La peur au ventre
Vétéran peu connu de la série B italienne, Roberto Bianchi Montero débute sa carrière dans les années 40 avec quelques films d’aventures puis une bande horrifique avec le grand Boris Karloff (ISLAND MONSTER, 1954) avant de se tourner vers un cinéma dit « d’exploitation », alignant alors dans les années 60 divers « mondo » et « nudies » plutôt obscurs (AFRICA SEXY, 1963). Si le registre de la « sexploitation » occupe une bonne partie de sa filmographie (à 70 ans passés, on lui doit le péplum polisson LES FOLLES NUITS DE CALIGULA, 1977), Roberto Bianchi Montero apportera néanmoins sa modeste contribution aux genres alors à la mode du western (POKER D’AS POUR DJANGO, 1967), du film noir (L’ŒIL DE L’ARAIGNEE, 1971) et donc du giallo alors à son apogée avec ce titre à rallonge sobrement baptisé LA PEUR AU VENTRE lors de sa sortie française. On retrouve au générique du film plusieurs belles actrices ou starlettes coutumières du thriller à l’italienne (on y croise avec grand plaisir, juste avant leur assassinat, Femi Benussi ou Susan Scott) mais aussi le ténébreux acteur américain Farley Granger (décédé en 2011) qui aura brillé dans les années 50 chez Nicholas Ray, Alfred Hitchcock ou Luchino Visconti avant d’entamer une carrière un peu « alimentaire » en Italie tout au long des années 70.
Dans une petite ville du sud de l’Italie, le corps mutilé d’une jeune femme est retrouvé, parsemé de photos prouvant son adultère. Le vieillissant inspecteur Capuana est chargé de l’enquête qui s’avère délicate, la victime infidèle étant l’épouse d’un Général. Peu après, des amants sont pris en photo par un homme masqué et ganté qui poursuivra ensuite la femme sur une plage avant de la poignarder. La seconde victime faisait elle aussi partie de la bonne société, avait également une relation extra conjugale mais l’enquête reste au point mort : sur les photos prises par le tueur, le visage de l’amant est effacé et les autorités policières redoutent de faire éclater un scandale qui toucherait les notables de la ville. Après avoir soupçonné en vain un inquiétant assistant travaillant à la morgue, l’inspecteur Capuana est approché par un individu qui affirme être l’assassin…
Tourné en 1972, probablement l’année la plus fertile en productions « giallesques », le film de Roberto Bianchi Montero s’inscrit parfaitement dans la mouvance « sexe et violence tous azimuts » qui caractérise alors le genre (les remarquables mais dérangeants MAIS QU’AVEZ-VOUS FAIT A SOLANGE ? de Massimo Dallamano ou LA LONGUE NUIT DE L’EXORCISME de Lucio Fulci, tous deux de 1972). Une séquence pré-générique in media res nous plonge d’emblée au sein d’une scène de crime où un lent travelling nous révèle le corps entièrement nu et profondément tailladé d’une jeune femme blonde ; au second plan se détache le visage fermé et fatigué de l’inspecteur Capuana (Farley Granger). Après cet incipit efficace et stylisé, le long métrage suivra les chemins balisés d’une enquête policière sordide ponctuée de fausses pistes plus ou moins subtiles et d’un coup de théâtre survenant en milieu de bobine. Le réalisateur, dont ce fut l’unique giallo, en respecte scrupuleusement les codes, les thèmes et les motifs : assassin masqué et ganté de cuir, utilisation de la caméra subjective, meurtres sanglants à l’arme blanche, morbidité sexuelle, univers diégétique de l’oisiveté et de l’hédonisme bourgeois, retournement de situation finale…Empruntant certains éléments plastiques ou narratifs à des œuvres matricielles comme SIX FEMMES POUR L’ASSASSIN de Mario Bava, 1964 (l’apparence quasi-fantastique du tueur sans visage) ou QUATRE MOUCHES DE VELOURS GRIS de Dario Argento, 1971 (la complexité et l’importance du couple formé par les deux personnages principaux), Roberto Bianchi Montero démontre une relative bonne connaissance du genre et une capacité à en tirer un produit efficace à défaut d’être vraiment original. Plutôt bien rythmé et sans temps mort, mis à part les scènes inutilement bavardes liées à l’enquête (point faible de la plupart des « gialli »), le film nous gratifie de nombreuses scènes de meurtres quasiment toutes précédées d’ébats amoureux où la nudité des personnages féminins est filmée de façon assez franche pour ne pas dire frontale ! Cependant, l’ensemble demeure plutôt « glamour » et évite la gratuité purement voyeuriste qui sera à l’œuvre dans le genre les années suivantes (NUE POUR L’ASSASSIN de Andrea Bianchi, 1975). L’érotisme et les scènes sexy qui émaillent le métrage finissent même par prendre le dessus sur la violence graphique et plutôt réaliste du premier tiers du film jusqu’à l’arrivée d’une séquence remarquablement découpée qui voit l’une des victimes poursuivie par le tueur jusqu’au sommet d’un escalier en colimaçon, climax quasi gothique qui cite à nouveau le Mario Bava de SIX FEMMES POUR L’ASSASSIN. Au-delà de petites fulgurances comme celles-ci, LA PEUR AU VENTRE parvient à développer en filigrane un discours critique qui égratigne à la fois la classe dominante à laquelle appartiennent la plupart des protagonistes tous décrits comme de véritables parasites et le pouvoir policier qui la protège par tous les moyens, l’inspecteur Capuana en faisant d’ailleurs les frais. On peut penser que les films satiriques et engagés tels ceux d’Elio Petri (ENQUETE SUR UN CITOYEN AU-DESSUS DE TOUT SOUPCON, 1970) ont pu influencer de façon souterraine une œuvre aussi mineure que celle qui nous intéresse. Pour terminer, il faut signaler la tonalité ouvertement pessimiste voire misanthrope de LA PEUR AU VENTRE ce qui lui confère une certaine épaisseur narrative que l’on retrouve également dans le dénouement inattendu qui concerne la relation entre Capuana et son épouse Barbara (la très belle Sylva Koscina que l’on peut admirer dans LISA ET LE DIABLE de Mario Bava, 1974). Un petit giallo à ne pas négliger.