Le démon de Laplace
Une équipe de chercheurs tente de trouver en combien de morceaux peut se briser un verre en chute libre. Il s’agit en réalité d’une expérience autour des théories des probabilités. Un vieux confrère convie cette équipe dans son manoir. Sur place, ils se rendent compte qu’ils sont en fait les pions d’un jeu de hasard grandeur nature…
Le cinéma s’aventure parfois sur le terrain de la philosophie. Et notamment dans le cinéma de genre. Le plus souvent, c’est via de la SF… mais pas toujours comme nous le prouve ce DEMON DE LAPLACE.
Pour la question du libre arbitre, on peut renvoyer à quelques glorieux aînés : MATRIX, 1984 (l’être humain est naturellement libre de son choix, mais le système lui enlève cette liberté), PI (celui de Darren Aronofsky), THE PHILOSOPHERS (aka AFTER THE DARK), MINORITY REPORT, PAYCHECK… On relève aussi les questions voisines – ou plutôt opposées – du déterminisme et du choix (ce dernier suppose donc le libre arbitre qui en est la condition nécessaire) dans toute l’œuvre de Jaco Van Dormael. On pourra encore chercher les questions annexes : s’il n’y a qu’un destin, par qui est-il contrôlé (par exemple dans le film d’animation LE FIL DE LA VIE). Et si on creuse, on trouvera encore nombre de questionnements et de films : le sujet a souvent inspiré scénariste et metteurs en scène.
Le film reste dans le cadre de sa question initiale. Il aurait pu dériver vers une autre question régulièrement traitée au cinéma (et spécialement dans celui d’animation) qui est le rapport entre le créateur et le personnage d’un film (lequel est alors supposé ne pas disposer d’un libre arbitre, le film s’attachant alors à l’établir pour les personnages qui entrent en rébellion contre leur créateur).
Ici, la question s’inscrit dans un genre bien balisé, celui des « dix petits nègres » d’Agatha Christie : quelques invités dans une maison isolées qui vont être éliminés les uns après les autres, à moins qu’ils ne parviennent à démasquer l’assassin. Un autre italien, Mario Bava, s’était jadis prêté au jeu avec L’ILE DE L’EPOUVANTE. Mais ici s’ajoute donc explicitement la question de déterminer si l’Homme est ou non libre de ses choix. Si non, il y a alors un seul comportement pour chacun, lequel pourrait être calculé à l’avance.
Quelques petits défauts viennent amoindrir la réussite globale : un poil trop de dialogues – certes, c’est sur eux que repose la mécanique, mais à en abuser, la mise en scène devient parfois trop statique – et l’omniprésence d’une musique réduite ici à sa fonction de secouriste pour ajouter la tension nécessaire manquant à l’image. Enfin, il faut bien convenir que la direction d’acteurs manque clairement de mordant : l’ensemble du casting affichant les quelques mêmes attitudes tout le métrage durant.
Hormis ces défauts (qui ne sont pas rédhibitoires), LE DEMON DE LAPLACE se signale par un bon scénario, de superbes décors, de belles trouvailles (la maquette, les pièces d’échec, le cercueil…) et une direction artistique intéressante : visuellement, le réalisateur a opté pour recréer l’imagerie des années ’40-50, avec une photographie en noir et blanc, des effets de transparences, et une esthétique globale à l’ancienne.
Peu à peu, le film nous captive dans son questionnement. Nous sommes curieux de voir comment le scénariste se dépêtrera de ce type de sujet. Car avec ce genre de film, c’est clairement le scénario qui dicte la réussite ou l’échec. Ici, on peut le dire, c’est réussi.
Et comme nous ne savons comment conclure cette chronique, nous nous reposerons sur ces grands philosophes du 20e siècle, « les Inconnus » :
« – Eh Manu, tu descends ?
-Ben pourquoi que je descendrais ?
-Ben… parce que… c’est TON DESTIN »