Sueurs Froides en version papier

Au sommaire du numéro 37 : Dossier Val Lewton, Nancy Drew, Biographie de Ulli Lommel, la saga Flower and Snake, la franchise Leprechaun, entretien avec Patrice Herr Sang, Entretien avec Marian Dora.
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Italie - 1961 - Antonio Margheriti
Titres alternatifs : Il pianeta degli uomini spenti, Battle of the worlds
Interprètes : Claude Rains, Bill Carter, Umberto Orsini, Maya Brent

Un texte signé Alexandre Lecouffe

La planète des hommes perdus

Antonio Margheriti (alias Anthony M. Dawson) fut un des plus prolifiques et talentueux artisans du cinéma populaire italien des années soixante et soixante-dix (nous passerons sous silence ses « produits » destinés au marché de la vidéo des années quatre-vingt). Celui que l’on a parfois surnommé le « Roger Corman transalpin » est responsable d’une cinquantaine de longs-métrages appartenant à tous les genres et sous-genres : films d’aventures (LA FLECHE D’OR, 1962), péplum (LES GEANTS DE ROME, 1964), western (AVEC DJANDO LA MORT EST LA, 1968), giallo (NUDE…SI MUORE, 1968), comédie coquine (LES MILLE ET UNE NUITS EROTIQUES, 1972) ou heroic-fantasy (YOR, LE CHASSEUR DU FUTUR, 1983). Mais les deux genres dans lesquels Antonio Margheriti a véritablement exprimé tout son talent sont de toute évidence le fantastique gothique (et notamment deux chefs d’œuvre avec Barbara Steele : DANSE MACABRE et LA SORCIERE SANGLANTE EN 1964) et le cinéma de science-fiction pour lequel il a tourné une demi-douzaine de titres. Remarquable technicien passionné par les effets spéciaux et les maquettes, le réalisateur italien fabriquera donc au cours des années soixante plusieurs séries B de s-f (LE VAINQUEUR DE L’ESPACE, 1960 ; IL PIANETA ERRANTE, 1966…) et deviendra de fait l’unique représentant du genre en Europe.

Un groupe de scientifiques travaillant dans un observatoire astronomique est persuadé qu’une énorme météorite se dirige droit sur la Terre avec laquelle elle va entre en collision. On fait alors appel à l’éminent professeur Benson qui contredit les prévisions apocalyptiques de ses confrères et affirme que l’astre inconnu évitera la planète bleue. Contre toute attente, l’astre vient se placer en orbite autour de la Terre, provoquant la panique et quelques dérèglements de la Nature. Lorsque des fusées sont envoyées vers cet inquiétant « satellite », elles sont immédiatement détruites par un faisceau de soucoupes volantes surgi de la planète hostile ; l’humanité semble menacée et c’est à nouveau l’avis éclairé du professeur Benson qui est fébrilement sollicité…

A l’époque où Antonio Margheriti tourne ses deux premiers opus de science-fiction (en 1960-61), le genre appartient presque exclusivement à la culture populaire américaine, si on laisse de côté les rares tentatives britanniques (la série des « Quatermass » dont le génial LA MARQUE de Val Guest, 1957) et la pléthorique production japonaise qui est principalement constituée de films de monstres (GODZILLA de Inoshiro Honda, 1954) sur lesquels sont greffés les angoisses du danger atomique. Un des thèmes de prédilection de la science-fiction est celui de l’attaque ou de l’invasion extraterrestre qui en cette période de Guerre Froide est le reflet à peine voilé de la peur du puissant ennemi soviétique. Durant les années cinquante, la menace communiste est clairement assimilée à celle, extraterrestre, qui tente d’asservir la race humaine (enfin, américaine…) dans des films parfois remarquables parmi lesquels LA CHOSE D’UN AUTRE MONDE (Christian Nyby, 1951), LA GUERRE DES MONDES (Byron Haskin, 1953), LES ENVAHISSEURS DE LA PLANETE ROUGE (William Cameron Menzies, 1954) ou L’INVASION DES PROFANATEURS DE SEPULTURES (Don Siegel, 1956).

