BORD DE LA MER ou MORT SUR LA LAGUNE. Des romans noirs davantage que policiers qui laissent enfin percevoir toute une part encore inconnue de ce côté-ci des Alpes de l’oeuvre pléthorique du maître italien d’origine ukrainienne. Scerbanenco avait un style inimitable, très bien servi dans les années 70 par les traductions d’un Roland Stragliati, comme ici par un Gérard Lecas tout aussi respectueux d’une écriture originale très particulière. L’écrivain oeuvra dans le rose comme dans le noir, à la façon d’un William Irish.
LA OU LE SOLEIL NE SE LEVE JAMAIS, formidable polar social, est tout sauf joyeux.
Le roman conte les malheurs d’une jeune fille innocente malencontreusement plongée dans les pièges de la justice. Elle erre ainsi, accusée d’un casse qu’elle n’a pas commis, d’une maison de redressement à une autre, un peu plus luxueuse même si l’une des surveillantes est surnommée Ilse Koch par les pensionnaires ! Le rapprochement avec la célèbre nazie qui inspira le personnage d’Ilsa, cher aux bissophiles un brin sadiques, est certes un peu exagéré mais il donne une idée précise de la façon dont les jeunes délinquantes placées là perçoivent leur encadrement. La Directrice, malgré une évidente hypocrisie, ne vaut guère mieux. Emanuela, notre héroïne, fera tout pour s’enfuir de ce petit enfer afin de clamer son innocence au petit ami qui l’a abandonnée.
On est entre le mélodrame, outrageusement sentimental il faut bien l’admettre, et le roman noir, avec ces petits délinquants milanais qu’aimait camper Scerbanenco. C’est tellement bien écrit/traduit que ce qui aurait pu faire hausser les épaules chez un autre écrivain suscite ici l’émotion pure. Peut-être cependant aurait-il été préférable de ne pas faire de Emanuela une comtesse : c’est trop. Une fille du peuple aurait eu notre préférence. En l’état, l’artifice est un peu facile et conventionnel, pourrait-on dire, comme si l’excellent Scerbanenco avait considéré que son statut social d’orpheline à la noble origine la mettait à l’abri de toute culpabilité…
Pour s’enfuir, Emanuela n’hésitera pas à jouer dur en frappant violemment la policière chargée de sa surveillance lors d’un transfert pour raison médicale. C’est la seule scène d’action du roman, mais elle est fort bien conduite comme d’habitude chez l’auteur. Ses romans et nouvelles sont avant tout psychologiques mais il sait mettre en scène la violence lorsque l’intrigue l’exige.
Comme pour éviter la caricature (trop de noirceur tue le noir), Scerbanenco place ingénieusement quelques personnages positifs sur la route de Emanuela comme cette docteur de l’institut de rééducation ou comme son ex amoureux ramené à la raison, qui, aidé, d’un sympathique avocat, fera tout pour la sortir du trou. Si trop de coups du sort gâchent un peu la fin du roman (pneu crevé + accident grave + contrôle de police prétexte, ça fait beaucoup !), l’histoire est belle et prenante, forte et émouvante. Et l’on se prend même à se demander comment tout cela finira pour la petite Emanuela !
Notons aussi quelques très beaux portraits de jeunes délinquantes, justes et sensibles. Scerbanenco soignait aussi ses personnages secondaires.
Pour les cinéphiles, rappelons que Giorgio Scerbanenco a été magistralement adapté au cinéma par des gens comme Yves Boisset (CRAN D’ARRET)ou Fernando di Leo (à 3 reprises). Même Duccio Tessari et Lamberto Bava s’y sont risqués avec des fortunes diverses.