Le Spécialiste
Hud (Johnny Hallyday) retourne dans la ville où son frère a été lynché. Ce dernier y aurait caché une importante somme d’argent…
Sergio Corbucci continue ici d’explorer un univers et des thématiques qu’il avait créés avec DJANGO et LE GRAND SILENCE. Un monde sale, une nature hostile et froide, un anti-héros solitaire, meurtri physiquement…, autant d’éléments qui se retrouvent ici. DJANGO, culte et génial, posait ces bases avec un brio incroyable, même si l’influence de Sergio Leone se faisait largement sentir dans la réalisation, comme dans la trame, issue de POUR UNE POIGNEE DE DOLLARS. Son héros lui-même était une version ténébreuse et vengeresse de l’homme sans nom, proche dans les attitudes et un peu dans le look. Sergio Corbucci, en quelque sorte, c’est un Léone gothique, sombre et violent. Dans le genre, LE GRAND SILENCE fut son chef d’oeuvre, tant il y poussait ce style dans ses derniers retranchements avec une perfection paroxystique. Hélas, ce SPECIALISTE est un peu le film de trop, au fond bien inutile et qui n’apporte rien à son oeuvre. Bien en prit à Corbucci de s’attacher à développer aussi le Western Zapata (western politique), avec sa très bonne trilogie formée par EL MERCENARIO, COMPANEROS et le comique MAIS QU’EST-CE QUE JE VIENS FOUTRE AU MILIEU DE CETTE REVOLUTION. C’était là un moyen idéal de se renouveler vraiment, seule voie à suivre pour un auteur aussi prolifique. A ce propos, si l’on peut voir une qualité inégale chez Corbucci, à la différence de la perfection des deux autres Sergio (Leone et Sollima), il ne fait pas de doute que cela s’explique aussi par le nombre de westerns qu’il a réalisés : pas moins de 13 ! Corbucci était un vrai cinéaste populaire par sa productivité même au sein du genre, à la différence de ses deux illustres collègues.
LE SPECIALISTE a vraisemblablement été pensé pour exploiter la célébrité de Johnny Hallyday, assurément porteur d’un fort potentiel commercial en Europe. Physiquement, il fait l’affaire : yeux bleus, barbe de quelques jours, cigarillo, vêtements noirs… Même si certains ont eu beau jeu d’ironiser sur ses capacités récitatives, il n’est pas plus mauvais que d’autres acteurs mineurs spécialisés dans le genre, comme Richard Harrisson. Il fait très honnêtement son boulot, sans plus certes… et lui n’était même pas acteur après tout ! Hallyday, on le sait, n’a jamais caché une certaine attirance pour le cinéma de genre. On se souviendra du médiocre TERMINUS français où il jouait les sous Mad Max. Ou encore de la distrayante série télé DAVID LANSKY… qui le voyait copier cette fois le Clint Eastwood des DIRTY HARRY !
Gastone Moschin campe ici avec grand talent un shérif timide et maladroit, descendant direct de celui joué par Frank Wolff dans… LE GRAND SILENCE, justement ! Son personnage est très drôle et attachant (amusante la scène de « tête à tête » avec le bandit mexicain joué par le bon Mario Adorf, dans un rôle à la Fernando Sancho). Seul regret : sa mort malheureusement bâclée.
LE SPECIALISTE souffre de deux gros défauts : une intrigue simpliste et inintéressante au possible, dont on ne peut être partie prenante, et une musique très plate de AF Lavagnino, l’un des compositeurs italiens les moins excitants de l’époque. On est loin de Bacalov ou Morricone, respectivement à l’oeuvre dans DJANGO et LE GRAND SILENCE ! En fait, contrairement à ce qui a parfois été dit, le faible charisme de Hallyday est loin de plomber le film à lui tout seul… Avec un bon scénario, chargé d’idées aussi fortes que celui de DJANGO, Hallyday aurait assurément fait illusion.
On trouve néanmoins quelques bonnes choses de-ci de-là. Comme quand Hud, désarmé, saute de sa monture pour s’emparer du pistolet du shérif qui chevauche à ses côtés afin de faire feu sur des ennemis perchés sur des toits. L’action est stupéfiante et largement aussi impressionnante que ce que l’on trouve dans les polars de Honk-Kong ! Notons aussi la trouvaille qui mène à la cachette du trésor ou encore cette obsession cocasse du bandit mexicain qui fait écrire son histoire par un scribe pour la postérité…
De même, tout le final est réussi, avec un Hud blessé et chancelant qui affronte tous ses ennemis. Mais surtout avec cette vision folle d’une bande de voyous hippies qui oblige la population corrompue à ramper nue (!) dans la rue principale ! Il faut voir ce spectacle pour saisir jusqu’où le western européen a pu aller dans le délire, même à travers un film aussi mineur que celui-ci. Pas mal aussi le gilet de mailles du héros qui le protége des balles – et le fait ressembler à un guerrier médiéval ! Cette réminiscence de l’armure d’Eastwood dans POUR UNE POIGNEE DE DOLLARS est amusante, même si l’on peut toujours se demander pourquoi ses adversaires s’acharnent à ne pas viser la tête, partie du corps, il est vrai, difficile à atteindre…
En fait, ce qui manque surtout à ce sympathique SPECIALISTE, c’est le sens du tragique et la force émotionnelle de ses deux glorieux prédécesseurs.