LA PLANETE DES HOMMES PERDUS, conçu par un réalisateur européen plus intéressé par l’aspect scientifiquement plausible du genre que par son sous-texte paranoïaque, catastrophiste, ne revêt donc pas les atours métaphoriques « anti-communistes » des films d’invasion extraterrestre américains. Le long-métrage développe au contraire une ambiance et une vision plutôt optimistes du futur même si son argument central est bien celui d’une présence étrangère et à priori hostile à l’Homme. Antonio Margheriti choisit en effet délibérément de désamorcer l’éventuel suspense lié à la menace extraterrestre et de s’intéresser davantage aux réactions et comportements de ses personnages principaux : le bel astronaute Fred Steele (Umberto Orsini), sa fiancée Eva (Maya Brent) et le professeur Benson (le célèbre Claude Rains que l’on voyait peu dans le rôle-titre de L’HOMME INVISIBLE de James Whale, 1933, davantage dans LE FANTÔME DE L’OPERA de Arthur Lubin, 1943 et franchement mieux dans LES ENCHAINES d’Alfred Hitchcock, 1946). Si les deux tourtereaux au caractère pur et au sang froid à toute épreuve qui semblent échappés d’un péplum occupent une petite part du récit, c’est surtout la présence à la fois rassurante et cynique de Benson qui le dynamise. Ce dernier, interprété avec un sens aigu de la présence dans le cadre par l’acteur britannique précité, incarne un personnage mémorable qui semble éprouver plus de tendresse pour ses fleurs que pour la race humaine ; il va cependant se révéler être le véritable fil d’Ariane d’une intrigue somme toute assez simpliste et prévisible.

Il faut en outre attendre presque une heure de métrage et des séquences alternant trois espaces diégétiques principaux (la base militaire sur Mars, la serre du professeur Benson dans l’observatoire sur Terre, la cabine de pilotage des fusées) de façon un peu « étirée » pour qu’une première scène d’action ait lieu. La bataille spatiale s’engage alors, avec d’un côté les trois fusées terriennes et de l’autre une armada de soucoupes volantes (enfin, disons cinq ou six). Si dans l’ensemble les maquettes sont assez réussies ainsi que la gestion de leur mobilité dans le cadre, les effets spéciaux figurant les tirs au laser des différents vaisseaux trahissent le budget étriqué du film ; de même, certains plans où les filins des miniatures sont apparents rappellent que nous sommes en présence d’une bande plutôt fauchée. En revanche, la dernière partie du long-métrage qui se déroule au sein de la planète étrangère au cœur de laquelle un groupe mené par Benson découvre le vrai « visage » des envahisseurs, est visuellement très inspirée. La mise en images de ce micro-univers « alien » étrangement hybride, mélangeant des éléments minéraux, organiques et plastiques et baignant dans une lumière rougeoyante, scintillante, semble préfigurer les expériences esthétiques proposées par Mario Bava dans son incroyable opus de science fiction mâtinée d’épouvante gothique LA PLANETE DES VAMPIRES (1965).

Au cours des années soixante, Antonio Margheriti poursuivra donc dans le genre « space-opera », confectionnant artisanalement de tous petits films dont certains ne seront diffusés qu’à la télévision…américaine, à l’instar de WAR BETWEEN THE PLANETS / IL PIANETA ERRANTE (1966) qui est un quasi-remake de LA PLANETE DES HOMMES PERDUS. Le réalisateur se taillera une solide réputation dans le domaine puisqu’il sera même appelé en Angleterre pour effectuer quelques trucages sur ce qui allait devenir rapidement le chef d’œuvre de la « hard science-fiction » : 2001, L’ODYSSEE DE L’ESPACE de Stanley Kubrick (1968).



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Article rédigé par : Alexandre Lecouffe

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