Le Colt et l’Etoile
Une quinzaine d’épisodes en France et 83 romans à l’origine, des millions d’exemplaires vendus par le monde de ce qui reste un sommet de la littérature western, sans doute bien oublié aujourd’hui, puisque le genre ne fait plus guère recette.
Morgan Kane est un Texas Ranger qui a le comportement d’un pistolero de western italien. Proche d’un James Bond de l’Ouest Sauvage, il est un tueur au service de la Loi. Sa fiche signalétique, en quatrième de couverture, indique « quelques tendances psychopathes », ainsi qu’une « faiblesse pour l’alcool, les femmes et les jeux de hasard. » C’est un fait à lire ses aventures.
Son créateur, le Norvégien Louis Masterson, est une sorte de Ian Fleming du western, et Morgan Kane bel et bien l’équivalent XIXème siècle du 007 littéraire. C’est-à-dire, rappelons-le, un anti-héros pas toujours sympathique et bien différent de la plupart de ses incarnations cinématographiques.
Dans LE COLT ET L’ETOILE, Kane s’en prend à d’abominables maquereaux qui kidnappent et avilissent des jeunes femmes sans attaches pour en faire des prostituées dociles, de véritables esclaves sexuelles de leur bordel itinérant. Le portrait des deux chefs du gang, sur un chapitre entier, est passionnant. Masterson met un soin tout particulier à créer ces deux monstres, un ogre bestial et un beau gosse sociopathe peut-être encore plus répugnant moralement. De même, l’auteur détaille leur approche hypocrite d’une chanteuse de saloon, dans le but inavouable de la livrer aux griffes de leurs complices, salopards qui briseront sa volonté pour la soumettre à leurs désirs. Le thème de la prostitution contrainte est ici très brillamment traité, chose plutôt rare dans un contexte westernien – ce qui rapproche encore LE COLT ET L’ETOILE d’un roman noir.
Louis Masterson est extrêmement fort pour camper ses personnages : Morgan et ses démons intérieurs, les filles de bordel touchantes de vulnérabilité, comme, et bien sûr, ses méchants que le lecteur apprendra à haïr autant que le fait Kane. Un Kane qui, comme souvent, transforme sa mission en affaire personnelle. L’épaisseur psychologique des protagonistes, rarement développée ainsi au cinéma – et pour cause – est l’un des points forts de la série.
Comme tout bon héros de western à l’italienne, Kane est longuement tabassé par ses ennemis, comme pour lui redonner une dimension humaine, et donc fragile. Kane en bave beaucoup et ne trouve un réconfort bien temporaire que dans la bouteille ou, parfois, dans les bras d’une femme. Les Morgan Kane, et LE COLT ET L’ETOILE ne fait pas exception, sont souvent violents. D’une violence sèche et terriblement réaliste.
Ce qui n’empêche pas l’écriture d’authentiques passages fantastiques quant à l’inspiration, comme ici (p. 77-78) lorsque Kane revoit les fantômes des hommes qu’il a tués par le passé :
« Les spectres s’assemblaient autour de lui avec leurs yeux creux et leurs visages livides. Ils l’accusaient, l’attiraient, le défiaient.(…) Le cauchemar du tueur. »
Les Morgan Kane sont remarquablement écrits/traduits. Dignes du Elmore Leonard de CHASSEURS DE PRIMES, par exemple. LE COLT ET L’ETOILE est ainsi un nouveau petit bijou de la littérature populaire qui ravira l’amateur de westerns sales et brutaux.